jeudi 27 mars 2014

ARTAUD VAN GOGH. De l'électrochoc.

Couverture de « Sur l’électrochoc, le Cas Antonin Artaud »
(Blusson). Dessin de Georg Baselitz, linogravure, 1982.

VAN GOGH / ARTAUD.
Le suicidé de la société
Musée d’Orsay. 11 mars-6 juillet 2014

« Il y a dans l’électrochoc un état chute,
une espèce d’abandon en flaque
par lequel passe tout électrisé […].
J’y suis tombé et ne l’oublierai pas.
Le Bardo est cette désintégration infernale, cette espèce de
moléculation souffle après souffle du râle,
que l’agonie donne à chaque mourant et que l’électrochoc impose au vivant. »
          (Antonin Artaud, Œuvres complètes-XII-217)

Les grandes expositions génèrent un flot considérable de clichés, de formules toutes faites, reprises à satiété et en dehors de tout contexte. Trouver la formule CHOC, celle qui est censée MARQUER un auditoire. Et placer – bien sûr — son utilisateur en « tête de gondole », dans le référencement de tête d’Internet. Cela est aujourd’hui le lot commun de tout internaute. Le Critique du Monde échappe-t-il à cette règle ?

Comment le public reçoit-il l’utilisation de cette formule bien malheureuse du vocabulaire courant ? Recevoir un électrochoc, dit-on couramment, ce serait bondir, sursauter, se réveiller… Serait-ce là, si je comprends bien, le sens de la formule que Philippe Dagen donne à son papier au titre éloquent du 14 mars dernier, « Van Gogh-Artaud, l’électrochoc », (Voir dans Le Monde) ?

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la réalité médicale et psychique des électrochocs RÉELS est bien différente. Celui-ci, comme son nom l’indique, produit bien un choc (électrique). Mais le résultat cherché est l’obtention d’un coma de courte durée, d’un sommeil, d’une « perte de conscience », d’où l’individu émerge généralement le cerveau très « enbrumé ». Avec des pertes de mémoire, des troubles du langage, de l’attention, etc.

On imagine donc le public du Musée d’Orsay – tout ce beau monde qui défile aujourd’hui (religieusement ou non) devant les toiles de Van Gogh et les dessins du Mômo — hébété à la suite du « CHOC » escompté. - Secoué de soubresauts, perdant tout repère, tombant dans un sommeil agité et incapable désormais de réagir à ces toiles et ces dessins qu’il ne peut plus voir.

La réalité de l’électrochoc est AUTRE. Et bien plus terrible que ce que les usages détournés du terme laissent entendre. — L’électrochoc ayant joué – dans le CAS d’Antonin Artaud – un rôle fondamental en ce qui concerne son STATUT de « Suicidé de la société* », il convenait de le rappeler.

* Ce terme de « suicidé » n’est d’ailleurs nullement innocent, puisqu’à l’époque où Artaud reçoit ses premiers électrochocs, et dans l’hôpital même où il est interné en 1942 (Ville-Évrard), les médecins reconnaîtront explicitement avoir eu « des morts » à la suite du traitement. (Cf. l’ouvrage de Lapipe et Rondepierre, Contribution à l’étude physique, physiologique et clinique de L’Électrochoc, Librairie Maloine, 1943, ouvrage abondamment cité dans mon livre, Sur l’électrochoc, le Cas Antonin Artaud, Blusson, 1996).

Artaud vivra l’électrochoc à la façon d’un viol et d’un meurtre – ce meurtre qui fait de lui un « suicidé de la société ».

« L’électrochoc, Mr Latrémolière*, me désespère, il m’enlève la mémoire, il engourdit ma pensée et mon cœur et fait de moi un absent qui se connaît absent et se voit pendant des semaines à la poursuite de son être, comme un mort à côté d’un vivant qui n’est plus lui, qui exige sa venue et chez qui il ne peut plus entrer. » (Artaud, Œuvres complètes, XI-13)

* Le Dr Lamémolière, médecin qui lui administre les électrochocs à l’asile de Rodez.

Sur l'électrochoc : le cas Antonin Artaud

mardi 18 mars 2014

CARTIER-BRESSON. Un regard. Un monde.

Affiche de l'exposition (détail).

Henri Cartier-Bresson.
Centre Pompidou, Paris
12 février - 9 juin 2014

Baisers « volés ». Suspension du pas d'un promeneur au-dessus de la flaque d'eau qu'il enjambe. Giacometti saisi dans l'instant où il ressemble à l'une de ses statuettes. Prostituées « à la cangue », émergeant des minuscules fenêtres qui leur permettent de s'offrir au regard. Escaliers clichés dans le droit fil de perspectives plongeantes et de contre-plongées esthétisantes... Foule chinoise agglutinée...

Un regard, un monde se font face. - Henri Cartier-Bresson est connu pour l'exceptionnelle acuité de son regard, la saisie au quart (ou au millième...) de seconde de « l'instant décisif » : ce moment miraculeux, cet « inframince* » à la Duchamp qui advient tout d'un coup, ajustant l'œil du photographe à ce monde qui tournoie autour de lui.

Car - ne l'oublions pas - en regard du photographe c'est un univers qui se déploie. Bruyant. Mouvant. Indomptable. - Des univers, faudrait-il tout aussitôt ajouter. Car le monde est pluriel, polyvalent et d'une inimaginable diversité.

La photographie n'est possible qu'à cette seule condition : que, face au regard du photographe, il y ait précisément un monde, c'est-à-dire des paysages, des gens, des attitudes, d'autres visages et d'autres regards, des nuages, des rides, des perspectives et des points de vue.

Ces mondes-là ne cessent de se renouveler, d'évoluer, de muer. D'où la nécessité (sans cesse) d'une nouvelle attention, de nouvelles acuités.

Lorsque la splendeur ou l'incongruité du monde et le regard d'un photographe particulièrement doué se retrouvent connectés - et comme abouchés l'un à l'autre - alors, une grande œuvre peut surgir.

Mais cela nécessite que le photographe soit un nomade et un errant. Un voyageur de la perception. - Découvrir sans cesse de nouveaux visages, de nouveaux paysages, de nouvelles contrées - l'Espagne de 1937, la Chine des années 1950, le bloc soviétique, l'Amérique du Nord et ses curieux rituels, etc.-, cela aiguise le regard et lave toutes ces taies qui s'accumulent sur les regards des jours ordinaires de la sédentarité.

À moins que ce monde-là soit tout à la fois si proche et si lointain qu'on puisse en découvrir les facettes de rêve, d'horreur ou bien de dérision. Car l'on voyage aussi sur place et dans ce monde de la proximité où adviennent le hasard et tant et tant de surprises visuelles.

* « Inframince » : désigne chez Marcel Duchamp cette (im)possible surface de séparation entre deux corps, deux substances, deux textures ou deux idées.

Site de la Fondation Cartier-Bresson

Sur le Parvis Beaubourg, 2014 Photo © FDM

lundi 17 mars 2014

BILL VIOLA. Immersion. Le rêve de l'eau.

Ascension de Tristan, 2005. Photo DR.

Bill Viola
Grand Palais. Paris
5 mars-21 juillet 2014

Pénétrer dans une exposition de Bill Viola consiste à s’immerger dans le grain et le flou de ses premières vidéos des années 1980. Vidéos aquatiques et troublantes. Comme ces mirages qu’il rencontra dans le désert en 1979.

Ses installations ont acquis, au fil du temps, de l’ampleur et sont techniquement plus sophistiquées. Mais l’impression première demeure : nous plongeons en sa compagnie au sein d’un monde constitué d’images primordiales. Vie. Mort. Ascension. Sommeil. Naissance et délitement des formes.

Il n’est pas innocent d’apprendre qu’à l’âge de 6 ans, l’enfant Bill Viola fit la singulière expérience d’un plongeon (accidentel) au fond d’un lac. Émerveillé par l’étrangeté du monde qu’il découvrait, il s’assit alors – tranquille - au fond de l’eau.

De ce lac, de ces eaux, de l’inquiétante étrangeté de formes évoluant comme au ralenti, de ces bulles d’air remontant à la surface, de ces couleurs et lumières irisées, Bill Viola n’est jamais revenu.

Transmué en une sorte de mutant à la sensibilité amphibie, il n’a de cesse de nous attirer vers ces profondeurs où tout s’effectue de manière magique et comme au ralenti.

Nous nous retrouvons absorbés au cœur de l’image. Nous « habitons l’image » et découvrons autour de nous des mondes peuplés d’algues et de cheveux flottants, de plans et de surfaces qui ressemblent à des pierres tombales.

Les humains y nagent, y flottent. Et lorsqu’ils traversent une forêt, c’est encore sur le mode d’un léger ralenti.

L’univers de Bill Viola n’en reste pas moins un monde humain, sensible et passionnel. Rien à voir donc avec la rigueur ou la froideur technologiques. Les cinq personnages de The Quintet of the Astonished (2005) déploient avec une extrême lenteur toute la gamme des passions humaines.

Ce monde est-il sensuel, charnel ? Je n’en crois rien. — Ce monde est peuplé de fantômes, de passants, de rêveurs… émotifs, sensibles…, mais détachés.

La chair même est devenue légère, s’est amenuisée.Nous atteignons la pure sublimation des passions et des émotions. Et sommes bel et bien IMMERGÉS dans cet IMMATÉRIEL auquel j’ai naguère consacré un gros ouvrage…

Le Site de Bill Viola

Éléments de bibliographie :

Arts et nouvelles technologies, art vidéo, art numérique, Larousse, 2004.

Sur Bill Viola et le principe de l’immersion : « Habiter l’image », in Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain, Larousse, 2004-2008.— Bill Viola : 25 occurrences.


« Aqueuse, floconneuse, flamme, neige ou poussière, l’image vidéo renvoie à la fluidité d’éléments en perpétuels ajustements et réajustements. Il faudrait insister sur ce caractère fluidique de l’image vidéo et sur l’importance toute particulière de l’eau dans l’art vidéo, comme dans […] la bande […] de Bill Viola sur le Japon (Hatsu Yume [First Dream], 1981) : l’eau y fonctionne comme miroir des couleurs et source de toutes anamorphoses. Taches, irisations et reflets, l’arc-en-ciel est directement présent dans la couleur. Jamais la vidéo n’a été aussi purement aquatique. Les eaux roses et mauves de ces nouveaux Nymphéas miroitent et se dissolvent en arabesques « fluos », mobiles et fluides… » (Florence de Mèredieu, « L’implosion dans le champ des couleurs, Communications,Vidéo, n° 48, 1988.)

Pour voir la totalité de l’article

Arts et nouvelles technologies, Larousse 2005.

dimanche 2 mars 2014

ARTAUD / VAN GOGH. Rencontre avec Florence de Mèredieu.

Couverture et 4e de couverture de Van Gogh/Artaud.
Ciné-roman Ciné-peinture (2014).

L'Écume des Pages
et Les Éditions Blusson

vous invitent à une rencontre

avec Florence de Mèredieu
à l'occasion de la parution de

VINCENT VAN GOGH
ANTONIN ARTAUD

CINÉ-ROMAN, CINÉ-PEINTURE


Le Jeudi 13 mars, à partir de 19h00

Librairie L'Écume des Pages
174 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
Tél : 01 45 48 54 48

ARGUMENTAIRE

Interné 9 ans dans les hôpitaux psychiatriques, Artaud regagne Paris en mai 1946. Il a vécu la période de l’Occupation dans les asiles de Ville-Evrard et de Rodez, et demeure marqué par le bombardement atomique de Nagasaki.

Au Musée de l’Orangerie s’ouvre, en janvier 1947, une exposition Vincent Van Gogh. La visite de l’exposition, les lettres de Van Gogh à son frère ébranlent le poète. Dans les semaines qui suivent, il rédige « Van Gogh le suicidé de la société ».

Texte de voyant. Texte apocalyptique. La peinture de Van Gogh s’y révèle atomique, lézardée, fissurée. Rhizomatique. Artaud et Van Gogh se font face. Ils se retrouvent happés l’un dans l’autre, entraînés, broyés, tour à tour fragmentés dans le maelström de la touche de l’un, la graphie nerveuse et électrique de l’autre.

VAN GOGH / ARTAUD.
CINÉ-ROMAN. CINÉ-PEINTURE.
L’univers entre dans un processus de déflagration généralisée. La trame de leurs œuvres se fissure. Disséminées, les touches, les boucles de l’écrit et les hachures du trait forment une matière riche. Dense. Qui ouvre la porte aux audaces de l’art moderne et contemporain… Les André Masson et Jackson Pollock, Soutine et Fautrier, Francis Bacon et Cy Twombly.

PASSER OUTRE
PLONGER
DANS LA PEINTURE
L'ÉCRITURE
LA NÉVROSE
LA GUERRE
LE DESSIN
LA TRAME
LE TRAIT

Le livre aux Éditions Blusson