vendredi 9 novembre 2018

Paris Photo 2018 : Couleurs.

© Erik Madigan Heck, Honeycomb (Nid d’abeilles), 2015.
Courtesy Christophe Guye Gallery.

Paris Photo - Grand Palais
Du 8 au 11 novembre 2018

La richesse et la qualité du Salon PARIS-PHOTO rendent impossible toute analyse qui se voudrait exhaustive. - Ayant insisté les années précédentes sur ce lien qui unit de manière indéfectible la photographie au réel, nous prendrons, cette année, comme fil conducteur de notre visite la problématique de la COULEUR.

La COULEUR donc. - Traversée par une double thématique : celles de de la MODE et de l’ETHNOGRAPHIE.

Deux photographes retiendront notre attention : l’américain Erik Madigan Heck, immédiatement reconnaissable à ses cadrages épurées, ses couleurs qu’il traite sous forme d’aplats presque lissés. À la façon d’estampes japonaises qui auraient basculé dans une pure vivacité de coloris et un traitement de l’image éliminant pour l'essentiel les détails. Les couleurs y sont perçues en gros plan. La figure tend alors à l’abstraction.

Le parcours est élégant. Raffiné. Hors du temps. Le résultat a tout de ces icônes de la modernité qui hantent les magazines papier et les salons d’art.

Photographe itinérant et engagé, reporter et styliste, Stephan Gladieu nous entraîne quant à lui aux antipodes: dans le monde richement coloré du peuple Héréro. Habitants des fins fonds de la Namibie, cette peuplade (qui a subi dans son histoire un douloureux génocide) n’a rien abandonné de ses coutumes et rituels ancestraux. Entrelacés sous forme de patchworks, de damiers, juxtaposés et cousus les uns aux autres, les fragments de tissus diversement colorés illuminent les vêtements et les coiffes de leurs richesses chromatiques.

On y retrouve cette science des couleurs complémentaires dont il faut bien comprendre qu’elle est universelle et que l’art de certains peuples est - de ce point de vue - en parfaite affinité avec les recherches colorées qui furent celles d’un Gauguin (bien inspiré lui-même par les Maoris) ou d’un van Gogh que la vue du midi de la France initia aux ruissellements et contrastes des bleus et des jaunes, des verts et des rouges.

Le vêtement apparaît comme un des supports privilégiés de l'usage que nos civilisations font de la couleur. Nos deux photographes ne sont, sur ce point, guère éloignés l’un de l’autre. Et cela même si leurs styles et les réalités qu’ils révèlent ne se recouvrent pas. — Les mannequins invisibles et anonymes d’Erick Madigan Heck s’opposent en tous points aux personnages si typés que photographie Stephan Gladieu. — Deux mondes s’opposent : l’univers lisse et glacé d’une certaine mode occidentale, et de l’autre, la fantaisie et touche artisanale de ces costumes que les Héréros portent avec fierté, comme signes de reconnaissance de leur ethnie.

Universelle dans ses principes, la couleur se décline encore dans ce vaste Salon de la Photo, de mille et une manières. Comme dans les sérigraphies pastellisés (et dont le détail se révèle à la façon de précises empreintes de tissus fleuris, de cheveux ou de végétaux ) de Joan Lyons.

Quant au nu - rose sur fond de soie rose - de Jo Ann Callis (Série «Early color" 1973), il révèle une autre forme de sensibilité à la couleur. Adoucie et comme descendue. Rien de « vif » ici. On demeure dans les tons et teintes intermédiaires. Couleurs de caresses, un peu passées. Sensuelles. Comme ce corps, boudiné et plissé à la façon d’un bibendum ou soumis à la pratique du bondage, qui vient fusionner avec la peau d'ange ou tissu rose qui lui sert de "fond".

Paris Photo 2018

© Stephan Gladieu, Hereros, 2017. Courtesy School Galley.

dimanche 4 novembre 2018

Tadao ANDO. La Forme du Vide.

Tadao Ando, Eglise de la Lumière, Ibaraki-Kasugaoka,
1989.Maquette. Photo ©FDM 2018

Tadao ANDO. LE DÉFI
Centre Pompidou, Paris.
Du 11 octobre au 31 décembre 2018

Tadao Ando est sans doute le plus parfait représentant de l’architecture japonaise en béton. La simplicité de ce matériau, son caractère brut lui permettent d’ancrer ses bâtiments dans une multiplicité d’espaces différents. Le volume de béton circonscrit ainsi un dehors et un dedans qui délimitent autant d’univers spécifiques.

Bien des œuvres d’Ando s’articulent autour de cette enveloppe ou ce mur (droit ou circulaire, angulaire ou régulier) qui isolent l’architecture interne - d’une maison, d’un musée ou d’une église - de l’espace qui les entoure ou bien (comme dans la re-construction de la Bourse du Commerce de Paris, en cours d’achèvement) d’une coque qui sépare et différencie les espaces et les fonctionnalités d’un même monument déjà existant. Le vide interne y acquiert de la sorte une singulière autonomie, fermé et claquemuré qu’il est souvent, à l’instar d’un blockhaus. La lumière seule y passe encore… Et le visiteur à sa suite…

Œuf, cercle, triangle ou ovoïde, le vide ainsi dessiné devient palpable. Les heures et les saisons y impriment leur marque striée, ondulatoire. - Ando apprécie particulièrement les angles, ces figures disruptives qui viennent rompre la symétrie ordinaire du monument. L’Église de la lumière (Osaka, 1989) en est un parfait exemple : l’espace y est comme tranché à vif, le regard déstabilisé et le corps même s’y perçoit comme arrimé de guingois.

L’abondance, dans l’exposition, de maquettes, entourées de photographies souvent prises par l’architecte lui-même, permet de se couler au plus près de l’ancrage du bâtiment dans le site d’où il surgit. Les pliures et plis du terrain, l’infrastructure géologique sur laquelle repose la construction, révèlent fréquemment une sorte d’osmose entre les lignes de force du monument et ces autres lignes de force du paysage ambiant.

C’est sans doute un des éléments qui conduisirent Ando à enterrer son Bouddha géant au sein d’un tumulus de verdure d’où n’émerge que le sommet de la tête de la gigantesque sculpture (La Colline du Bouddha, Sapporo, 2012-2015). - Le visiteur n’a plus qu’à pénétrer au sein du tumulus ; il y fait alors la singulière expérience d’une proximité avec cette figure sacrée que l’on ne perçoit ordinairement qu’à distance et en contreplongée.

Dans l’espace urbain, les premières maisons dessinées par Ando y furent inversement des sortes de maison-blockhaus - isolées de leur contexte (Maison Azuma, Sumiyoshi, 1976). Délibérément enveloppées dans leur carapace de béton. Fermées au contact extérieur et ouvertes sur un seul patio. La maison y retrouvait sa fonction première de défense, de seconde peau, d’armure et de protection.

Ces espaces clos, ces circonvolutions, ces lieux quadrangulaires sont plus ou moins pénétrés, hachés, découpés par une lumière qui se fait tantôt rare, tantôt prolixe. La richesse déployée par le jeu des ombres, les raies de lumière, les amples faisceaux d’une lumière zénithale qui baigne en continu certaines surfaces y est d’une grande subtilité.

BÉTON et LUMIÈRE : tels sont ainsi les deux maîtres mots de l’architecture selon Tadao Ando.

Tadao Ando au Centre Georges Pompidou

Tadao Ando, Musée de sculpture sur pierre, Kuback
(Allemagne) 1996-2010. Maquette. Photo © FDM, 2018