vendredi 14 septembre 2018

Salvador de BAHIA - Théâtres de la Cruauté.



En hommage à l’ombre « haute en couleurs » d’Antonin Artaud (une partie de ses œuvres entreront, en France, dans le domaine public le 1er janvier 2019 et l’on voit déjà toute une pelletée d’amateurs se placer dans les starting-blocks de la « grande invasion du Mômo »), un colloque et un Festival de théâtre (FILTE) viennent d’avoir lieu à Salvador de Bahia (voir le blog précédent).

L’Amérique latine a toujours manifesté des accointances particulières avec l’œuvre du poète qui fit au Mexique en 1936 un voyage qui le marqua de manière indélébile. Cosmopolites et ouverts aux merveilles de tous les archaïsmes, les textes et la vie même d’Artaud contiennent un nombre considérable de références au continent sud-américain.

Les spectacles, performances, conférences et ateliers de travail (qui se sont succédé dans les différents théâtres de Salvador du 1er au 9 septembre 2018) furent marqués par l’importance accordée au geste, à la voix, à la mise en scène spatiale.

On y a vu défiler des troupes venues de l’ensemble du Brésil et de l’Uruguay, et des conférenciers en provenance du Chili, de l’Uruguay, de la France et du vaste Brésil. Le colloque même fut très marqué par une double référence : - aux travaux effectués - parfois dans la perspective d’Artaud - dans les milieux psychiatriques (Nara Salles et Renata Berenstein) - aux expériences sonores et vocales (Tania Faras, Paula Molinari, Annie Murath, etc.), pouvant rejoindre les modulations de la voix d’Artaud acteur et homme de radio ainsi que ses fameuses glossolalies :

      ma lil trac
      ra del tigalike
      tapa like
      adel tagal


La cruauté ici n’est jamais loin. Dans beaucoup de cas, elle s’ancre dans des textes (ou montages de textes) d’origines très diverses : de Shakespeare (Titus Andronicus Reverbe. Territorio Cênico) à Gabriel Garcia Marquez (texte d’O Galo) et dans la vie même des personnages (Frida Kahlo, de Fernando Santana). Mais c’est le passage par le mime (cf. le spectacle d’Amok Teatro), le jeu ou l’exposition du corps (O problèma é por que sou lucido ? de Felipe Monteiro, Cartographie de abismo de Luis Alonso), les ondulations de la voix (Evocando de Mortos, avec Tania Farias), le « tremblement » de la scène qui forent plus avant dans le domaine de la cruauté.

Cette intensité, cette CRUAUTE s’ancrent dans le jeu social et le grand corps politique d’une nation (le Brésil) et d’un monde (le nôtre) qui n’en finissent pas de basculer. Comme bascula (en son temps) l’univers où Antonin Artaud arrima la trajectoire de sa dépouille de chair et d’os - malade et triomphante, mal faite (par dieu et « tous ses saints ») mais refaite et RECRÉÉE par la puissance du verbe, des nerfs, des muscles, du chant et du souffle de la voix.

Rendons hommage donc au FILTE, à son directeur, Luis Alonso, et à l’ensemble de son équipe qui - d’année en année - explorent et amplifient le champ d’action et d’expérimentation de l’ensemble des « Théâtres de la cruauté ».

Résumé de mon intervention au Colloque :

Artaud au risque du corps… et de l’Amérique latine

"Rabattre les montants, reprendre le harnais, abandonner le harnais, se reprendre soi-même hors harnais, faire de soi-même un harnais d’étal et de l’être une boucherie, forcer dans la boucherie du cœur jusqu’au feu parce que le cœur m’a trahi… » (Cahiers de Rodez, février 1946)

Embryon prénatal. Corps manipulé de l’enfant. Corps adolescent. Corps de la guerre. Corps soumis à toutes les tutelles politiques et sociales (école, médecine, armée, santé, institutions psychiatriques). Corps dessinant, parlant, marchant, « travaillant ». Corps du théâtre, de la voix, du cinéma. Corps asilaire. Anticorps politique. - Artaud fait d’un corps contraignant un instrument de rébellion. La refonte du théâtre est au cœur de cette mutation. -

Le recours aux forces de l’Amérique latine (« forces du Sud », opposées aux puissances délétères de l’Occident - Europe et Amérique du Nord) occupe sa vie. - Cette renaissance culturelle passe par un appel aux forces vives de l’esprit et du corps. Le théâtre se fait « shamanique » et curatif (cf. l'ouvrage évoqué ci-dessous, Antonin Artaud e a America latina).

Programme de l’édition 2018

Livre Eis Antonin Artaud


1 commentaire:

Erwan Blesbois a dit…

Au risque du corps… d'accord !

"On n'a jamais vu de chien faire, de propos délibéré, l'échange d'un os avec un autre chien."
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776)

Adam Smith

En général les gens de gauche refusent les inégalités sociales mais acceptent d'être remplacés au nom de la bonne conscience de gauche et par expiation des crimes passés commis par les mâles blancs (croisades, esclavagisme, colonialisme, machisme etc.). Alors que les gens de droites sont favorables aux inégalités sociales mais refusent d'être remplacés et exaltent encore la figure du père, donc du mâle dominant (un mâle blanc généralement). En fait le lien entre inégalités sociales et augmentation des flux migratoires existe, et il participe du même mouvement : la quête du profit à tous les échelons de la société et qui augmente à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale. C'est effectivement au sommet de la pyramide sacrificielle (on peut faire l'analogie avec la civilisation aztèque) que l'on trouve la cupidité à l'état pur : Jeff Bezos, 162 milliards de dollars US de fortune personnelle (plus que tout le budget de l'Éducation d'un grand pays moyen comme la France, dont la grandeur est plutôt passée que future) !

Notre société est en train de mourir du manque d'utopie. Les mouvement utopistes d'obédience anarchiste ou inversement, issus de mai 68, n'ont pas fait d'enfants spirituels, ils ne se sont pas reproduits, l'esprit de révolte ne s'est pas transmis ou alors très mal. Tout est désormais noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste, et la question des flux migratoires fait partie de ce calcul, quand les naïfs continuent à parler accueil et ouverture à l'Autre avec leur cœur ; ils sont les idiots utiles de l'idéologie néolibérale triomphante et les odieux populistes sont les cloportes à écraser. Sur le terme de populisme, si aujourd'hui il a une connotation si péjorative, c'est qu'il exprime le rejet des peuple européens enracinés par les élites : mais comment se débarrasser d'une façon ou d'une autre de ces masses qui pensent si mal et qui sont complotistes ? Les déculturer totalement (c'est bien entamé !) ? Les remplacer ? Michéa a montré que le terme de populisme n'a pas toujours été si dépréciatif, mais aujourd'hui il est quasiment synonyme de fascisme ! Si cela ne suffit pas encore on psychiatrisera effectivement leurs leaders dans un pays comme la France « où se multiplient les exemples qui donnent à penser qu’une partie de la magistrature a décidé de veiller à la protection du pouvoir en place et à apporter sa pierre à la lutte contre la bête immonde. »

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