lundi 22 février 2010

ANTONIN ARTAUD. LES ÉLECTROCHOCS DE VILLE-ÉVRARD. RÉÉCRITURE D'UNE "BIOGRAPHIE".

12 février 2010. Conférence du Dr Gassiot. Fondation Singer-Polignac.

Retour sur les erreurs et "lectures" revisitées de la "biographie" d'Artaud par le Docteur Gassiot. L'une d'elles m'a d'autant plus frappée qu'elle tend (depuis quelque temps) à se répéter et à se transformer en "déni" de l'histoire.

S'exprimant avec force, le Dr Gassiot déclare qu'à Ville-Évrard, le médecin avait "refusé" de faire des électrochocs au poète.

"Refusé" : ce terme est nouveau. Il n'était jamais apparu. Qu'en est-il ? Rien de tel ne figure dans le dossier médical d'Artaud. Bien au contraire.

En juin 1942, la mère d'Artaud demande aux médecins de Ville-Évrard que l'on fasse bénéficier son fils de ce nouveau traitement à l'électricité qui se pratique alors dans le service du Dr Rondepierre.

Le 1er juillet, réponse du Dr Menuau : "Les examens nécessaires vont être pratiqués et si les résultats sont favorables votre malade sera soumis au traitement par électrochoc dès que les séances auront repris". Le dossier médical, que j'avais pu consulter, est ensuite muet sur ce point.

C'est dans la thèse d'un médecin, Le Docteur Le Gallais (thèse soutenue en 1953 sous la présidence de Jean Delay), que l'on trouve la réponse, avec d'importants extraits de ce dossier médical d'Artaud qui fut, au fil des ans, fortement "écrémé" :

- "juillet 1942 (Dr Menuau à sa mère) pour lui annoncer une tentative de traitements par électrochocs. N'ont pas modifié l'état du malade."

Le Dr Le Gallais est alors interne à Ville-Évrard. Il a eu accès au dossier médical d'Artaud et remercie les médecins qui lui ont procuré "des documents" (Jean Delay, Chanès, Ferdière [lequel ne lui a rien communiqué du dossier de Rodez !], Guiraud, etc). Tout ce qu'il en rapporte est très complet et contient beaucoup d'informations qui corroborent la véracité de l'étude du médecin.

Autre document : le Docteur Le Gallais a lui-même "annoté" la "Lettre [d'Artaud] au Ministre d'Irlande" faisant alors partie du dossier médical d'Artaud, transformant (secret professionnel oblige) le nom de Nalpas en "Salpan". La transcription du Quarto (p. 868) est, sur ce point, une joyeuseté, qui confond l'écriture du médecin et celle d'Artaud.

De tout cela il ressort qu'Artaud a eu des électrochocs à Ville-Évrard,

Gilbert Léon, qui fut plus tard infirmier à Ville-Évrard, précisera que, parmi les malades alors soumis au "choc", la plupart appartenaient à la section des "indigents" (ceux qui ne payaient pas de pension), celle-là même où se trouvait Artaud : "Plus de la moitié des malades le subiront, et parfois en grande quantité : cent, cent vingt et même cent cinquante électrochocs." (C'était Antonin Artaud, p. 735.). Ce qui est, pour chaque malade, tout à fait considérable, Jean Delay lui-même (qui a cependant beaucoup pratiqué l'électrochoc) avait finalement recommandé de ne pas dépasser les 30 électrochocs par malade.

Alors, pourquoi le Docteur Gassiot passe-t-il sous silence ces documents ? Les ignore-t-il ? Je les ai pourtant rendus publics. Souhaite-t-il "ménager" la famille d'Artaud, présente dans la salle ? Que devient dans tout cela la simple vérité historique ?

Pour plus de détails sur la question, voir :

F. de Mèredieu, C'était Antonin Artaud, pp. 735 et 746-747.
F. de Mèredieu, L'Affaire Artaud, p. 333-336.

FEUILLETON (6) : à suivre.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je cherche un article que je crois que vous avez ecris intitulé 'Médecine et chirurgie dans l'oeuvre d'Antonin Artaud in Médecins et littérateurs'. Ou puis-je le trouver. merci de votre attention.

fdemeredieu a dit…

L'article a été repris dans l'ouvrage suivant :
Florence de Mèredieu
Antonin Artaud, les couilles de l'ange
Blusson, 1992
ouvrage disponible
voir site :
www.editions-blusson.com

Anonyme a dit…

Le martyr d'Antonin Artaud n'a servi à rien. La psychiatrie version homicide et ses pontes se sont réappropriés son histoire tragique pour la tourner comme toujours à leur avantage...lors de cette conférence, le dessin "l'homme et sa douleur" est présenté comme un cadeau d'Artaud à un psychiatre "en remerciement de lui avoir fait des électrochocs"...Artaud doit se retourner dans sa tombe, qui suppliait pour qu'on arrête ces sévices à l'électricité. Les électrochocs ont détruit Artaud, comme ils ont détruit Hemingway et tous ceux qui y sont passés. Qui prétendrait le contraire? au moins un des intervenants de cette conférence, qui 50 ans après perpétue cette thérapie funeste en l'imposant - oui en l'imposant - à d'innocentes victimes; au mépris de toute disposition légale.

fdemeredieu a dit…

Le commentaire que j'ai posté sur mon blog, à ce lien

http://florencedemeredieu.blogspot.com/2011/06/artaud-lhomme-et-sa-douleur-commentaire.html

a précisément pour but de rectifier cette question du prétendu "cadeau du dessin à son médecin en remerciements des électrochocs".

Je continuerai pour ma part à informer et dire. Ce qu'il en est …

Merci pour votre piqûre de rappel !

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