mercredi 26 octobre 2022

PARIS+ par ART BASEL. Success Story.

JR, Flying Ballerina #1; Paper BlocK
Triptyque, Le Havre, France 2021 (Chez Perrotin).
Photo ©FDM 2022.


PARIS+ par ART BASEL
Paris, Grand Palais Éphémère.
Du 20 au 23 octobre 2022.


J’ouvre ce « papier » par une image de JR qui nous ramène dans un grand port français, Le Havre, où je fus quelques jours durant ce dernier été. J’y retrouve les entassements de containers (colorés), les paysages de grues, dressées hautes et comme des oiseaux dans le ciel. Et - plus troublant : une ballerine qui occupe l’espace de l’une de ces « boîtes ». Ici aussi le rêve et l’incongru ont droit de cité. Le grand et le minuscule y font bon ménage. On est dans un paysage de « fiction ».

Paris, ces jours-ci, bruissait des mille et un échos d’un marché de l’art en pleine effervescence. L’électricité était palpable dans les couloirs de Paris+ par Art Basel, reconfigurant et redéployant les cartes du marché parisien de ces dernières années (marquées par une succession de Fiac qui nous laisseront des souvenirs inoubliables et bien prégnants).

A l’intérieur d’un espace plus restreint (Le Grand Palais éphémère ne pouvant sur ce point rivaliser avec l’espace du Grand Palais en travaux), on se trouvait face à une quintessence et concentration d’œuvres de très grandes qualités dont les prix se sont littéralement envolés.

Résolument (et plus que jamais internationale), avec la participation des plus grandes Galeries d’art moderne et contemporain de la planète Terre, cette foire s’est largement ouverte sur la ville. On sait que Paris regorge de Fondations, de Musées et de lieux dédiés à l’art. Places, jardins, églises, écoles d’art, etc. furent envahis par les artistes. Pour la plus grande joie de tous les publics (collectionneurs, passants, touristes, amateurs d’art et tout un chacun).

Une « success story » donc. Les médias internationaux ont été unanimes pour le noter. Il est vrai que déambuler dans les allées du Grand Palais éphémère permettait tout à la fois de se frotter à ce monde de l’art (galeristes, collectionneurs, critiques, conservateurs de musées, etc.) qui a ses codes, ses manières et ses usages, et aussi : de revoir ou découvrir pléthore de chefs d’œuvre.

Parmi les œuvres mythiques et déjà canoniques, on pourra citer un emballage de Christo, Paquet sur table, 1961 (Chez Gagosian), un Déjeuner sur l’herbe de Picasso, d’après Manet, des Calder, des Dubuffet, etc.

Vue d’exposition. Stand de Gagosian.


Personnellement je me suis régalée des petits formats de Robert Ryman, divers, variés et dont l’un se couvre partiellement d’une bande de pigments bleus. Ce qui renouvelle de façon « insensée » (mais oui !) les blancs, ocres ou gris de l’habituelle palette du peintre des formats carrés.

Je vous livre une de ses toiles, composée de touches blanches et d’un jaune chaud — de simples traits ou « barrettes » — sur le fond écru d’une toile de jute tendue en 8 points sur le support d’un cadre crème.

Robert Ryman, Untiteld #34, 1963 (Chez David Zwirner).
Photo ©FDM 2022.

La mode, le luxe, les métiers d’art se sont glissés - on le sait - dans la trame délicate de la création artistique. On ne peut ainsi « manquer » le stand de Louis Vuitton (tout en longueur dans le prolongement d’une allée). Et là - ô surprise, qui nous attend ? Une effigie en cire de Yayoi Kusama, vêtue d’une tunique rouge à gros pois blancs. Cette figure (grandeur nature ou à peu près) fut créée en 2012 lors d’une collaboration de l’artiste pour une vitrine de Louis Vuitton. - Celle-ci a donc aujourd’hui changé « de vitrine » et se retrouve dans une vitrine élargie : celle d’une Foire d’art contemporain.
Yayoi Kusama, « la reine des pois ».
(Collaboration avec Louis Vuitton 2012).
Photo ©FDM 2022.

Immuable. Hiératique, Yayoi Kusama semble ainsi veiller sur le destin et la transformation et de l’art et des foires qui lui sont consacrées. Les sacs qui se trouvent derrière elle - sur le mur et dans le prolongement du cliché ici proposé - ressemblent à des sortes d’ex-votos (plutôt "onéreux") de l’actuelle société du luxe et de la consommation d’œuvres d’art, que chacun cherche à acquérir certes "au meilleur prix". Tout en sachant que pour « valoir », l’œuvre doit être (quelque part) « hors de prix ».

Site Paris+ par Art Basel

mardi 18 octobre 2022

DES CHOSES et / ou DES OBJETS.



Van Gogh. Duchamp. Le Pop Art.

Duchamp, en forme de ready-made, 2000

"L'être de l'étant" de la tatane de Van Gogh, 2011

"Hôtel des Amériques": Essai sur l'art américain, 1996


L’objet et la machine furent une des sections importantes de l’Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (et contemporain) que je publiais en 1994 (Bordas, puis Larousse). Avec bien des ajouts dans les nouvelles éditions de l’ouvrage (la dernière remonte à 2017).

Les objets pullulent dans l’art moderne et contemporain. Les machines et les « choses » aussi (ce versant plus affectif - et plus flou, plus large, du monde des objets qui nous entourent).

Revenons sur trois livres - qui font part belle à l’objet ou à la chose. Chacun contient sa pelletée de succulences :

Roue de bicyclette, pelle à neige et porte-bouteille pour Duchamp. Sans oublier ces jeux de société et de physique amusante dont il fut si friand. L’œuvre de Duchamp n’est elle-même qu’un gigantesque ready-made dont il est si amusant de s’emparer.

Les objets présents dans les toiles de Van Gogh sont des objets souvent intimes et affectifs. Utilitaires aussi, comme ces godillots, ces chaussures, cette « tatane » dont van Gogh s’empare comme d’une nature morte… prête à décamper et s’ébranler dans les champs et sur le motif. C’est là « l’être de l’étant de la tatane de Van Gogh » : et l’histoire (plutôt rigolote) de ses avatars critiques (Heidegger, Derrida et Meyer-Schapiro).

Et enfin : les objets (poétiques et multiples) du pop art américain. Ce qui permet de les réunir tous à l’enseigne de l’Hôtel des Amériques. Des Boîtes de Joseph Cornell (encombrées de menus objets et signaux poétiques) aux objets démantibulés de Louise Nevelson (chaise, violon, volutes et planches de bois divers) jusqu’aux « natures mortes » peintes et sculptées sous forme de bas-reliefs par Georges Segal en passant par les humains ready-made du même Segal ou les objets de grande consommation d’Edmund Alleyn (et son projet de Musée de la Consommation).

A vos marques : partez chasser l’objet, la chose, l’élément bizarre, tendre ou navrant dont la contemplation, la caresse et le maniement vous réjouiront.

Quelle différences - me direz-vous entre « l’objet » et « la chose » ; entre « l’objet » et la « nature morte » ? — N’omettez pas de vous référer à votre dictionnaire. Celui-ci vous apprendra que les mots se réfèrent à des concepts qui évoluent et se transforment tout au long des siècles. Produit industriel et de série, l’objet duchampien se distingue donc de la nature morte des siècles antérieurs.

Quant au terme de « chose », son emploi est si divers, si large que l’on se demande quel aspect de notre environnement il pourrait ne pas recouvrir : « les Choses de la vie » (de Claude Sautet), le « Petit chose » (Alphonse Daudet), les Mots et les choses (de Michel Foucault), Ou Les Choses encore (de Georges Perec)…

Cela désigne toute cette « instrumentalité » ou ce simple « maniement affectif » qui - d’une manière ou d’une autre - accompagne et ponctue notre vie quotidienne : Une canne, une blague à tabac, un sac, un fruit, une roue de bicyclette ou une pelle à neige… Une boule de billard, un escargot ou un éventail. La liste est infinie et ne peut que se décliner « à la Borges » ou « à la Joseph Cornell » en optant pour un système (parfaitement aléatoire) de séries.

Nota-Bene : Je n’ai pas encore vu l’exposition du Louvre « LES CHOSES » mais, bien sûr, je vais aller à la rencontre de toutes ces « natures vives et mortes ».

Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (Larousse, 2017).

lundi 10 octobre 2022

FRIDA KAHLO. L’Icône aux Ex-Votos.

Affiche de l’exposition au Palais Galliera.
Photo Toni Frissell. Vogue US, 1937. DR.


FRIDA KAHLO au delà des apparences.
Palais Galliera, Paris.
Du 15/09/2022 au 05/03/2023.

À la mort de Frida Kahlo, en 1954, son compagnon, Diego Rivera, fit sceller la chambre et la salle de bains de celle-ci. C’est une partie de ces objets, souvenirs, photographies et documents qui sont aujourd’hui exposés au Musée Galliera, dévoilant la part intime et très riche de celle qui - de son vivant déjà - avait tout d’une icône.

Atteinte dès l’enfance par une poliomyélite qui la laissera estropiée d’une jambe, elle sera victime d’un grave accident dû à le rencontre d’une cariole et d’un tramway. Elle ne se remettra jamais de ce drame et connaîtra le cycle infernal des opérations, aggravations, rechutes. Elle subit de longues hospitalisations et doit fréquemment rester couchée.

Elle se met à la peinture : sa mère lui aménage un lit doté d’un miroir dans le ciel de son baldaquin. Frida peut ainsi voir ce qu’elle peint. D’où le grand nombre de ses Autoportraits et le fait qu’elle se mette à peindre les corsets de plâtre que la médecine lui impose.

Corsets et prothèses sont présents dans l’exposition, projetant une vision terrible de ce que fut sa vie. Celle-ci toutefois ne sombre pas dans la tristesse ou la neurasthénie. Frida se pare, se costume, apporte un soin méticuleux à son apparence. Son élégance et sa beauté font d’elle une figure rayonnante.

Elle emprunte les robes, les châles richement colorés de la région de Tehuantepec, se pare les cheveux de fleurs multicolores, confectionne de précieux colliers à l’aide de perles et de matériaux anciens. Elle s’entoure ainsi, comme d’une bulle ou d’un cocon, de matières, de couleurs, de beauté et d’artifices.

Autobiographique, son œuvre peinte fait la part belle à une vision iconique. Frida compose son personnage et transforme sa vie en une cruelle mais triomphante Saga. Elle y raconte et y expose les avatars de son couple avec Diego Rivera, peintre de fresques qui fut, lui aussi, un personnage haut en couleurs.

Frida collectionne les ex-votos, ces tableautins qui illustrent les accidents et les peines de la vie ordinaire : celle du petit peuple qui cherche à se protéger du sort ou à remercier la vierge pour sa protection contre les coups du sort. Ces illustrations poétiques et populaires sont parfois modifiées par Frida pour lui permettre de coller avec le récit de sa propre vie. Comme cet accident de tramway qui faillit lui coûter le vie et la laissa handicapée (cf. Illustration).

Ex-Voto modifié par Frida Kahlo.
©Diego Rivera et Frida Kahlo archives.


La dimension religieuse des ex-votos laisse place à une conduite de récit qui accorde aux expressions populaires une place de choix. Révolutionnaire et féministe, avant-gardiste, Frida ancre son art au plus profond des cultures populaires mexicaines.

Maladies, peines, accidents de la vie, ce récit est cruel. Et présenté par Frida de manière crue et directe. D’où les effets de censure auxquels elle va être confrontée. La reconnaissance de son œuvre sera - pour l’essentiel - posthume. Son personnage, par contre, laissera une empreinte profonde.

L’exposition abonde en documents, en particulier photographiques, qui informent sur les voyages (Chicago, New York, Paris, etc.) du couple Diego/Frida ainsi que sur les nombreuses rencontres qu’ils firent, des multiples personnages (André Breton, Trotski, Dora Maar, Jacqueline Lamba, etc.) qui se mêlèrent à leurs vie.

Frida Kahlo révélant son corset peint.
(Florence Arquin, autour de 1951). DR Collection privée.
©Diego Rivera et Frida Kahlo archives.