dimanche 4 avril 2010

LUCIAN FREUD. LA CHAIR COMME UN PAYSAGE.

Homme nu vu de dos (1991-1992).
©Lucian Freud. Photographie DR.

On peut bien sûr, dans l'œuvre de Lucian Freud, en appeler à l'autre Freud (Sigmund), y lire quelque puissant atavisme… Mais c'est de peinture qu'il est d'abord question. D'une peinture puissante, au couteau, à la pointe et sur le plat du pinceau. Une peinture de palette encore humide. Les couleurs giclent, s'étalent, explosent en grumeaux, flammèches pour, tout à côté, se répartir en lamelles aussi appliquées que les lames d'un parquet. Mais les lamelles, à leur tour, quand elles entrent dans le vif de la chair, tournent et se contournent, se lovent dans le creux des plis.

Vous pouvez regarder de près, de très près : la touche y est d'une extrême variété. À tel point que l'on ne peut plus parler de "touche" et que l'on assiste à une réinvention de l'incarnat, cette représentation (que l'on voulait "précieuse") de la chair.

Le bistre, le gris, le caca d'oie avoisinent ici les roses et les blancs. Les bleus, les verts y circulent comme autant de veines ou de varices dans le marbre de la chair.

Cet homme nu, assis et de dos, n'est plus qu'une montagne, un dôme de chair où circulent les veines et bat le sang de la peinture. Le rouge laineux du tapis qui avoisine ce corps (ce rouge laineux qu'on croirait sorti tout droit du fameux texte de Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception) n'est là que comme le piédestal et le contrepoint de cette masse de chair, rosée, bleuie, veinée, grise parfois et où saillent les muscles.

La chair des tableaux de Lucian Freud est une chair "ajoutée", réinventée. Une chair peinte et explorée. Le modèle a été revisité. On est bien au-delà de ce que l'on nomme "ressemblance". L'artiste a usé de ses instruments, de ses scalpels et instruments de microchirurgie, réinventant ce paysage de chair. C'est de la palette même du peintre que surgit devant nous ce qui a nom "chair". Et "paysage".

Quant aux figures, elles sont souvent campées dans des espaces renversés, enfermées et magnifiées au sein d'une configuration spatiale, qui n'est pas sans rappeler la "triangulation" de certaines toiles de Degas. Ou de Van Gogh.

Lucian Freud. L'Atelier. Exposition Centre Georges Pompidou. 10 mars-19 juillet.

2 commentaires:

Gilbert Pinna, le blog graphique a dit…

Lucian Freud ou la chair “délivrée”, littéralement obscène - qui s’expose publiquement, sur la scène, sur le tableau - chair aseptisée et transitoire, qui disparaît comme une membrane diaphane, qui donne à deviner, en la délivrant, la vie secrète du corps, les flux des veines et du sang, la vie pulsionnelle, la sourde mécanique des organes…

fdemeredieu a dit…

Merci pour ce commentaire.

En réponse une nouvelle note sur Lucian Freud et cette question de l'obscénité.

Notons que ce que l'on perçoit, ce sont les traces de la vie sourde du corps et des organes.

Pas de tripes. Pas de "viande". A l'inverse de ce que l'on trouve chez le grand Francis Bacon.
De la "chair".

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