samedi 19 octobre 2013

LES 1001 VIES DE MONSIEUR CYRILLE BOSC.

Grands Masques. Ph.©FDM.

Boulonneur. Dévisseur et Déboulonneur. Soudeur de matières et matériaux divers. Poète de l’Orénoque, de ses masques et horizons lointains. Amateur de boîtes, boulons, pelles, tournevis. Récupérateur de ferrailles. Amoureux des bois flottés qui parcourent les mers et la planète, au gré des courants et des vents. Adepte du polissage et ripolinage des surfaces, Monsieur Cyrille Bosc parcourt ses différents chemins. Qui sont pluriels. Résolument pluriels.

Créateur de balancelles multicolores et de machines à gazouiller, de sortes de jouets pour de grands enfants. Monteur et montreur de marionnettes souvent de belle taille. Ou fabricateur de mondes lilliputiens, peuplés de vis, de fragments, de tous les rebuts des usages du monde. « Art Brutier » [il met souvent ses pas dans le sillage de l’Art Brut], Monsieur Cyclo-Cyrille Bosc parcourt l’univers des apparences et des savoir-faire. Il s’invente des mondes, les entasse et agrège les uns aux autres.

Une poupée surréaliste avoisine une idole d’un autre âge. Les courbes et contrecourbes d’une sculpture acérée, la selle et le guidon d’un artiste - qui n’est plus (ou pas encore, ou plus du tout ou bien pour toujours) Picasso - veillent sur l’armée des blocs, des coffres, des socles et des formes élancées qui y prennent appui.

Comment choisir entre les 1001 vies d’un "montreur" de marionnettes et de mondes plastiques qui se dédoublent et se démultiplient ? À la façon d’œuvres gigognes ou de poupées que l’œil du visiteur se plaît à encastrer (ou désencastrer, développer) les unes dans les autres, les unes en dehors des autres.

Secrètement et dans votre dos, il prépare déjà les formes et agrégats suivants, les bidons cabossés et refondus, les cercles et les flèches, les hélices qui vont servir à construire d’autres mondes. À échelle un, deux ou trois. Ou moins Zéro. Car ces mondes sont paradoxaux. Il s’additionnent ou bien s’annulent. Tant ils sont multiples, polyvalents et foisonnants.

De ces paradoxes, Monsieur Cyclo-Cyrille-Bosc n’a que faire. Il les entretiendrait plutôt. À la ligne droite, il préfère, le lent cheminement et le foisonnement des labyrinthes.

Le Passage (« un aller pour Lampedusa ») Ph.©FDM.

samedi 12 octobre 2013

SUGIMOTO ET LES POUPÉES DU BUNRAKU : DOUBLE SUICIDE À SONEZAKI.

© Hiroshi Sugimoto

Le Bunraku ou théâtre de poupées est (avec le et le Kabuki) la troisième grande forme théâtrale du Japon ancestral. Photographe et artiste contemporain, Hiroshi Sugimoto revisite une des grandes pièces du répertoire japonais.

Paul Claudel a des accents magnifiques pour décrire la gestuelle de ce qu’il nomme la « marionnette japonaise » : « La marionnette c’est le masque intégral et animé, non plus le visage seulement, mais les membres et tout le corps. Une poupée autonome, un homme diminutif entre nos mains, un centre à gestes. »

Ces marionnettes, articulées et d’assez grande taille, sont cependant d'une échelle plus réduite. D’où l’impression de densité (la quintessence de gestes et d’émotion, la « sublimation » en un mot) qui nous étreint à la vision de ces modèles (à peine) réduits – qui miment avec une telle perfection les passions humaines.

Chaque poupée est portée – et suspendue, à distance du sol – par trois manipulateurs de marionnettes. D’où la légèreté de gestes qui se déploient en apesanteur. Le corps de chaque poupée est en lévitation. Il peut marcher, tomber, rouler, se casser en deux ou se plier : il est toujours hors du sol.

En résulte une exacerbation des sentiments, des expressions. Les pleurs (on pleure beaucoup dans Suicide à Sonezaki), les rires, et la palette entière des sentiments humains, s’en trouvent comme portés au carré.

Soulignée par le son (pur et aigrelet) du shamisen, portée (en négatif) par cette part d’ombre qui entoure chaque marionnette (les manipulateurs y sont intégralement recouverts d’un costume et d’un voile noir), l’épure de chaque geste renvoie à un code précis. Les poupées se pâment, se démènent, jouent et rejouent l’exaltation des sentiments : amoureux, haineux, dépités, enjoués. – Émerveillés aussi.

Marquée certes par quelques projections vidéo très épurées et le gros-plan du visage d’une des marionnettes, la mise en scène d’Hiroshi Sugimoto demeure très classique. – Le Théâtre de la Ville, où se déroulait cette précieuse cérémonie culturelle, semblait ce soir-là, comme un fragment du Japon. Sur scène et dans la salle, des femmes en kimono. À droite de la scène, le récitant et les membres de l’orchestre, tels des insectes, pris dans l’architecture de leur costume traditionnel. Dans l’espace flottaient quelques ombres et quelques fantômes et – sur l’écran face à nous – la silhouette de pins séculaires.

Sugimoto/Bunraku

© Hiroshi Sugimoto

mardi 8 octobre 2013

FOR FUJIKO NAKAYA. THE CITY, PITCHING IN THE FOG.

Paris, 5 October 2013. - "Place de la République". Sleepless night. Gray night. Fujiko Nakaya has installed, in the median of the Place, misters and cannons fog.

I came by subway. On the platform out of the train : the security men of the RATP, dog muzzled by hand. At the exit, near the Boulevard Magenta, a Roma family (a family, we want to say a whole family - men, women, children), lying under blankets for nights that are not. In the middle of passers noise, of the crowd.

Noisy, motley, the crowd gathers in the gray median. A flow of a mediaeval gray invaded instead. We get lost. Briefly. But where do we lose ? And we find ourselves in another less dense fog : recognizable shapes, silhouettes of friends we know.

Wet puddles. The camera up against the sky. The crowd is also a fog. Dense. Sometimes so dense that one seeks emptiness, hollow. Night.

I think the Roma on the edge of the square. In this white night, the gray night is their common lot. The city is wild. "She" appropriates and eat all landscapes. - And even more human.

Fujiko, Fujiko, the city is pitching in the fog.

dimanche 6 octobre 2013

POUR FUJIKO NAKAYA. LA VILLE TANGUE DANS LE BROUILLARD.

Paris, le 5 octobre 2013. – Place de la République. Nuit blanche. Nuit grise. Fujiko Nakaya vient d’installer, sur le terre-plein central de la Place, ses brumisateurs et canons à brouillard.

Je suis arrivée par le métro. Sur le quai en sortant de la rame : les hommes de la sécurité de la ratp, chien muselé à la main. A la sortie, près du Boulevard Magenta, une famille de Roms (une famille : on voudrait dire une famille entière - hommes, femmes, enfants) couchés sous des couvertures pour des nuits qui n’en sont pas. Au milieu des passants, du bruit, de la foule.

Bruyante, hétéroclite, cette foule se presse dans le gris du terre-plein central. Un flot d’un gris moyen-âgeux envahit la place. On se perd. Brièvement. Mais où se perd-t-on ? Et l’on se retrouve dans un autre brouillard moins dense : des formes reconnaissables, des silhouettes d’amis qu’on connaît.

Des flaques humides. Des appareils photos dressés contre le ciel. La foule aussi est un brouillard. Dense. Si dense parfois que l’on cherche le vide, le creux. La nuit.

Je pense à ces Roms, sur le pourtour de la Place. A cette nuit blanche, cette nuit grise qui est leur lot commun. La ville est sauvage. Elle s’approprie et mange tous les paysages. – Et plus encore les humains.

Fujiko, Fujiko, la ville tangue dans le brouillard.

jeudi 3 octobre 2013

NAMUR. NOUVELLES TECHNOLOGIES ET CRÉATION ARTISTIQUE.

Couverture de la version anglaise de
« Arts et nouvelles technologies » (Larousse)

"La création artistique à l’ère informatique. Métamorphoses et mondes virtuels."

"Nous vivons à l’ère informatique. Les techniques numériques ont modifié en profondeur nos habitudes de vie ; elles ont infiltré le monde de la création artistique. Littérature, Design, Danse, Musique, Théâtre, Cinéma, Bande dessinée, Architecture, Arts plastiques, Performances et arts de la rue : aucun domaine n’échappe à cette « révolution informatique ».

Les implications esthétiques, sociologiques et anthropologiques de ces mutations sont nombreuses. Interactivité et participation du spectateur, effacement ou atténuation de la surface de séparation entre le public et les artistes, modification du système de présentation et de circulation des œuvres, renouvellement du répertoire des formes, création d’une sorte de deuxième peau ou de « matière virtuelle », extension considérable des limites du monde sensoriel : l’art en vient peu à peu à refléter et construire un autre « réel ». L’artiste est au cœur de ces mutations. - On examinera la manière dont la création artistique s’en trouve modifiée, détournée, amplifiée."


Prochaine conférence sur les relations entre les arts et les nouvelles technologies à l’Université de Namur, ce 17 octobre, en compagnie d’artistes (Nicolas d’Alessandro, Michèle Noiret, Todor Todoroff, Valéry Cordy) et de spécialistes de la question (François Bodart, Magali Boudissa).

Voici longtemps (plus de 30 ans), que je suis et accompagne cette question des « nouvelles technologies », observant et analysant les mutations qu’elles entraînent et dans le champ social et dans le domaine des arts.

La toute première fois, ce fut lors d’une mission de recherche au Québec en 1976. Les nouvelles technologies, c’était alors la vidéo, les (premiers) balbutiements de l’art par ordinateur… et l’utilisation de l’électricité dans les arts plastiques, utilisation qui a alors connu une sorte d’âge d’or.

On était déjà entré dans les années-vidéo. Si riches. Et qui ont modifié en profondeur les pratiques artistiques Il n’est que de citer l’œuvre ironique et prolifique de Nam June Paik pour s’en convaincre.

Véra Molnar commençait son œuvre de pionnière et poursuivait son chemin si singulier : entre machines réelles et machine imaginaire, l’ordinateur lui servant d’assistant, d’amplificateur… Mais sa main (et son esprit) venait dévoyer, rectifier ou souligner AUTREMENT les algorithmes de la machine.

Les années 1990 virent l’arrivée, dans le champ des arts plastiques, de l’image dite « de synthèse ». Formule efficace qui nous plongea dans les mondes artificiels. Les ingénieurs, de leur côté, ne cessaient de progresser : dans le rendu des matières, la captation et l’analyse du mouvement, etc.

C’est ensuite l’explosion. On entre dans l’ère des mondes virtuels. On s’immerge dans des mondes artificiels. Nos sens se trouvent amplifiés. L’homme se dote de prothèses sensorielles (lunettes, gants, bardés de capteurs) et vient évoluer dans des paysages artificiels.

Ce sont maintenant tous les arts (danse, musique, cinéma, théâtre, arts plastiques, etc.) qui sont envahis et renouvelés par l’apport de technologies amplifiantes. Des technologies qui accroissent et multiplient la portée de nos sens et ouvrent la voie à l’auscultation d’autres univers.

Comme le disait si joliment le groupe japonais Dumb Type :

« Entrez. Et venez sous la cascade. »

En « nocturne »

Détail du colloque