dimanche 30 novembre 2014

"INSIDE". Palais de Tokyo.

Mark Manders, Installation (détail). Photo FDM 2014.

Palais de Tokyo.
20 octobre 2014/11 janvier 2015.
Exposition collective sous forme de parcours.

De chambre en chambre, d’installation en installation, de couloir en couloirs et escaliers, il y a comme une vraie continuité. L’ensemble des œuvres se découvre au sein d’une longue itinérance, ponctuée de la découverte de mondes très divers et très riches. – À ce niveau-là, c’est une réussite.

On franchit d’abord le seuil d’une Forêt d’Eva Jospin (carton découpé et assemblé, 2012) pour se retrouver très vite au cœur de sculptures, d’architectures (Mike Nelson), de grands bâtis (Peter Buggenhout) et d’installations multimedias, distillant leurs ombres, leurs mouvements et leurs messages divers. Plus loin, ce seront des installations évoquant des sortes d’ateliers. Celle de Mark Manders dispose des figurines de plâtres (cheval, torse, visages antiques et sculptures semi-déconstruites) au centre de longues bâches ou pellicules transparentes. D’où des effets de flous, des formes et des visages embués.

Plus loin, en plein cœur d’une chambre noire, on se laissera dissoudre et perturber par un film de Christian Boltanski, L’Homme qui tousse (1969). — Le personnage n’en finit pas effectivement de tousser, de vomir et exsuder ses tripes, ses couleurs et ses formes. – Instant pénible et dissolvant.

Une vaste salle accueille plus loin l‘installation du new-yorkais Jesper Just (This Nameless Spectacle, 2011) Sur deux murs se faisant face, deux longs écrans panoramiques déploient un paysage animé, mouvant. Les deux projections dialoguent et se complètent. Assise sur un fauteuil roulant qu’elle manipule allègrement, une femme parcourt l’ensemble du paysage. La caméra subjective nous permet de suivre l'ensemble du panorama qu’elle visite. — En vis-à-vis, de l’autre côté, sur l’autre écran, un hommme la regarde, livrant la possibilité d’un autre point de vue sur une scène et une action qui se dégradent et déglinguent progressivement…

Ai-je bien vu ? Ma mémoire est-elle bonne ? Ai-je "reconstruit" l’ensemble ? Sans doute. Peut-être. — Ce sont là des questions qu’on ne peut manquer de se poser en essayant de se souvenir, de reconstruire le parcours d’une installation et – qui plus est ici – d’un ENSEMBLE d’installations. C’est bien là, aujourd’hui, le lot commun des visiteurs d’installations et amateurs de parcours multimedias, sensoriels et plastiques.

Au centre d’un couloir, une série de projections. Quelques vues fixes dont la succession peut se comprendre de manière narrative. — Comme un paysage encore : un environnement irisé, clinique. Une femme est agenouillée sur un léger piédestal. Sur ses côtés, deux brancards, blancs, sur lesquels reposent deux corps recouverts d’une sorte de drap funéraire. - Le carton nous apprend que l’artiste, d’origine thaïlandaise, Araya Rasdjarmrearnsook, témoigne ici de l’expérience qu’elle fit dans une morgue, en s’occupant de morts inconnus auxquels elle offrit lectures, chants, méditation.

À vous de découvrir, parcourir et réinventer les autres œuvres… dans les méandres du Palais de Tokyo…

Je terminerai, quant à moi, sur cette « maison d’eau » (Le Refuge) de Stéphane Thidet, dont j’avais déjà (il y a quelques années) apprécié un exemplaire lors d’une exposition à Toulouse. Il s’agit d’un simple chalet de bois, d’une maison qui ruisselle de l’intérieur (Inside) et de toutes parts, du sol au plafond. L’ensemble est sonore, harmonieux et franchement humide. Il pleut et pleut encore… et toujours…

Exposition INSIDE

Araya Rasdjarmrearnsook, Conversations I-III. Photo DR.

mardi 25 novembre 2014

LATIFA ECHAKHCH. L'air du temps.

Latifa Echakhch, L'Air du temps. Photo FDM, 2014.

Centre Pompidou.
8 octobre 2014-26 janvier 2015.
(Prix Marcel Duchamp 2013).

Jolie. Jolie. L'installation de Latifa Echakhch. Théâtrale juste ce qu'il faut. Poétique sans déborder dans le mélo. Nuageuse ou orageuse. Évidente. Soulignée simplement de quelques franges et bordures mémorielles : objets trempés dans une encre plus noire que noire.

Les nuages s'y amoncellent, moutonnent et emplissent un espace rectangulaire. Le paysage change : à l'aller, il est NOIR ; au retour, il est BLEU. Et lorsque vous vous arrêtez à mi-parcours, en contemplant les arêtes des praticables ou décors de "presque-théâtre" peints, vous êtes en plein artifice bleu et noir. Sur la tranche et sur la doublure même des mondes déclinés par Latifa Echakhch.

Le tout se dévide en deux temps et deux parcours. Noir ou bleu. Artifice et/ou réalité. Envers ou endroit. Haut et bas. Ciel ou terre.

Ces dualités sont (tout à la fois) réunies et désignées par les minces filins d'une pluie finement répétitive. - Heureuse promenade au pays de Latifa…

LATIFA ECHAKHCH - Works and projects

Latifa Echakhch, L'Air du temps. Photo FDM, 2014.

mardi 18 novembre 2014

SONIA DELAUNAY : Maillot de bain.

Costume de bain de Sonia Delaunay (1928).

De tous les vêtements réalisés par Sonia Delaunay, il en est un qui me réjouit particulièrement : ce "maillot" de bain tricoté main, moderne et d'avant-garde, qui date de 1928. Avec ses couleurs simultanées (rectangles rose saumon, triangles jaune d'or), ses formes zigzagantes (noires, blanche, beige, écrue) et son apparence si confortable.

Rien à voir avec les maillots qui suivront - en tissu, fibres, latex et divers caoutchoucs. Il s'agit là d'un maillot de laine tricotée. Chaud et douillet. - Les plus anciens se rappelleront de ces maillots qu'ils portaient sur les plages de leur enfance. La laine grattait un peu et faisait éponge lorsqu'elle était mouillée ; la fibre se détendait alors et le tout godait aux entournures. C'était l'un des charmes pervers de ces maillots fabriqués maison par la grand-mère ou la mère de famille.

Rien à voir non plus avec nos futurs bikinis, strings ou maillots à l'emporte-pièce. On comprend bien que ce maillot-ci serait plus conforme à la plastique de Laetitia Casta qu'à celle de la filiforme Twiggy des années 1960.

Le corps, au cœur de son enveloppe de laine, se loge (on le devine) aisément. — Aujourd'hui, sur les plages de Saint-Tropez, de Palavas-les-Flots ou de Copacabana, ce maillot apparaîtrait comme un brin ringard. En 1928, cependant, les "costumes de bain" de Sonia Delaunay représentaient le sommum du chic et de l'avant-garde et participaient de cette libération du corps de la femme, qui pointe son nez et sa chevelure de garçonne dans le mouvement des années folles.

Et pourtant : comme j'aurais aimé l'essayer ce maillot, et traverser (en son intime compagnie) les eaux de la piscine colorée de James Turrel.

lundi 10 novembre 2014

Couleurs DELAUNAY.

Robe-poème (1969). DR.

Quel plaisir de trouver - et retrouver Sonia Delaunay (1885-1979) dans ses œuvres et ses vagabondages, ses couleurs délurées, acidulées, contrastées, dynamiques.

Bien sûr, on est heureux de contempler ses grandes toiles rayonnantes, « simultanées », colorées et abstraites. Mais le fin du fin est de cheminer dans tous ces tissus, ces graphiques, ces lignes et ces objets de la vie quotidienne qu'elle a su, comme personne avant elle, entraîner dans le double mouvement de la quotidienneté, de la modernité.

Au hasard d'une vitrine, on se plaît à enfiler un somptueux manteau, de lainage et de feuilles automnales. Un peu plus loin, c'est une robe en zigzag et en noir et blanc qui se met à virevolter autour de votre silhouette. On terminera la promenade revêtue d'une de ces robes-poèmes qu'elle a su agrémenter de lettres, de mots déployés le long des manches, des coutures ou des ourlets.

La danse, le théâtre, le cinéma, la poésie, en un mot l'ensemble des autres arts, ont été habillés par elles de damiers, d'ocelles, de losanges, de cercles faussement (ou doublement) concentriques, de trapèzes, de zébrures et autres falbalas.

Rouges. Jaunes. Violets. Noirs. Blancs. Jade. Réséda. Sapin. Tilleul. Améthyste... Les couleurs, les matières, les formes s'offrent à la caresse des objets et ustensiles d'une vie menée sur le mode d'un allegro. D'un pizzicato. Ou d'une de ces flûtes traversières qui vous transportent et rendent mélodieux.

SONIA DELAUNAY. Les couleurs de l'abstraction
Musée d'art moderne de la ville de Paris
(17 octobre 2014-22 février 2015)


Le P'tit Parigot. Décors et costumes.1926. DR.