vendredi 30 novembre 2012

DALI : LE GRAND BAZAR DE L'INCONSCIENT.

©FDM

Centre Georges Pompidou : décembre 2012 à mars 2013. — Ma première idée fut de donner le titre suivant à ce petit « papier » : « L’ART EN CROÛTE ». Manifestation de ces réticences que j’ai toujours entretenues par rapport à l’œuvre de Salvador Dali.

Les « croûtes » certes y sont (généralement) de petits formats et enchâssées dans des cadres souvent somptueux. Elles tiennent du reliquaire et du muséal, et manifestent à l’envi, tout au long de l’exposition, les liens puissants qu’entretiennent les protocoles religieux et ces autres protocoles qui sont ceux des grandes foires muséales.

Cette exposition du Centre Pompidou est d’ailleurs le modèle même de l’exposition au protocole (chronologique et thématique) impeccable. Le tout est riche, diversifié et parfaitement mené. De quoi assurément satisfaire les foules qui déjà y défilent. Ce sera une des messes (surannées) qui attirera les foules dans les mois à venir.

Dali avait tout pour voir transformer sa vie et son œuvre en phénomène de masse. Il aura, tout au long de son parcours, amassé et cultivé tous les clichés possibles : culturels (l’Angélus de Millet, Vélasquez et les Ménines, etc.), religieux (Saint-Jean de la Croix et son Christ en surplomb, etc.), freudiens (on ne compte plus les symboles phalliques et archétypes accumulés ou en vadrouille au long des toiles). Sans compter quelques clichés plus conceptuels et langagiers. Lacan, on le sait s’intéressera à cette « paranoïa critique » érigée en fer de lance par un Dali qui se voulait « dérangé » certes, et plus mage que mage.

Mais ce bougre d’homme est diablement intelligent. Caméléon. Propre à tout avaler et régurgiter sous les formes les plus acceptables. Si scandale il y a (ou plutôt il y eut), c’est toujours sous des apparences (picturales, car pour le "politique", c'est autre chose !) assez « soft » : « oniriques », comme l’on dit. Le surréalisme est passé par là. Et chacun sait que, dans le grand bazar de l’inconscient, tout est possible. — Nul aujourd’hui ne trouvera à y redire grand chose. Toutes ces idées, ces colifichets, ces organes épars sont plus « mous » que jamais, à l’instar de ces montres et de ces formes qui continuent de jouer les omelettes et les ectoplasmes dans les toiles de l’homme aux moustaches gominées.

Le parcours de l’exposition est ainsi jonché de jeux de mots et d’images, de coqs à l’âne et d’historiettes qui raviront le chaland. La peinture de Dali est une peinture anecdotique et littéraire. Mais leur l’auteur a su aussi se frotter aux autres moyens d’expression : photographie, cinéma, théâtre ou « happening » naissant. Et jusqu’à l’holographie qui nous offre l’image, lilliputienne, tridimensionnelle et colorée, d’un Dali embaumé d’origine.

Vue d'exposition. ©FDM

vendredi 9 novembre 2012

BORGES & BORGES Illimited.


En 1972, j'entame (sans le savoir encore) une longue entreprise : la réécriture de l'œuvre princeps de Jorge Luis Borges, La Bibliothèque de Babel.

Celle-ci, on le sait, contient TOUT ce qu'il est possible de concevoir et d'imaginer.

L'ensemble des "démarquages" que je vais ainsi réaliser au fil des ans (quinze textes à ce jour) s'appuie sur l'idée, chère au grand argentin, qui fait de toute lecture un processus de réécriture et de création. Chaque lecteur ajoute, relit, et transforme le texte initial en fonction de la culture, des références et de l'imaginaire qui lui sont propres.

Très tôt, et dans ma propre histoire, je m'étais rendue compte de la véracité de cette assertion. Toute lecture mettait pour moi en branle un imaginaire qui tout aussitôt travaillait dans la métamorphose.

Le premier texte ainsi produit portait sur le corps. La bibliothèque s'était transmuée en un corps gigantesque, aux aventures hybrides : "Du Corps comme bibliothèque infinie".

D'autres textes suivront. Ils porteront sur le Zoo, la viande, la photographie, La Cité des Ensommeillés, Nam June Paik (Babel TV), Le Bateau des morts (qui n'est pas sans rappeler une certaine île perdue dans la lagune…), Mr Tout le Monde, et bien d'autres réalités ou problématiques.

En 1993, je rassemble 12 de ces textes en un volume qui se clôt (très momentanément) par une mise en abîme de l'œuvre et du personnage de Borges : Le Meurtre de Jorge Luis Borges.

Survient ensuite un démarquage consacré au cinéma et intitulé Trafic (en hommage conjoint à Jacques Tati et à la revue Trafic… qui le refusera).

En 2000, c'est un livre (accordéon et illustré), Duchamp en forme de ready-made, qui comporte, cette fois-ci, non seulement la transformation du texte de Borges par inoculation de l'imaginaire propre à Duchamp, mais aussi des "soufflets" (en caractères gras dans le texte), correspondant aux multiples "soufflets" de la "Boîte en valise". — L'histoire n'est pas close et se poursuit.

Le processus d'écriture à l'œuvre est double. En un premier temps, il s'agit pour moi de lire le texte, dans un état proche de ce que l'on pourrait nommer une forme de lecture (ou d'écriture) automatique, et de le transformer, en laissant intervenir ce qui en moi tient lieu de culture, d'imaginaire, de lectures et sources diverses. En un deuxième temps, je procède à une relecture minutieuse, consciente et critique, du premier jet obtenu… jusqu'à ce que l'ensemble me paraisse désormais, non pas parfait, mais autosuffisant...

Les Univers ainsi créés partent sur leurs rails… rejoindre l'interplanétaire galaxie des doubles et sosies de Jorge Luis Borges.

Borges & Borges Illimited

Duchamp en forme de ready-made

Article du devoir

mardi 6 novembre 2012

BONNE NAVIGATION, MISTER GILOT…

Stéphane Gilot, la Cité performative, 2010 (MNBAQ).

Bon vent. Et bon départ pour le vaisseau lancé sur la trajectoire des MONDES MODÈLES et des MONDES POSSIBLES du Québec et d’ailleurs.

Lancement accompagné de moults performances, de rires et d’interrogations. De rêves et de discours. D’histoires de doubles et de cités-gigognes.

Borges et ses doubles vous saluent bien.

Mondes modèles

samedi 3 novembre 2012

PATRICK BEAULIEU, L'OISEAU QUI SAIGNE (INSISTANCE).

Patrick Beaulieu, Insistance, 2012.
Oiseau en aluminium, branche d’arbre, plaque de verre,
éclairage à DEL et dispositif d'égouttement de sang.

Insistance montre une hirondelle déposée sur une branche, sous laquelle une mare de sang semble se former contre une plaque de verre au sol. À travers cette immobilité apparente de l’oiseau perché, on peut percevoir une goutte de sang qui s’écoule de son abdomen et chute contre le sol qu'elle éclabousse et où elle se répand. Insistance révèle un lent et incessant égouttement qui nous laisse croire que l’animal éprouvé jamais ne cesse de résister. L’oeuvre Insistance [et l’ensemble du corpus For intérieur, récemment exposé à la Galerie Art Mûr à Montréal] découlent d’une série de projets (souffle, battements, bruissements, la distance de l’ombre, etc.) révélant de fragiles matières qui semblent perpétuellement osciller entre le vivant et l’inanimé." (Patrick Beaulieu)

Mettre en scène un oiseau qui saigne, lentement, imperceptiblement et de telle manière qu'il faille du temps, un certain temps, avant que l'on ne s'aperçoive - par les traces au sol - que l'oiseau perd peu à peu cette matière et substance vitale que l'on nomme du sang.

La scène est-elle tragique, réaliste, dérisoire, fantomatique ? Elle relève de la pure poésie et de ces drames minuscules qu'évoquait le grand Borges dans La Loterie à Babylone :

"La Compagnie est toute-puissante, mais (…) son champ d'action est minuscule : le cri d'un oiseau, les nuances de la rouille et de la poussière, les demi-rêves du matin."

Galerie Art Mûr