mardi 27 avril 2010

TADASHI KAWAMATA. DES CABANES DANS LE CIEL.

Voici venu le temps des nids, des cabanes, et des chants d'oiseau, dans les branches et les tubulures du Centre Pompidou. Tadeshi Kawamata (artiste japonais, possédant comme tel un sens atavique de l'éphémère) revisite les façades de ce Musée qui fut avant-gardiste en son temps et vieillit somme toute assez bien.

Nids d'abeilles ou de guêpes, « huts », cabanes de bois, habitats précaires, disposées à différentes hauteurs, proches du ciel ou lovés et comme greffés au cœur de la structure. - Le tout sera démonté en août à la fin de l'exposition.

Les Japonais apprécient ces constructions éphémères. Membre du Gutai, Sadaharu Horio n'avait-il pas, en 2003, investi le canal de Kobé, y construisant à l'aide de matériaux de récupération, tout un habitat lacustre, que les oiseaux et les humains avaient diversement habité au cours des trois mois de durée de l'installation.

Kawamata travaille à la réappropriation du champ urbain. L'architecture est apprivoisée, détournée, domestiquée. Les espaces se suturent autrement. Notre constructeur de nids a prouvé par le passé qu'il affectionnait les passerelles, les ponts de bois, les architectures de carton.

Dans la foulée, on peut rêver, imaginer de microscopiques cabanes, accrochées çà et là sur le pourtour de la Tour Eiffel. Ou sur le pont Verrazano (New York). Oscillant et se balançant au gré du vent...

Carton Workshop. Exposition Centre Pompidou. 10 avril-23 août 2010

samedi 17 avril 2010

ANTONIN ARTAUD "REPORTER" À SHANGHAÏ (1932).

"…rythmes et note dont le bourdonnement magique est fait pour disperser les esprits. Des baratteurs et des distributeurs de sons sont là autour de quelques gongs dont l’orientation est cherchée pour atteindre les quatre points cardinaux de l’espace." (Antonin Artaud, L’amour à Changhai)

De son enfance déjà très exotique, dans le port de Marseille où il venait attendre « Nénéka de Chine », sa grand-mère bien-aimée qui arrivait des rivages de Smyrne, jusqu’à ses derniers textes, encore marqués par l’influence de la médecine et du théâtre chinois, Artaud ne cesse d’entretenir avec la Chine des relations complexes.

Retrouvé et publié de manière posthume en 1952 (Voir, n° 429), vraisemblablement rédigé en 1932 pour le Magazine Voilà, L’amour à Changhai est un de ces textes de commande qu’Artaud rédigea pour des raisons alimentaires.

Ce texte n’en contient pas moins quelques belles notations sur la musique orientale, que le poète conçoit sur le mode d’un « pilonnage incessant » et rythmique, proche de ces rythmes africains qu’il avait pu entendre lors de sa visite de l’Exposition coloniale de 1931.

Présenté comme un reportage sur les « maisons d’amour » de Changhai, cet article fournit au poète l’occasion de la description, très noire, d’une sexualité délibérément reliée à la mort. L’une de ces « maisons » est creusée de niches. Chaque femme dispose de l’une de ces niches. L’ensemble ressemble à quelque morbide « colombarium », laissant « supposer que l’amour physique y consiste en une sorte d’affreux broiement. »

La deuxième partie du texte met en scène un estaminet russe, situé aux confins de la concession japonaise de la ville. On oscille alors entre Tintin à Shanghai et Antonin au pays des Soviets.

Lien : La Chine d’Antonin Artaud

mercredi 7 avril 2010

LUCIAN FREUD. ACADÉMISME, OBSCÉNITÉ ET ESTHÉTIQUE DU "TOP MODEL".

"Gisante aux chiffons" (1989-1990)
©Lucian Freud. Photographie DR.

"Je veux que la peinture soit chair… Je ne voulais pas simplement obtenir une ressemblance comme une imitation…" (Lucian Freud)

"Cela tient du pétale de rose et de la tartine de camembert." (Francis Ponge, sur Fautrier)

Il faut bien en convenir : dès que l’on évoque la notion d’obscénité, on est dans la subjectivité la plus totale. L’obscénité de l‘un n’est pas celle de l’autre. Et réciproquement.

On entre dans la sphère marécageuse du goût et de l’opinion. Et rien n’est plus variable. Tout au plus pourrait-on affirmer que l’esthétique de Lucian Freud n’entretient pas de grande connivence avec l’univers du « Top Model ». Toujours jeune. Toujours frais. Cryogénisé, et dont l’image ne risque pas de se faisander.

Les corps de Lucian Freud n’ont sans doute pas connu les charmes de la chirurgie esthétique. Ou bien il s’agirait d’une forme très particulière de chirurgie qui aurait nom pratique picturale, tinctoriale, pigmentaire. Elle qui s’exerce à grands coups de rabots et de pinceaux.

Il est curieux de voir que de nouvelles « feuilles de vigne » font aujourd’hui leur apparition, jusque dans les colonnes d’un Journal comme Le Monde. Et que ces feuilles de vigne revêtent, sous la plume de Philippe Dagen (cf son article du 12 mars 2010, « Lucian Freud, peintre académique de l’obscène »), les noms de Gerhard Richter, Martial Raysse, Sigmar Polke et (plus curieusement quand on considère ses grandes figures renversées) de Georg Baselitz.

Comment alors considérer la supposée « obscénité », la chair et la pâte innommable de ces autres vieilles lunes qui pourraient avoir nom Rubens (et ses grands nus), Gustave Courbet (L’origine du Monde), Manet (et son Olympia), etc ? Sans même parler des fastes sanglants, « réalistes » et plus récents, du body art des années 1970.

Quant au supposé académisme, au « réalisme cru » qui serait, selon Dagen, celui de Lucian Freud, ils présupposeraient tout de même une certaine « ressemblance » par rapport au modèle, laquelle se trouve balayée d’emblée par la position, des plus tranchée, affichée par Lucian Freud lui-même et son refus de toute forme de ressemblance « imitative ». Propos corroborés par l’examen des photos d’atelier présentes dans l’exposition. Les modèles du peintre ne sont pas, en tant que modèles pétris dans leur propre chair, « monstrueux ». C’est leur portrait qui pourrait apparaître — ou se lire — comme tel.

La peinture, on le voit, est entrée en lice. Et le travail du peintre qui a tout modifié, amplifié, transformé. — L’académisme n’est plus alors ici qu’un processus de « lecture » qui renvoie le regardeur, le critique ou l’esthète à ses propres jugements. Lesquels témoignent souvent d’habitudes culturelles des plus académiques.

Si l’envie vous prend de visiter l’exposition de Lucian Freud, sortez de l’esthétique tout de même assez « coincée » du « Top Model ». Et n’oubliez pas que vous avez affaire non point aux pages glacées et glamour d’un magazine people, mais (tout bonnement : l’aurait-on oublié ?) à DE LA PEINTURE.

*Sur « l’informel », les « matériaux innommables » et le traitement de la « figure » : Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain, Larousse, 2008.

Lucian Freud. L'Atelier. Exposition Centre Georges Pompidou. 10 mars-19 juillet.

dimanche 4 avril 2010

LUCIAN FREUD. LA CHAIR COMME UN PAYSAGE.

Homme nu vu de dos (1991-1992).
©Lucian Freud. Photographie DR.

On peut bien sûr, dans l'œuvre de Lucian Freud, en appeler à l'autre Freud (Sigmund), y lire quelque puissant atavisme… Mais c'est de peinture qu'il est d'abord question. D'une peinture puissante, au couteau, à la pointe et sur le plat du pinceau. Une peinture de palette encore humide. Les couleurs giclent, s'étalent, explosent en grumeaux, flammèches pour, tout à côté, se répartir en lamelles aussi appliquées que les lames d'un parquet. Mais les lamelles, à leur tour, quand elles entrent dans le vif de la chair, tournent et se contournent, se lovent dans le creux des plis.

Vous pouvez regarder de près, de très près : la touche y est d'une extrême variété. À tel point que l'on ne peut plus parler de "touche" et que l'on assiste à une réinvention de l'incarnat, cette représentation (que l'on voulait "précieuse") de la chair.

Le bistre, le gris, le caca d'oie avoisinent ici les roses et les blancs. Les bleus, les verts y circulent comme autant de veines ou de varices dans le marbre de la chair.

Cet homme nu, assis et de dos, n'est plus qu'une montagne, un dôme de chair où circulent les veines et bat le sang de la peinture. Le rouge laineux du tapis qui avoisine ce corps (ce rouge laineux qu'on croirait sorti tout droit du fameux texte de Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception) n'est là que comme le piédestal et le contrepoint de cette masse de chair, rosée, bleuie, veinée, grise parfois et où saillent les muscles.

La chair des tableaux de Lucian Freud est une chair "ajoutée", réinventée. Une chair peinte et explorée. Le modèle a été revisité. On est bien au-delà de ce que l'on nomme "ressemblance". L'artiste a usé de ses instruments, de ses scalpels et instruments de microchirurgie, réinventant ce paysage de chair. C'est de la palette même du peintre que surgit devant nous ce qui a nom "chair". Et "paysage".

Quant aux figures, elles sont souvent campées dans des espaces renversés, enfermées et magnifiées au sein d'une configuration spatiale, qui n'est pas sans rappeler la "triangulation" de certaines toiles de Degas. Ou de Van Gogh.

Lucian Freud. L'Atelier. Exposition Centre Georges Pompidou. 10 mars-19 juillet.

jeudi 1 avril 2010

3e IMPÉRIAL. YVES GENDREAU ET L'ART INFILTRANT.

Québec, juin 2008. Photographie ©FDM

Retour en arrière (à une époque antérieure à ce blog) et mouvement de prospective : l'avenir du 3e Impérial, ce groupement d'artistes pratiquant ce qu'ils dénomment joliment (mais n'est-ce pas aussi fonctionnel et opérationnel ?) de l'art "infiltrant".

Soit une manière d'être au monde et au réel qui tienne compte d'un esprit ludique, mais aussi critique.

L'ENVERS DE L'ENDROIT : "Comment penser, percevoir, sentir et amuser le réel de façon dynamique ? Comment échapper à la stabilité du monde et du présent avec l'objectif de les transformer ? Comment révéler l'invisible ? (…) À vous maintenant de réinventer le miroir d'Alice…" [3e Impérial, Texte de Programmation, 2009-2010)

Basé à Granby, petite ville de la province québécoise, le 3e Impérial accueille des artistes en résidence et les invite à travailler en accord, correspondance ou osmose avec le lieu et ses habitants.

Cela donne des pratiques hautement diversifiées : travail sur le rêve de Karen Elaine Spencer, "Morceaux de Paysage" d'Émilie Rondeau, "Forêt d'os" de Stéphane Gilot, etc.

Danyèle Alain et Yves Gendreau "posent" ou se posent ici (au cœur d'une photographie), en bordure du fleuve et devant l'œuvre en construction de ce dernier qui portait un titre trilingue (français, micmac et anglais) :

Là où la terre fait danser les mâts.
Na nàdèl dàn sibu gisàdogol mêdogoml amalkan.
Where masts come to dance with the land.

Les ombres s'allongent et la silhouette du photographe s'infiltre dans l'ensemble.

Nous avons le contexte de l'œuvre (les rives du fleuve en cette journée de printemps), une sculpture en construction (un ensemble de "mâts" faisant écho aux mouvements des bateaux sur le fleuve), mes deux protagonistes québécois et leurs doubles d'ombres, un autoportrait enfin, silhouette négative et marque de ce qui fut. — Un bref instant.

www.3e-imperial.org