dimanche 29 décembre 2013

FÉLIX VALLOTON, JEHAN-RICTUS ET LA LANGUE POPULAIRE.

En couverture de cette édition du "Cœur populaire" :
"Les Petites filles" de Félix Vallotton, 1893. (détail).

Beaucoup a été dit sur l’étonnante et belle exposition Vallotton du Grand Palais. La période nabi du peintre (ou ce qui s’y apparente), l’étrangeté et l’audace des coloris, les perspectives renversées, les xylographies (ou bois gravés) au style d’une décapante modernité.

Fort prolixe sur les aspects narratifs de l’œuvre – et tout particulièrement sur l’érotisme de beaucoup de ses toiles, le parcours proposé au visiteur laisse aussi transparaître les tendances sociales et anarchisantes de Vallotton.

Or c’est précisément dans les bois gravés - comme L’Anarchiste (1892), La Charge (1893), La Manifestation (1893) ou L’Exécution (1894) – et avec l’usage elliptique et guerrier du noir et du blanc, que ces préoccupations sociales et politiques sont les plus flagrantes.

Félix Vallotton (1865-1925) s’aventure alors sur ce terrain-là de la gouaille et des habitus populaires de celui qui fut son contemporain : Jehan-Rictus (1867-1933) auquel il consacre un portrait en 1898. Il s’agissait alors d’illustrer le texte que Rémy de Gourmont consacre (entre autres) à Jehan-Rictus dans son ouvrage Le livre des Masques.

Jehan-Rictus est surtout connu pour les extraordinaires poèmes qu’il consacre au petit peuple, au monde de la misère et de la pauvreté (Les Soliloques du pauvre, qui furent illustrés par Steinlen). Son usage particulier de la langue et du « parler populaire » ne fut pas sans influencer Céline.

Le Cœur populaire (Poèmes, doléances, ballades, plaintes, complaintes, récits, chants de misère et d’amour. En langue populaire) est un des textes les plus violents de la langue française. La langue y est crue, drue. Hallucinatoire et sans concessions.
« Car, ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font font font,
deux p’tits trous… et pis s’en vont »

Livre aux Editions Blusson

L'exposition Vallotton au Grand Palais

L’Anarchiste, 1892.

mercredi 25 décembre 2013

GEORGES BRAQUE : POESIE ET AMPLEUR DES CONTOURS.

Ph. Vue d’exposition ©FDM, 2013.

Les expositions consacrées à Georges Braque sont rares et les rétrospectives de ses œuvres rarissimes. Raison de plus pour saluer l’exposition consacrée à celui qu’une histoire de l’art un peu pressée a pris l’habitude de situer dans le seul compagnonnage du cubisme et des papiers collés de Picasso.

Ce dernier contribua à faire de l’ombre et à masquer l’originalité de l’œuvre de son condisciple. Et pourtant, combien différents sont leurs parcours et l’imaginaire qui les anime. L’exposition du Grand Palais contribue — de façon magistrale et assurément décisive – à redéfinir l’ampleur et la beauté (la pure poésie) des mondes circonscrits par le pinceau, la pointe sèche ou le burin de Georges Braque (1882-1963).

Si l’on voulait déterminer d’un mot l’essentiel de ce qui fait l’œuvre de Georges Braque, je dirai que c’est l’ampleur du contour, la profondeur de la délinéation dévolue à chaque forme ou figure. Les contours (du dessin, du relief sculpté, de la forme ou de la figure) sont généralement circulaires. Plus proches du rond, de l’ovale ou de ce que l’on nomme un arrondi que des figures sèches et géométriques de Picasso.

La courbe du corps et l’aile de l’oiseau, le large serpentin que trace le corps féminin, le lasso des formes construit sur des oppositions (noir-blanc ; positif-négatif) et des asymétries douces : tout cela tranche avec les architectures éclatées de Picasso.

Une fois franchies les (belles) salles réservées au cubisme, on oublie l’ombre quasiment tutélaire de l’ami Pablo. La référence à l’antique (cf. la série des Canéphores ou « porteuses de corbeilles », 1922-1927), la déclinaison lunaire et poétique des noirs et des blancs (cf. La Théogonie d’Hésiode, 1932), l’usage si particulier et si savant de la couleur (cette couleur que Picasso reconnaissait ne pas « posséder »), tout cela nous entraîne dans un monde harmonieusement décalé. Racé. — Comme ces petits chevaux dont Braque a tant aimé circonscrire les formes en balancier.

Exposition Georges Braque au Grand Palais.


mardi 17 décembre 2013

L'AIGLE D'HIROSHIGE.

Photographie ©FDM, 2013.

dimanche 8 décembre 2013

ANTONIN ARTAUD IN THE WAR. FROM VERDUN TO HITLER.


"Mr Mutilated, Mr sawed, Mr amputee, Mr beheaded in the wire and guillotines discretion of the war." (Antonin Artaud).

1914-1918 : a generation of artists and writers (Antonin Artaud, André Breton, André Masson, Louis-Ferdinand Celine...) is projected in the Great War trenches, battlefields (Verdun), its dead and wounded psychic. Centers of neuropsychiatry are created to treat patients, who have "no apparent injuries", as quickly as possible and return to the front.

This war of 14-18, Antonin Artaud (1896-1948) will continue to relive. As actor in Verdun, Visions of History (Léon Poirier) and The wooden Cross (Raymond Bernard). As a writer, author and theater actor. - Texts and drawings of his last books are the expression of the literary and graphic war he leads against a world that has made ​​him a "mutilated", a "cut", a "remote "to be.

Between the two wars (1918 and 1939), begin a process of continued war (Michel Foucault), a world increasingly technology-medicalized and a brutalization mass (George Mosse) of civil society and the rise of a form of "mental health" and social health whose diversion will end, in Germany, in the Hitlerian fascism.

1939-1945 : Hitler (medically treated, him too, during the First World War in a psychiatric center) pulls Europe and world in a war of extermination. Artaud was undergoing psychiatric asylums, hunger, electric shocks.

This book dives into the very heart of what made ​​most of the political and cultural history of the twentieth century. The big story spells with the rhythm of the literature and art of the first half of the century. We meet these psychiatrists (and psychoanalysts) have name Charcot, Freud, Babinski, Toulouse, Grasset, Tausk, Allendy, etc.. - This Edouard Toulouse called "the biocracy" brand, even today, our entire society.

Originality of this work is to be in the pincers of two world wars and show how Artaud ( but also Céline, André Breton, André Masson and many others ...) are at the heart of a process of "war continued." The book takes into account a long time, which is also the life and work of an individual - Antonin Artaud - literally "seized" in the path that buttressed to each other both conflicts.

This is a "narrative" resolutely multidisciplinary, which addresses the issue of WAR a historical perspective, through literature, drawing, film and theater Artaud in the cultural, aesthetic, medical ("mental hygiene"), anthropological and political of the first half of the twentieth century.

A fascinating and terrific story. The book (which leans researches in the archives of the Great War) is profusely illustrated and contains unpublished documents about Antonin Artaud, Louis-Ferdinand-Céline and the Great War.

Book Editions Blusson

lundi 25 novembre 2013

ANTONIN ARTAUD DANS LA GUERRE. DE VERDUN À HITLER .

Edtions Blusson, nov. 2013.

« Mr Mutilé, Mr tronçonné, Mr amputé, Mr décapité dans les barbelés et les guillotines du pouvoir discrétionnaire de la guerre ». (Antonin Artaud).

1914-1918 : une génération d’artistes et d’écrivains (Artaud, Breton, Masson, Céline…) se trouve projetée dans la Grande Guerre, ses tranchées, ses champs de bataille (Verdun), ses morts et ses blessés psychiques. Des Centres de neuropsychiatrie sont créés pour traiter au plus vite les malades « sans blessures apparentes », et les renvoyer au front.

Cette guerre de 14-18, Antonin Artaud (1896-1948) ne cessera de la revivre. Comme acteur de cinéma, dans Verdun, Visions d’histoire et Les Croix de bois. Comme écrivain, auteur et acteur de théâtre. — Les textes et dessins de ses derniers cahiers sont l’expression de la guerre littéraire et graphique qu’il mène à l’encontre d’une société qui a fait de lui : un « mutilé », un « amputé », un « déporté » de l’être.

Entre les deux conflits (de 1918 à 1939), se mettent en place un processus de guerre continuée (Michel Foucault), une société de plus en plus technicisée et médicalisée, une brutalisation de masse (George Mosse) de la société civile et la montée d’une forme d’« hygiène mentale » et sociale dont le dévoiement aboutira, en Allemagne, au fascisme hitlérien.

1939-1945 : Hitler (soigné lui aussi, durant la Première Guerre, dans un centre psychiatrique) entraîne l’Europe et le monde dans une guerre d’extermination. Artaud connaît alors les asiles psychiatriques, la faim, les électrochocs.

Ce livre plonge au coeur même de ce qui fit l’essentiel de l’histoire politique et culturelle du XXe siècle. La grande histoire s'y écrit au rythme de la littérature et des arts de la première moitié du siècle. On y croise ces psychiatres (et psychanalystes) qui ont nom Charcot, Freud, Babinski, Toulouse, Grasset, Tausk, Allendy, etc. - Ce qu’Edouard Toulouse nommait « la biocratie » marque, aujourd’hui encore, l’ensemble de notre société.

L’originalité de l'ouvrage est de se situer dans la tenaille de deux grandes guerres mondiales et de montrer comment Artaud (mais aussi Céline, André Breton, André Masson et bien d’autres…) se retrouvent au cœur d’un processus de "guerre continuée". L'ouvrage prend en compte une durée longue, qui est aussi celle de la vie et de l'œuvre d'un individu - Antonin Artaud - littéralement "saisi" dans la trajectoire qui arc-boute l'un à l'autre ces deux conflits.

Il s'agit là d’un « récit » résolument pluridisciplinaire, qui aborde la question de la GUERRE d'un point de vue historique, au travers de la littérature, du dessin, du cinéma et du théâtre d'Artaud, dans le contexte culturel, esthétique, médical ("l'hygiène mentale"), anthropologique et politique de la première moitié du XXe siècle. – Une histoire passionnante. L'ouvrage est abondamment illustré et contient des documents inédits.

Livre Editions Blusson

Hopitauxmilitairesguerre1418.overblog

samedi 23 novembre 2013

SALGADO. GENESIS. TERRES SAUVAGES.

Genesis © Sebastiao Salgado.

L’exposition Genesis est à la mesure (et démesure) de l’entreprise de Sebastiao Salgado. Les terres et continents demeurés sauvages de la planète sont réunis – de l’extrême nord (le Canada, la Sibérie) à l’extrême sud (la Patagonie), en passant par l’Afrique, le Pentanal et l’Amazonie - en cinq univers rutilants. De noirs, de gris, de blancs. De nuages, de terres et d’anthracites. De textures végétales complexes. De peaux (humaines et animales). D’ombres et de lumières architecturées en larges plans ou circonvolutions musicales.

Nous autres citadins, engoncés dans nos cubes et sphères de béton, nos cités étroitisées, nos us et coutumes prétendument policés, nous entrons en plein rêve. Dans une réalité que nous ne parvenons plus à imaginer : celle de l’Aube du monde. Animaux, végétaux, humains appartiennent à une nature au sein de laquelle ils rivalisent de rituels et d’artifices. - Bijoux, labrets, plumes, déformations et scarifications : les tribus rencontrées par Salgado portent fièrement, innocemment, les marques et attributs de leur environnement.

Et que l’on n’aille pas nous parler ici du « bon sauvage », du regard du « colon » ou des méfaits de l’ethnographie. Le regard de Salgado se situe bien au-delà. Il nous entraîne dans un univers d’intense poésie.

Deux éléments dominent l’ensemble visuel ainsi construit par la patte de ce photographe des horizons extrêmes : une science précise des textures ; un sens affûté de l’étrange.

L’utilisation systématique du noir et blanc permet à Salgado de délinéer, damasquiner la moindre texture : relevé des plans et pitons montagneux, écailles de la peau du crocodile, scarifications de la peau humaine, centaines d’yeux brillants dans l’obscurité. Sans parler des courbes - et contrecourbes - du désert. Ou de l’état - incessamment réajusté - de l’effilochement des nuages.

Ce monde est en mouvement. Les photographies de Salgado ont enregistré la trace des élans, des transparences et des diverses transhumances : de la faune, de la flore, des humains, de l’eau et des nuages…

Nous devenons, nous sommes l’eau qui ruisselle, le nuage en surplomb, la tête de jaguar surgissant de l’épaisse végétation, le rêve poursuivi…

Exposition à la Maison européenne de la Photographie, Paris, du 25 septembre 2013 au 5 janvier 2014.

mardi 12 novembre 2013

JOSEPH CORNELL – « Hôtel des Amériques » .

« À l’enseigne de l’Étoile, de la Mer ou des Trois Rois ou encore au Grand Hôtel de l’Univers, Cornell nous invite au voyage. […] Porteur d’une culture nomade, celle des vieux greniers et des marchés aux puces, il nous entraîne dans l’univers des objets… » (FdeM)

En 1996, en hommage à l’œuvre de Joseph Cornell, à la fantaisie de ce ludion qui sut si bien enfermer l’immensité dans des espaces minuscules, j’intitule « Hôtel des Amériques » un ensemble de neuf essais consacrés à des artistes Nord-Américains (parmi lesquels Robert Rauschenberg, Louise Nevelson, Andy Warhol, Roy Lichtenstein…).

« Dénombreur d’étoiles et semeur d’infini », Cornell ouvre le bal des transparences et des opacités, des matériaux divers et patiemment accumulés, des boules, cercles, verres cassés et figurines imagées qui peuplent le fond et l’arrière fond de ses boîtes cosmiques.

Cette œuvre, « jolie » à la façon d’un livre d’images (ou d’objets), nous entraîne dans le vertige de toutes les classifications – et déclassifications - possibles. Pour m’y promener je me suis adjointe un partenaire de choix : le Grand, l’Inestimable et Très Lunaire Jorge Luis Borges.

Laissons lui la parole en conclusion de ce petit « billet », que vous pourriez « imprimer », « découper », plier et replier de manière à produire une cocotte en papier ou un vaisseau de lune, à emmener naviguer au fin fond de la « Cornell’s Sphere » :

« La Compagnie est toute-puissante, mais (…) son champ d’influence est minuscule : le cri d’un oiseau, les nuances de la rouille et de la poussière, les demi-rêves du matin. » (J.L. Borges, La loterie à Babylone)

Livre "Hôtel des Amériques"

Exposition au Musée des Beaux-arts de Lyon : octobre 2013-février 2014


dimanche 3 novembre 2013

ERWIN BLUMENFELD. Couleur. Transparence. Opacité. UNE SCIENCE DES ÉCARTS.

Couverture de Vogue , « The Red Cross »
[Soutenez la Croix-Rouge], 15 mars 1945.

Au Musée du Jeu de Paume :
photographies, dessins et photomontages.
Du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014.

Pourrait-on relier - d’un trait - les premiers photomontages et collages de la période Dada d’Erwin Blumenfeld (1897-1969), les photographies de mode et publicités des trois dernières décades de sa vie et les montages photographiques effectués durant la montée du nazisme (Hitler, Gueule de l’horreur, 1933 ; Le Minotaure ou Le Dictateur, 1937) ?

Son parcours repose sur un système d’écarts. Et de grands écarts permanents. — La surimpression d’un portrait du Führer et du négatif d’un crâne, marqué d’une croix gammée, ne peut (sur le plan de l’histoire) se lire en regard – et dans la continuité – d’autres sujets délibéréments frivoles, comme le vêtement, la mode…

Juif allemand, né en 1897, Blumenfeld subit de plein fouet les aléas et les vicissitudes de la Grande Histoire. Exilé, interné, immigré enfin aux Etats-Unis, Erwin Blumenfeld n’eut d’abord comme lien ou fil d’Ariane de sa destinée qu’un goût (immodéré) pour les images, les expériences plastiques, la photographie et la couleur, dont il découvrira les mille et une facettes photographiques en Amérique.

Le lien, s’il faut en trouver un, serait FORMEL et SENSIBLE. Blumenfeld se passionne pour l’expérimention des formes, des couleurs. Il joue sur les transparences, les surimpressions, les ajouts… de couleurs - « sur » ou « à travers » d’autres couleurs. Celles-ci alors s’additionnent pour constituer un nouveau coloris relié, de manière ténue (mais visible), aux teintes de départ.

Ailleurs, c’est une vitre, plus ou moins opaque ou gondolée, qui perturbe les formes et la distribution des couleurs, ou bien engendre des effets de "flou" (de faux flou : car tout, dans ce monde, est d'une impeccable netteté !). Le monde se fragmente et se difracte. La perception se brouille à la façon d’un kaléidoscope.

Opaque, le visage d’Hitler est, lui aussi, travaillé par la transparence. Mais il s’agit, cette fois-ci, d’une transparence (ou d’une opacité) « idéologique ». Et d’un tout autre ordre.

La mise en scène plastique, imaginée par Blumenfeld, vers la fin de la guerre en mars 1945 (en soutien à l’action de la Croix-Rouge), unit de façon magistrale les deux transparences et les deux opacités : celle plastique, de la couleur ; et cette autre transparence « idéologique » qui montre qu’en temps de guerre, le monde frivole de la mode peut être traversé par un souci (et une action) d’un tout autre ordre.

Au Jeu de Paume

Crumb Magazine

samedi 19 octobre 2013

LES 1001 VIES DE MONSIEUR CYRILLE BOSC.

Grands Masques. Ph.©FDM.

Boulonneur. Dévisseur et Déboulonneur. Soudeur de matières et matériaux divers. Poète de l’Orénoque, de ses masques et horizons lointains. Amateur de boîtes, boulons, pelles, tournevis. Récupérateur de ferrailles. Amoureux des bois flottés qui parcourent les mers et la planète, au gré des courants et des vents. Adepte du polissage et ripolinage des surfaces, Monsieur Cyrille Bosc parcourt ses différents chemins. Qui sont pluriels. Résolument pluriels.

Créateur de balancelles multicolores et de machines à gazouiller, de sortes de jouets pour de grands enfants. Monteur et montreur de marionnettes souvent de belle taille. Ou fabricateur de mondes lilliputiens, peuplés de vis, de fragments, de tous les rebuts des usages du monde. « Art Brutier » [il met souvent ses pas dans le sillage de l’Art Brut], Monsieur Cyclo-Cyrille Bosc parcourt l’univers des apparences et des savoir-faire. Il s’invente des mondes, les entasse et agrège les uns aux autres.

Une poupée surréaliste avoisine une idole d’un autre âge. Les courbes et contrecourbes d’une sculpture acérée, la selle et le guidon d’un artiste - qui n’est plus (ou pas encore, ou plus du tout ou bien pour toujours) Picasso - veillent sur l’armée des blocs, des coffres, des socles et des formes élancées qui y prennent appui.

Comment choisir entre les 1001 vies d’un "montreur" de marionnettes et de mondes plastiques qui se dédoublent et se démultiplient ? À la façon d’œuvres gigognes ou de poupées que l’œil du visiteur se plaît à encastrer (ou désencastrer, développer) les unes dans les autres, les unes en dehors des autres.

Secrètement et dans votre dos, il prépare déjà les formes et agrégats suivants, les bidons cabossés et refondus, les cercles et les flèches, les hélices qui vont servir à construire d’autres mondes. À échelle un, deux ou trois. Ou moins Zéro. Car ces mondes sont paradoxaux. Il s’additionnent ou bien s’annulent. Tant ils sont multiples, polyvalents et foisonnants.

De ces paradoxes, Monsieur Cyclo-Cyrille-Bosc n’a que faire. Il les entretiendrait plutôt. À la ligne droite, il préfère, le lent cheminement et le foisonnement des labyrinthes.

Le Passage (« un aller pour Lampedusa ») Ph.©FDM.

samedi 12 octobre 2013

SUGIMOTO ET LES POUPÉES DU BUNRAKU : DOUBLE SUICIDE À SONEZAKI.

© Hiroshi Sugimoto

Le Bunraku ou théâtre de poupées est (avec le et le Kabuki) la troisième grande forme théâtrale du Japon ancestral. Photographe et artiste contemporain, Hiroshi Sugimoto revisite une des grandes pièces du répertoire japonais.

Paul Claudel a des accents magnifiques pour décrire la gestuelle de ce qu’il nomme la « marionnette japonaise » : « La marionnette c’est le masque intégral et animé, non plus le visage seulement, mais les membres et tout le corps. Une poupée autonome, un homme diminutif entre nos mains, un centre à gestes. »

Ces marionnettes, articulées et d’assez grande taille, sont cependant d'une échelle plus réduite. D’où l’impression de densité (la quintessence de gestes et d’émotion, la « sublimation » en un mot) qui nous étreint à la vision de ces modèles (à peine) réduits – qui miment avec une telle perfection les passions humaines.

Chaque poupée est portée – et suspendue, à distance du sol – par trois manipulateurs de marionnettes. D’où la légèreté de gestes qui se déploient en apesanteur. Le corps de chaque poupée est en lévitation. Il peut marcher, tomber, rouler, se casser en deux ou se plier : il est toujours hors du sol.

En résulte une exacerbation des sentiments, des expressions. Les pleurs (on pleure beaucoup dans Suicide à Sonezaki), les rires, et la palette entière des sentiments humains, s’en trouvent comme portés au carré.

Soulignée par le son (pur et aigrelet) du shamisen, portée (en négatif) par cette part d’ombre qui entoure chaque marionnette (les manipulateurs y sont intégralement recouverts d’un costume et d’un voile noir), l’épure de chaque geste renvoie à un code précis. Les poupées se pâment, se démènent, jouent et rejouent l’exaltation des sentiments : amoureux, haineux, dépités, enjoués. – Émerveillés aussi.

Marquée certes par quelques projections vidéo très épurées et le gros-plan du visage d’une des marionnettes, la mise en scène d’Hiroshi Sugimoto demeure très classique. – Le Théâtre de la Ville, où se déroulait cette précieuse cérémonie culturelle, semblait ce soir-là, comme un fragment du Japon. Sur scène et dans la salle, des femmes en kimono. À droite de la scène, le récitant et les membres de l’orchestre, tels des insectes, pris dans l’architecture de leur costume traditionnel. Dans l’espace flottaient quelques ombres et quelques fantômes et – sur l’écran face à nous – la silhouette de pins séculaires.

Sugimoto/Bunraku

© Hiroshi Sugimoto

mardi 8 octobre 2013

FOR FUJIKO NAKAYA. THE CITY, PITCHING IN THE FOG.

Paris, 5 October 2013. - "Place de la République". Sleepless night. Gray night. Fujiko Nakaya has installed, in the median of the Place, misters and cannons fog.

I came by subway. On the platform out of the train : the security men of the RATP, dog muzzled by hand. At the exit, near the Boulevard Magenta, a Roma family (a family, we want to say a whole family - men, women, children), lying under blankets for nights that are not. In the middle of passers noise, of the crowd.

Noisy, motley, the crowd gathers in the gray median. A flow of a mediaeval gray invaded instead. We get lost. Briefly. But where do we lose ? And we find ourselves in another less dense fog : recognizable shapes, silhouettes of friends we know.

Wet puddles. The camera up against the sky. The crowd is also a fog. Dense. Sometimes so dense that one seeks emptiness, hollow. Night.

I think the Roma on the edge of the square. In this white night, the gray night is their common lot. The city is wild. "She" appropriates and eat all landscapes. - And even more human.

Fujiko, Fujiko, the city is pitching in the fog.

dimanche 6 octobre 2013

POUR FUJIKO NAKAYA. LA VILLE TANGUE DANS LE BROUILLARD.

Paris, le 5 octobre 2013. – Place de la République. Nuit blanche. Nuit grise. Fujiko Nakaya vient d’installer, sur le terre-plein central de la Place, ses brumisateurs et canons à brouillard.

Je suis arrivée par le métro. Sur le quai en sortant de la rame : les hommes de la sécurité de la ratp, chien muselé à la main. A la sortie, près du Boulevard Magenta, une famille de Roms (une famille : on voudrait dire une famille entière - hommes, femmes, enfants) couchés sous des couvertures pour des nuits qui n’en sont pas. Au milieu des passants, du bruit, de la foule.

Bruyante, hétéroclite, cette foule se presse dans le gris du terre-plein central. Un flot d’un gris moyen-âgeux envahit la place. On se perd. Brièvement. Mais où se perd-t-on ? Et l’on se retrouve dans un autre brouillard moins dense : des formes reconnaissables, des silhouettes d’amis qu’on connaît.

Des flaques humides. Des appareils photos dressés contre le ciel. La foule aussi est un brouillard. Dense. Si dense parfois que l’on cherche le vide, le creux. La nuit.

Je pense à ces Roms, sur le pourtour de la Place. A cette nuit blanche, cette nuit grise qui est leur lot commun. La ville est sauvage. Elle s’approprie et mange tous les paysages. – Et plus encore les humains.

Fujiko, Fujiko, la ville tangue dans le brouillard.

jeudi 3 octobre 2013

NAMUR. NOUVELLES TECHNOLOGIES ET CRÉATION ARTISTIQUE.

Couverture de la version anglaise de
« Arts et nouvelles technologies » (Larousse)

"La création artistique à l’ère informatique. Métamorphoses et mondes virtuels."

"Nous vivons à l’ère informatique. Les techniques numériques ont modifié en profondeur nos habitudes de vie ; elles ont infiltré le monde de la création artistique. Littérature, Design, Danse, Musique, Théâtre, Cinéma, Bande dessinée, Architecture, Arts plastiques, Performances et arts de la rue : aucun domaine n’échappe à cette « révolution informatique ».

Les implications esthétiques, sociologiques et anthropologiques de ces mutations sont nombreuses. Interactivité et participation du spectateur, effacement ou atténuation de la surface de séparation entre le public et les artistes, modification du système de présentation et de circulation des œuvres, renouvellement du répertoire des formes, création d’une sorte de deuxième peau ou de « matière virtuelle », extension considérable des limites du monde sensoriel : l’art en vient peu à peu à refléter et construire un autre « réel ». L’artiste est au cœur de ces mutations. - On examinera la manière dont la création artistique s’en trouve modifiée, détournée, amplifiée."


Prochaine conférence sur les relations entre les arts et les nouvelles technologies à l’Université de Namur, ce 17 octobre, en compagnie d’artistes (Nicolas d’Alessandro, Michèle Noiret, Todor Todoroff, Valéry Cordy) et de spécialistes de la question (François Bodart, Magali Boudissa).

Voici longtemps (plus de 30 ans), que je suis et accompagne cette question des « nouvelles technologies », observant et analysant les mutations qu’elles entraînent et dans le champ social et dans le domaine des arts.

La toute première fois, ce fut lors d’une mission de recherche au Québec en 1976. Les nouvelles technologies, c’était alors la vidéo, les (premiers) balbutiements de l’art par ordinateur… et l’utilisation de l’électricité dans les arts plastiques, utilisation qui a alors connu une sorte d’âge d’or.

On était déjà entré dans les années-vidéo. Si riches. Et qui ont modifié en profondeur les pratiques artistiques Il n’est que de citer l’œuvre ironique et prolifique de Nam June Paik pour s’en convaincre.

Véra Molnar commençait son œuvre de pionnière et poursuivait son chemin si singulier : entre machines réelles et machine imaginaire, l’ordinateur lui servant d’assistant, d’amplificateur… Mais sa main (et son esprit) venait dévoyer, rectifier ou souligner AUTREMENT les algorithmes de la machine.

Les années 1990 virent l’arrivée, dans le champ des arts plastiques, de l’image dite « de synthèse ». Formule efficace qui nous plongea dans les mondes artificiels. Les ingénieurs, de leur côté, ne cessaient de progresser : dans le rendu des matières, la captation et l’analyse du mouvement, etc.

C’est ensuite l’explosion. On entre dans l’ère des mondes virtuels. On s’immerge dans des mondes artificiels. Nos sens se trouvent amplifiés. L’homme se dote de prothèses sensorielles (lunettes, gants, bardés de capteurs) et vient évoluer dans des paysages artificiels.

Ce sont maintenant tous les arts (danse, musique, cinéma, théâtre, arts plastiques, etc.) qui sont envahis et renouvelés par l’apport de technologies amplifiantes. Des technologies qui accroissent et multiplient la portée de nos sens et ouvrent la voie à l’auscultation d’autres univers.

Comme le disait si joliment le groupe japonais Dumb Type :

« Entrez. Et venez sous la cascade. »

En « nocturne »

Détail du colloque

jeudi 26 septembre 2013

JEAN-JOSEPH GOUX : MAD MONEY. CRAZY FINANCE.


Since many years, the work of Jean-Joseph Goux, a philosopher who taught during several decades in USA, specially at Rice University (Houston), is articulated between various branches of interest, economy, psychoanalysis, aesthetics and anthropology. As soon as the era of the Tel Quel movement, to which he actively participated, at the end of the 60th, he paved the way of an original thought that has no longer ceased to unfold the pertinence of his insights. In fact, all unrolls as if the extent and duration of the financial crisis, becoming endemic and global, demonstrated the accuracy of his analysis.

L’homo economicus, well and truly, became a central figure. The power, in now, at the hands of finance. Intellectual and politicians, form now on, run behind, unable to impose other points of view and guidelines for an action, that have truly untangled the deep causes of a situation where the world is sinking day after day.

That is where our philosopher intervenes, in untangling the deep reasons (non strictly economical but also philosophical and anthropological) of the question. Man is searching for pleasures, for satisfaction, for an equilibrium between his needs and what society offers him. The exchange always was supposed to favored the full range of these needs. For a long time, the exchanges organized themselves, around a calibrated, standardized, reliable money, of which gold was the guarantee.

All entered in a state of panic in 1971, when President Nixon decided to stop the convertibility of dollar into gold. The consequences of this decision, on which we have no longer stopped to interrogate ourselves, were incalculable. The exchange rate of currencies became sharply fluctuant, and economy became more and more ungovernable. We entered in this floating zone of value, that Jean Baudrillard, also pin-pointed in regards to signs.

Because money is really a language, a way for individuals and societies to exchange more than goods, but also meanings, signs and values. It is that world that little by little became scared and crazy. To the point that we may truly ask ourselves to-day to which abyss the world is going to.

The most recent work of Jean-Joseph Goux, Le Trésor perdu de la finance folle, is rich and complex, in accordance to the whole of his work. The great culture, which heavily nurtures his thought, make him tackle the world of art, finance, fashion, literature, architecture, economy, etc… He takes us through the work of Condillac,Voltaire, Mme du Châtelet, and Rousseau (who already thought about the question of pleasure, luxury and value of things) to Freud, K.Marx and Baudrillard.

Criss-crossing, of course, the works of these economists (Adam Smith, Bentham, Ricardo, Pareto, Keynes, etc.) who since the eighteenth century, have tackled and decrypted the springs of what we called economy. “The value of money rest on a fiction”, as wrote Milton Friedman. The world also, the one of the bankers, of high finance traders, of an European currency, acephalous and paradoxical,etc…)

“Mad money”, “madness of market”, “crazy finance”, “mad capitalism”: the crisis that rocked economy displayed a disturbing vocabulary. Why these extreme wordings? Since the desappearance of the gold convertibility and the fluctuation of currencies, which lead to the absence of a stable treasure, and the collapse of pyramids of intertwined debts, is this word of madness not justified? All values, economic, financial, but also aesthetic and political, are lured in a movement that carries them toward an equilibrium that seems always unstable and that triggers bubbles, panics, according to a mechanism similar to stock-exchange. The author explores different facets and consequences of this insane conjuncture, where to-day the world is engulfed. (Editions Blusson, 2013)

The Book

Blog "Le Monde"

lundi 23 septembre 2013

MUTSUMI TSUDA / MÉMOIRES D'HIROSHIMA.

Divergences. D'Hiroshima à Los Alamos
(Editions Blusson)

Lorsque j'ai rencontré Mutsumi Tsuda au Japon, elle venait (en 2001) de réaliser une installation confrontant une photographie de son grand-père (en grand uniforme : il fut chef de la police durant la deuxième guerre mondiale) et une autre photographie de Robert Oppenheimer qui construisit la première bombe atomique opérationnelle. Celle qui fut larguée en 1945, successivement sur Hiroshima et sur Nagasaki.

Des Musées - aux Etat-Unis et au Japon - perpétuent la mémoire de ce qui fut la première catastrophe atomique. Ces mémoires sont comme le positif et le négatif l'une de l'autre. Les Musées américains proposèrent aux visiteurs des porte-clefs à l'effigie des deux bombes (Little Boy et Fat man) et de l'avion (Enola gay) qui les larguèrent sur la terre japonaise. Un timbre commémoratif fut même édité qui suscita aussitôt une plainte du gouvernement japonais.

Au Japon, ce que l'on trouve (comme au cœur du Mémorial d'Hiroshima), ce sont des cendres et des fleurs. Le 6 août - jour du souvenir "d'Hiroshima" -, les fleurs arrivent par milliers. On lâche des pigeons et l'on brûle ces oiseaux de papier plié (orizuru) que l'on offre ordinairement aux morts.

Une simple manipulation informatique a permis à Mutsumi Tsuda de transformer le regard d'Oppenheimer : partant d'une photographie dans laquelle les yeux de celui-ci sont dirigés de biais, elle a dévié la direction de ce regard qui - désormais - nous fait face.

Divergences. D'Hiroshima à Los Alamos

Art Break - Mutsumi Tsuda

dimanche 8 septembre 2013

VERA MOLNAR. PATTERNS. MÉANDRES. TRUE STORY.

Véra Molnar, 2013. Ph. ©FDM

Toute l’œuvre de Véra Molnar repose sur l’utilisation de formes et de « motifs » simples. – Patterns, formes géométriques incessamment déclinées et répétées à satiété. À la façon parfois d’un papier peint.

Mais voici que – parallèlement – surgit ce que l’on nomme un « méandre », une forme sinueuse et ondoyante, une ligne perverse et dévoyée qui (d’un coup) vient pourfendre la sagesse du « pattern ». Le « papier peint » s’en trouve gondolé, perturbé. Les lignes deviennent folles. Les formes se cassent et s’enchevêtrent.

Le mouvement, la trans-formation (au sens rigoureux du terme), la dérive formelle apparaissent en plein cœur de formes géométriques que l’on aurait pu croire rigides.

Véra Molnar a plus d’un tour dans son sac à malices de pionnière de l’art par ordinateur. Elle se joue des grilles et des codes et ne s’intéresse qu’à la sarabande et la java des formes enlacées, dépliées, réembobinnées…

Pour le plaisir des yeux. Et en accompagnement de ce rire (très conceptuel) qui devrait s’emparer de chacun de ses visiteurs. - On se croit en terrain connu. Balisé. Répertorié. Mais « Véra la chinoise », l’enchanteuse aux colifichets plastiques surprenants, a tôt fait de déstabiliser le tout.

Galerie TORRI
7 rue Saint-Claude, 75003 Paris.
du 7 septembre au 19 octobre 2013.

Magique Vera Molnar.

Magic Vera Molnar

lundi 26 août 2013

ROY LICHTENSTEIN. HISTOIRE DE L’ART ET CULTURE DE LA POMPE À ESSENCE.

Photographie ©FDM, 2013.

ROY LICHTENSTEIN
au Centre Georges Pompidou
jusqu’au 4 novembre 2013.

"Les toiles de Lichtenstein constituent une encyclopédie, un répertoire des grandes formes de l’art moderne : Cubisme, Futurisme, Purisme, Surréalisme, Expressionnisme et Art Amérindien. Sans parler de constantes références à Picasso, Léger, Matisse, Moore et bien d’autres. […]

Formes et styles se retrouvent bus, fondus comme sur un buvard. Criblés. Tramés. Le secret du peintre pop est d’avoir traité l’histoire de l’art à la façon d’un designer, d’en avoir fait une série de motifs purement décoratifs. Image proprement digérée par la typographie : la modernité se trouve alors réduite à son seul code. Surréalisme et Expressionnisme – pour ne prendre que ces seuls exemples – se voient dédramatisés, vidés de leur potentiel émotionnel initial, réduits à leur chiffre. On aboutit de la sorte à un expressionnisme in-expressif, à un surréalisme parfaitement plat, banalisé. […]

L’usage de la citation, comme le processus de reconnaissance qui s’ensuit, est sans doute un mécanisme spécifiquement publicitaire. Il s’agit de la désignation de ce qui n’est après tout qu’une marchandise. Les toiles de Lichtenstein fonctionnent bien, en ce sens, comme publicité culturelle, hommage rendu à ces produits courants que sont aujourd’hui Picasso, Monet, Matisse et Mickey Mouse. Aussi l’artiste ne choisit-il que des images devenues publiques, claires, conceptualisées. L’art est alors réduit à son seul aspect pelliculaire : image de marque et de fabrique. »

(Extraits de « Roy Lichtenstein, une rhétorique de la figure », texte paru dans Art Press, n° 63, octobre 1982. Repris dans Florence de Mèredieu, « Hôtel des Amériques », essai sur l’art américain, Paris, Blusson, 1996.)

30 ans après la rédaction de cet article, rédigé à la demande de la rédaction d’Art Press (qui connaissait mon intérêt pour l’œuvre d’Andy Warhol – œuvre si différente et sans doute aux antipodes de Lichtenstein en raison de son irrécupérable « romantisme »), je visite cette exposition du Centre Pompidou.

La concentration des œuvres d’un artiste (au sein de ce que l’on nomme des « rétrospectives ») produit un effet d’ensemble qui aboutit – dans le cas présent - à l’overdose de signes. Le blanc cru et l’éclairage brutal, dans lesquels baignent les œuvres, ajoutent à l’impression générale : des œuvres et un art en toc, en plastique, une modernité ravageuse et réductrice : tout ce que Lichtenstein décrivait du terme terrible de « culture de la pompe à essence ».

Lien « Hôtel des Amériques » : consultable dans la librairie de l’exposition.

lundi 19 août 2013

LORNA SIMPSON AU JEU DE PAUME.

Porteuse d’eau (Waterbearer), 1986
© Lorna Simpson.

Une image (« Juste une image ») de cette photographe afro-américaine, née à Brooklyn en 1960, et qui pratique avec élégance tout aussi bien la photographie, la vidéo, que la performance ou l’installation.

Cette image (Waterbearer) est comme un symptôme, une quintessence du monde de l’artiste. — NOIR et BLANC. Jeux d’ellipses. Économie de moyens. Saisie du mouvement. Représentation d’un réel ludique et graphique.

On est dans le constat et l’ethnographique : deux contenants – de matières et de matités distinctes (un flacon de plastique opaque ; un broc de métal à la rotondité presque cézanienne). La pesée, la soupesée de ce qui possède un poids (l’eau), se mesure à l’arabesque de la gestuelle.

De part et d’autre de la masse blanche du vêtement, deux filets d’eau encadrent la scène. Le cou, les bras – tout de noir polis — se distribuent dans un gracieux dénivelé.

LES LETTRES - elles aussi noires sur le blanc de l’espace – y sont une autre géométrie, une autre grille. Qui fait sens. Mais défait aussi le sens, le court-circuite. Ce que nous nommons si pesamment le « conceptuel » n’est (chez Lorna Simpson) qu’une touche. Un ensemble de signes troublants, légers…

On cherche le son – qui pourrait accompagner l’image. Quelques gouttes (ou notes) de piano : de ce piano que l’on entend dans une autre des installations en NOIR et BLANC de l’exposition [Chess (Échecs), 2013]. Ou le son de la voix…

Cette « Porteuse d’eau » de Lorna Simpson pourrait figurer dans l’une ou l’autre des œuvres (fréquemment bi-colores) de Robert Wilson (Le Regard du Sourd, 1971, ou « I Was Sitting on my Patio This Guy Appeared I Thought I Was Hallucinating », 1977.). — L’image est en manque (le NOIR) et en « plein » ou en « trop-plein » (le BLANC). La tête même du personnage disparaît dans le noir de sa chevelure.

Le visible est happé, entraîné, dissous.

Et l’eau continue à couler, à s’échapper, à ruisseler en filets de matière lumineuse, en tresses et rubans mêlés et métissés. De NOIR et de BLANC.

Merci à Lorna Simpson pour la grâce et la poésie de ce cliché…

Lien Jeu de Paume

Lien Robert Wilson

vendredi 31 mai 2013

ACTUALITÉ DE JEAN-JOSEPH GOUX. LE TRESOR PERDU DE LA FINANCE FOLLE.


« C'est au cœur du contrat social, ou du lien social (entendu comme contrat implicite), que nous conduit l'existence de la monnaie. » (J.J. Goux, Le Trésor perdu…, Blusson, 2013)

Philosophe, ayant longtemps enseigné aux Etats-Unis, notamment à l'Université de Rice (Houston), Jean-Joseph Goux travaille depuis de très nombreuses années à la frontière de diverses disciplines : économie, psychanalyse, esthétique et anthropologie. Dès l'époque du mouvement Tel Quel, auquel il a appartenu à la fin des années 1960, il pose les jalons d'une pensée originale qui n'a pas fini de dérouler la pertinence de ses vues.

Tout se passe effectivement comme si l'ampleur et la durée d'une crise financière, devenue endémique et mondiale, démontraient la justesse de ses réflexions. L'homo economicus est bel et bien devenu une figure centrale. Le pouvoir est aujourd'hui aux mains de la « finance ». Intellectuels et politiques courent désormais derrière, ne parvenant ni à imposer d'autres points de vue ou directives d'action, ni à véritablement démêler les causes profondes d'une situation où le monde s'abîme de jour en jour.

C'est là que notre philosophe intervient, en démêlant les causes profondes (et non strictement « économiques », mais également philosophiques et anthropologiques) de la question. L'homme est à la recherche du plaisir, de la satisfaction, d'un équilibre entre ses besoins et ce que lui offre la société. Les échanges ont toujours favorisé l'ensemble de ces besoins. Ceux-ci ont longtemps fonctionné autour d'une monnaie étalonnée et fiable dont le garant était l'or.

Tout s'est affolé le jour où (en 1971) le président Nixon a décidé de désindexer le dollar de l'étalon or. Les conséquences de cet acte, sur lequel on n'a pas fini de s'interroger, furent incalculables. Le cours des monnaies est devenu fluctuant et l'économie peu à peu ingouvernable. On entre dans cette flottaison des valeurs que Jean Baudrillard repérera lui aussi au niveau des signes.

Car la monnaie est bien un langage, une manière pour les individus et les sociétés d'échanger plus que des biens, mais aussi du sens, des signes et des valeurs. C'est ce monde-là qui – peu à peu — s'est emballé et affolé. Au point que l'on peut très réellement se demander aujourd'hui vers quel abîme se dirige le monde.

Le dernier ouvrage de Jean-Joseph Goux, Le Trésor perdu de la finance folle, est riche et complexe, à l'image de l'ensemble de son œuvre. La grande culture qui imprègne ses propos lui fait traverser les mondes de l'art, de la finance, de la mode, de la littérature, de l'architecture, de l'économie, etc. Il nous emmène de Condillac, Voltaire, Mme du Châtelet et Jean-Jacques Rousseau (qui déjà réfléchissent à la question du plaisir, du luxe et de la valeur des choses) à Freud, Karl Marx et Baudrillard.

En sillonnant, bien sûr, les œuvres de ces économistes (Adam Smith, Bentham, Ricardo, Pareto, Keynes, etc.) qui, depuis le XVIIIe siècle, s'emploient à décrypter les ressorts de ce que l'on dénomme l'économie.

« La valeur de la monnaie repose sur une fiction », écrivait Milton Friedman. — Le monde aussi (celui des banquiers, des traders et de la haute finance, d'une monnaie européenne acéphale et paradoxale, etc.) s'apparente de plus en plus à une fiction… inquiétante.

Article site 20minutes.fr

Lien "Le Trésor Perdu de la Finance Folle"

samedi 18 mai 2013

DUCHAMP, LE READY-MADE ET L’OBJET DÉTOURNÉ.


« Entrée libre » sur France 5
le Mardi 21 mai 2013 à 20 h (rediffusion à 23h 30)

À l’occasion de l’exposition du LAAC de Dunkerque : « Poétique d’objets », Entrée libre revient sur le parcours de Marcel Duchamp, inventeur du ready-made et de l’objet détourné.

En la présence/absence (ironique et furtive) de Florence de Mèredieu qui, après avoir considéré Duchamp comme un des trois artistes phares de son Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (Larousse), s’est attelée à l’écriture d’un poétique « Duchamp en forme de ready-made ».

Une occasion pour revisiter le parcours de l’objet au XXe siècle et découvrir (ou redécouvrir) ce mince et ludique opuscule : Duchamp en forme de ready-made. Illustré d’images (elles aussi détournées) de la physique amusante du XIXe siècle. L’objet (cage à oiseau, vélocipède, jeux de dominos, pyramides, cornues et cornets de papier…) y tenait déjà une place prépondérante.

Suivront, au XXe siècle, tous les grands de l’art moderne - Picasso, les surréalistes, César, les nouveaux réalistes, Arman, Jeff Koons et tant d’autres – qui nous apprendront à percevoir autrement le monde proliférant des objets.

Exposition du LAAC : jusqu’au 15 septembre 2013

Livre Duchamp en forme de ready-made

lundi 22 avril 2013

KEITH HARING AU CŒUR DE LA CITÉ : THE POLITICAL LINE.


Sur tous les supports - murs, toiles, papiers, journaux, acier, bois, vinyl, terre cuite, objets industriels, paysage urbain, etc. -, se déploie la ligne errante et drôlatique de l’américain Keith Haring (1958-1990).

Ses thèmes de prédilection (la culture de masse, le sexe, la bande dessinée, l’univers des arts de la rue, des medias, et du monde publicitaire) s’inscrivent en plein cœur de l’actualité politique américaine des années 1980. Les « années Reagan » attisent la verve et la causticité du jeune new-yorkais.

Ses « Subway drawings », alors exécutés dans le métro, s’inscrivent dans ce courant qui privilégie une expression de masse et une forme d’art pour le (plus) grand nombre. L’exceptionnelle qualité de son dessin, l’ingéniosité et le foisonnement de ses figures hiéroglyphiques s’emparent désormais du monde urbain.

L’œuvre de Keith Haring est énorme et prolifique. Fabuleusement gaie. Colorée. Inventive. — Sa démarche est proche de celle des graffeurs et graffiteurs qui ont pullulé à New-York et dans les grandes métropoles du monde entier.

On peut certes évoquer à son propos Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat. Mais nombre de ses dessins nous renverraient aussi à l’œuvre hiéroglyphique de Paul Klee. — Ecriture et dessin se donnent la main. L’échelle certes a changé. On est passé des petits formats de Klee aux murs de la cité et aux grandes toiles de Keith Haring, des tableautins précieux du peintre suisse aux tee-shirts et aux objets du quotidien.

Le message véhiculé par l’œuvre s’est radicalisé et politisé. Mais l’on retrouverait, chez Klee comme chez Haring, ces mêmes accents, que l’on pourrait qualifier de « métaphysiques », à l’égard de la mort et d’une condition humaine désormais revisitée (chez ce dernier) par le sida, la bombe atomique et l’injustice sociale.

Le Musée d’Art moderne signe là une riche et magistrale exposition.

Offrez vous donc un bain d’images. Pour tous âges et tous publics.

Exposition Keith Haring MaM


Vue d’exposition. MAM 2013. Ph. ©FDM

lundi 8 avril 2013

JOANIE LEMERCIER. DU MAPPING COMME PAYSAGE.

Joanie Lemercier, Eyjafjallajökull. Ph. ©FDM

26 mars 2013. - Le CUBE, Exposition, dans l'Espace Saint-Sauveur d'Issy-les-Moulineaux, de 5 jeunes artistes de la création numérique. Le « Prix CUBE 2013 » est remporté par « Microscopic Opera », la très efficace installation pilotée par Matthijs Munnik (des Pays-Bas). Un ingénieux système de capteurs permet d'observer le ballet que d'invisibles vers tracent dans l'espace.

Une autre œuvre attire mon attention, celle d'un jeune artiste français, Joanie Lemercier. - Eyjafjallajökull est le nom (imprononçable) de ce volcan irlandais qui causa naguère tant de soucis aux contrôleurs aériens. C'est désormais, le titre d'une installation d'une grande « simplicité » et d'une indéniable poésie.

Construit suivant le processus du morphing*, un ample paysage en noir et blanc, se déplie, déploie et transmue dans l'espace de l'exposition. Tout est ici dans le mouvement, la mue et la transformation des lignes, des plans et des facettes de l'image.

Le deuxième opérateur de l'installation, c'est la lumière - blanche, « noire », balayante. Qui coule par plages, faisceaux ou pans entiers, modifiant sans cesse le paysage, le caressant, l'amenant à onduler par vagues...

Assise au cœur du dispositif, j'ai habité un temps cette image très pure, dont la géométrie complexe se refait et défait au gré de l'écoulement du temps. - Eyjafjallajökull : le volcan s'est paré d'un squelette et d'une armure de lignes, de facettes multiples qui s'éclairent et s'éteignent au gré du "vent" de la lumière. Ses formes se déclinent sous les apparences « diamantaires » d'une multitude de lignes, de trames, de cubes et de carrés plus ou moins déformés.

On comprend qu'une des bases du travail de Joanie Lemercier soit la découverte de l'origami, ce délicat pliage de papier japonais. - Le paysage de son installation revêt les apparences d'une peau, glissante mais « filaire », parée d'une multitude d'écailles numériques.

Partout, vous avez : des arêtes, des lignes de force, des contours. Des plis et des replis. La promenade est magique qui vous transporte, de vallon en vallon, en plein cœur d'une peau de synthèse.

* morphing : transformation numérique et graduelle d'une image fluide que l'on anime et « déforme » en conservant un certain nombre de « points » ou de données de base du schéma initial.

Site de Joanie Lemercier

Le CUBE

Joanie Lemercier, Eyjafjallajökull. Ph. ©FDM

lundi 1 avril 2013

EILEEN GRAY. L’ELLIPSE, L’ÉPURE, L’ÉLÉGANCE.

Lampadaire. Circa 1925. Ph. ©FDM, 2013

Lorsque j’ai “visité” l’exposition Eileen Gray qui se tient actuellement au Centre Georges Pompidou (20 février — 20 mai 2013), le show Dali battait son plein. La rumeur et le “très-plein” (ou trop-plein) de monde, de gestes et d’anecdotes faisait un contraste saisissant avec ce monde épuré qui fut celui d’Eileen Gray (1878-1976).

Celle que l’on considère aujourd’hui comme une des très grandes dames du design est en fait beaucoup plus que cela. — Elle aura touché effectivement à tant de domaines : mobilier, décoration, architecture, peinture, collages, photographies, art de vivre… Manifestant toujours une totale indépendance d’esprit.

Allant jusqu’à « rembarrer » son ami Corbu (Le Corbusier) pour avoir – à l’impromptu — orné de 9 fresques les murs de la villa E 1027, au-dessus de Roquebrune-Cap-Martin, rompant ainsi avec le style de totale sobriété qu’elle avait voulu impulser à l’ensemble.

Joyau d’architecture art déco, la villa E 1027 déploie des trésors de sobriété et de simplicité. Les solutions trouvées sont toujours les plus épurées, les plus évidentes, les plus fonctionnelles. Et les plus BELLES. Toute l’organisation du bâtiment se moule ainsi autour des us et des habitus de la vie quotidienne.

Rien de trop, rien de moins, dans ces volumes et ces formes quasi primitives : ellipse et colimaçon de l’escalier ; cercles et rectangles des tapis, des fenêtres ; grilles sobrement ajourées des fenêtres que redoublent une jalousie ou un semblant de pergola, qui tiennent en quelques lignes…

Résumer un objet à son seul squelette, à l’échafaudage d’un nombre limité de traits – cercle ou demi-cercle, ligne simplement courbée et recourbée qu’il esquisse dans l’espace – est un art où elle excelle.

Le contrepoint de cette sobriété se trouve dans la sophistication de matériaux rares (comme la laque dont elle fit un grand usage) ou de matériaux « simples », rarement utilisés dans la « décoration », comme le liège, dont elle fabriqua tables et paravents.

« Décoration » : on comprend bien l’incongruité de ce terme qui ne peut décrire une œuvre aussi légère et parfaite. Ce terme est bien trop lourd. Il sent l’application et le « marketing », là ou Eileen Gray construit des œuvres qui se contentent de « respirer » et « d’être ».

L’ellipse, l’épure et l’élégance : les trois [eee] d’Eileen Gray…

Exposition Centre Georges Pompidou

Table. Circa 1923. Ph. ©FDM, 2013

dimanche 17 mars 2013

SOTO LE PÉNÉTRABLE.


D’un artiste à l’autre, il est des modes d’approches des œuvres par le public très différenciés. Vouées à cet art qui s’est développé en France dans les années 1960-1970, et qui fut (et demeure) toujours excellement représenté par la Galerie Denise René sous l’appelation d’art cinétique, les œuvres de Jesus Rafael Soto (1923-2005) renvoient à un type de participation tout à la fois physique et cérébral.

Les « pénétrables », tout d’abord, ces structures (ou installations : mais on n’emploie pas encore le terme) constituées d’une forêt de tiges d’aluminium mobiles et diversement colorées qui s’ébattent du plafond jusqu’au sol. Le visiteur en traversant la structure pénètre bien un univers sensoriel ; son corps pourfend l’obstacle, s’insinue au travers de ces tiges et traverse le tout.

De l’extérieur, le tout ressemble à une pluie. Dense. Verticale. Au travers des lignes et des interstices, le paysage bouge et se reconstruit. C’est la vue alors qui est appelée en renfort pour apprécier ce paysage sans cesse contrarié, redessiné et reconstruit. — De l’intérieur aussi, les tiges d’aluminium forment une grille de lecture mouvante et mobile. Provisoirement incarcéré dans l’habitacle, le visiteur perçoit la salle environnante, mais découpée, lacérée, grillagée…

Devant ses toiles et ses « tableaux », Jesus Rafael Soto multiplie aussi les lignes, les filins et les mobiles qui viennent – en avant de la toile – perturber la lisibilité du motif ou du dessin de l’arrière-plan. Le monde visuel est complexe. Soto nous le rappelle constamment.

La spectateur ainsi joue et se promène, se penche, adopte ce point de vue de biais qui lui permettra de lire les œuvres dans l’ensemble de leurs couches et sous-couches. Volumes, Vibrations, Tableaux, Sculptures — son art est bel et bien cinétique et en mouvement.

Reconsidéré et réinventé à chacun des pas du visiteur.

Centre Georges Pompidou. 27 février-20 mai 2013. — Présentation des œuvres de l’artiste, rentrées par dation dans la collection du Musée national d’art moderne.

Vidéo

Entrée de l’exposition Ph. ©FDM, 2013

dimanche 10 mars 2013

LA PECHA KUCHA DE L’AICA ET DU PALAIS DE TOKYO.

Enfin un vrai débat inutile. — Tournant autour de cette intervention « ramassée » en 20 images et 6 minutes 40 de présentation d’une artiste-femme (nous étions le 8 mars) par 10 critiques d’art. Présentation proposée conjointement par l’AICA (Association internationale des critiques d’art) et le Palais de Tokyo.

Réaction immédiate, lettre ouverte et pétition sur le site d’Elisabeth Lebovici : NON. - Cette « gentille affaire » étant très bien résumée sur le site de la revue Mouvement, j’y renvoie les internautes (des deux, trois ou quatre sexes confondus : la question d’ailleurs est-elle là ?) : lien ci-dessous.

L’information m’était récemment passée sous le nez. — J’avais trouvé l’exercice extrêmement « casse-gueule » et difficile et ne m’y serais certainement pas risquée.

C’est que, voyez-vous, 6 minutes 40, c’est extrêmement long. On peut en accumuler des âneries et des platitudes [ou des merveilles]. Quant aux 20 images : en 6 minutes 40 et 20 images, on peut soit sauter au septième ciel, soit copieusement s’ennuyer.

Les futuristes, déjà, s’étaient essayés aux œuvres éclair. Mais elles étaient bien plus courtes et ramassées. Et (temporellement parlant) « fulgurantes ». Vous me direz qu’ici, il s’agit du discours critique et non des œuvres. Et qu’après tout, on peut tenir un discours bref sur une œuvre (ou performance) interminable.

Généralement c’est l’inverse qui se produit : le critique disserte et disserte jusqu’à plus soif sur les œuvres les plus brèves, des œuvres éphémères et qui (parfois) devraient le rester. — La durée d’une œuvre (ou d’une critique) ne saurait donc être un critère de sa pertinence.

Il me semble finalement que cet exercice devrait être réservé aux critiques extrêmement prolixes et bavard(e)s. La question serait de les trouver, les nommer, les coincer, les acculer : Vite. Vite. Résumez-vous.

Et là, je m’aperçois que j’ai fait très long. Trop long. Je m’arrête.

Un Post-scriptum, toutefois : je ne suis pas très sûre de la « source japonaise » du « pecha kucha ». – « Le bruit de la conversation », certes, certes. Mais s’agit-il, ici d’une « conversation » ? Il ne semble pas. Les fondateurs du « joujou », Astrid Klein et Mark Dytham, sont, en tout cas, deux apparents « occidentaux ». Et l’opération relève du plus charmant et du plus efficace marketing.

Rien à voir donc avec le « haïku », comme on peut le lire ici où là.

Le haïku relève d’un autre monde.

Revue Mouvement - Pecha Kucha de l'Aica

lundi 4 mars 2013

FUJIKO NAKAYA : THE FOG IN ITS LIGHTWEIGHT UNBEARABLE.

Installation. Toronto, 2006.
Ph. © Chrysanne Stathacos.

"The fog is constantly reacting to its own environment, revealing or concealing. The fog makes invisible things visible and invisible things visible like the wind."(Fujiko Nakaya, 1978)

Japan is the land of fogs, mists and clouds, hung heavily in the mountains they reveal and/or conceal. Water is everywhere in the peninsula Japanese and it is not uncommon to see a sudden rise of the masses of mist coming accompany the meandering landscape. Dense. Frayed. Torn into lineaments.

When she plants the spray and the mist on the periphery of the world, it is as if Fujiko Nakaya has taken and moved a fragment of Japan or a piece of her story (researchers and scientists, the father and sister both have "worked" ice, water and soil of the North) ...

"Sculpting fog" : to raise, to stretch, to fray. The build up in places where it was not always used to find it. In cities, around the museum, in the heart of houses, on stage too - the malleable mass hiding or revealing the step of the dancers...

Looking through the catalog of the collection Anarchive, we understand that the fog was to Fujiko Nakaya an endless reverie, and a Dionysian nature. The mist is exhilarating. You get lost and forgets. Circumscribed worlds and it penetrates ...

Make use of the technique and science for Fujiko Nakaya was a natural extension of his fascination with aggregates of droplets, misting and orchestration of these masses of fog where you can slide and play. The nature is extended and amplified by these gestures and these calculations that increase in us the dream. Imponderable. But CONCRETE.

FUJIKO NAKAYA. - FOG / BROUILLARD. Editions Anarchive 2012. Book with DVD-Video and DVD-Rom compiling a mass of archival documents. - Texts Fujiko Nakaya, Michel Butor, Yuji Morioka, Anne-Marie Duguet, Kenjiro Okazaki, Huyghe, Mildred Marion Halligan, Bill Viola and Urara Nakamura.

Presses du réel : Fujiko Nakaya

Digital archives on contemporary art

samedi 2 mars 2013

FUJIKO NAKAYA : LE BROUILLARD EN SON INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ.

Cloud Parking, in Linz, 2011.

Le brouillard réagit constamment à son propre environnement, le révélant ou le dissimulant. Le brouillard rend invisibles les choses visibles et visibles les choses invisibles comme le vent.” (Fujiko Nakaya, 1978)

Le Japon est le pays des brouillards, des brumes et des nuages densément accrochées aux montagnes qu’ils révèlent et/ou dissimulent. L’eau est partout dans la péninsule nippone et il n’est pas rare de voir s’élever soudain des masses de brume qui viennent accompagner les méandres du paysage. Denses. Effilochées. Déchirées en linéaments.

Lorsqu’elle dispose sur le pourtour de la planète ses installations de brume et de brouillard, c’est comme si Fujiko Nakaya prélevait et déplaçait un fragment du Japon ou un pan de son histoire à elle (chercheurs et scientifiques, son père et sa sœur ont tous deux « travaillé » la glace, l’eau et le sol du Grand Nord)…

“Sculpter le brouillard” : l’amasser, l’étirer, l’effilocher. L’accumuler en des lieux où l’on n’a pas toujours coutume de le trouver. Dans les villes, aux abords des musées, au cœur des habitations, sur scène aussi - la masse malléable accompagnant en les dissimulant et mangeant les pas des danseurs…

En parcourant le catalogue raisonné de la collection Anarchive, on comprend que le brouillard fut pour Fujiko Nakaya l’objet d’une interminable rêverie, et d’un parcours de nature dionysiaque. La brume est ennivrante. On s’y perd et s’y oublie. Elle circonscrit des mondes et se pénètre…

Faire appel à la technique et à la science fut pour Fujiko Nakaya le prolongement naturel de sa fascination pour les agrégats de gouttelettes, la brumisation et l’orchestration de ces masses de brouillard où l’on peut se glisser et jouer. La nature ainsi se prolonge et s’amplifie de ces gestes et ces calculs qui accroissent en nous la part d’un rêve. Impondérable. Mais CONCRET.

FUJIKO NAKAYA. – FOG/BROUILLARD. Editions Anarchive 2012. Livre accompagné d’un DVD Vidéo et d’un DVD-Rom compilant une masse de documents d’archives. – Textes de Fujiko Nakaya, Michel Butor, Yuji Morioka, Anne-Marie Duguet, Kenjiro Okazaki, Pierre-Damien Huyghe, Marion Mildred Halligan, Bill Viola et Urara Nakamura.

Presses du réel : Fujiko Nakaya

Archives numériques sur l'art contemporain

lundi 25 février 2013

SALUTE TO THE GUTAI : WIND, AIR, SPACE.

Gutai 2nd Outdoor Exhibition, Ashiya Park, 1956

" Make a unique and complete tear in the ether where nothing exists. Something where all art and all matter are invisible."(Kazuo Shiraga, 1955)

"Everywhere was an air of cheerful excitement. Just like when we continue to blow into a balloon child beginning to swell, asking : "Will it explode now ? Will it explode ?" (Yukio Mishima, Confessions of a mask)

Playful, fragile, ephemeral, Gutai movement was born in Japan in 1954 in the Osaka area. It is in the wake of these times that followed the second world war and have seen the emergence of unusual modes of expression, breaking with tradition and with what is called the establishment art. It was for the little band around Jiro Yoshihara (the initiator of the group) to invent and experiment with all kinds of performances, gestures, visual novel proposals, renew bottom of the traditional relationship that artist has with the material. And above all: do not repeat, copy, mimic. But creating. To "what had never been done."

In the aftermath, Saburo Murakami, Sadamasa Motonaga, Atsuko Tanaka, Kazuo Shiraga, Shozo Shimamoto and their acolytes multiply gestures and new proposals : perforation brutal and very physical frames papers, smoke rings, costumes made ​​of light bulbs, paint in the mud, destruction of objects, etc. - The time has won these actions do not survive more than through the films that were made ​​then.

Objects and more material traces that remain are they now "exposable" ? They make account it was fragile and dancing Gutai ? The answer certainly is not unique: the costume of light bulbs, by Atsuo Tanaka, probably resist. The Shiraga’s paintings (for some) are always there to certify it was his approach. But already there, in the case of this artist, we understand that the canvas was not a result, a "trace", a spin-off, that the essential was in the action the plot in the making, performance and happening.

This impression is confirmed when we contemplate (this happened to me at the Venice Biennale in 2009, and I was very disappointed when) the framework paper (or reconstitution ?), such that it was the result of the action taken by Murakami. This object is nothing (or very little) to the powerful momentum and trajectory, 'act' took it to (one day at a time and a place) to pierce it… It had appeared that the Gutai was not "reconstituted" and wanting to expose reliefs or traces is equivalent to open the doors of an old garage to give to see the garbage. We can hope, conversely, revive works to replay performance, restore works using materials and fresh colors ... But then again, there is a feeling that will ripoliner and "refresh" the works of the Gutai is another form of betrayal. Does not risk it not then to be found in any one of these supermarkets art where we sell bulk derivatives exposure.

Therein lies perhaps the greatest secret and the power of Gutai: power ephemeral fragility. And the fact that it can be rebuilt and again without it verges on caricature. - There is no longer any time, as expressed in his time Marcel Duchamp, in art, but in " the history of art." - And it is important that the history of art recognized - this - its limits.

Museumizing the Gutai, opening him cymas prestigious museums (like the wonderful Guggenheim) leads indeed to offer and present its members (like a beautiful bouquet of orchids) international recognition. - But we recognize and perceive it now so in the same movement, perfumes, wind, weeds, air and the "sun of mid-summer," that were part of these works, have evaporated ?

Sure, we can dream ... Imagine projects not repeating, do not mimic, but within the single wake of Gutai : bags of colored water (which would not be entirely those of Motonaga) connecting the two shores of Manhattan and Brooklyn or the ends of Central Park in the middle of walkers and birds. Or even a series of smoke rings - soap bubbles, clouds, frayed, light snowflakes - zigzagging along the bridge of the moon in Arashiyama (Kyoto), around the Golden Gate in San Francisco or swaying with the movements of the Verrazano Bridge. Gutai, Let the sail in space and air currents. In the fields and gardens. And among the weeds sidewalks and wastelands. - Far ceremonies and social events of the ART.

On Gutai:

Vidéo

Book : Gutai. Moments of destruction / Beauty Moments

Exhibition: Guggenheim, Gutai a splendid playground, 2013

Histoire matérielle et immatérielle de l’art (Larousse, Paris, 1994-2008 - 20 occurrences).

samedi 23 février 2013

POUR SALUER LE GUTAI : VENT, AIR, ESPACE.

Shozo Shimamoto, 1956

« Faire une déchirure unique et totale dans l’éther où rien n’existe. Quelque chose où tout art et toute matière soient invisibles. » (Kazuo Shiraga, 1955)

« Partout régnait un air d’allègre surexcitation. Tout à fait comme quand on continue à souffler dans un ballon d’enfant en train de se gonfler, en se demandant : « Va-t-il éclater, maintenant ? Va-t-il éclater ? » (Yukio Mishima, Confessions d’un masque).

Ludique, fragile, éphémère, le mouvement GUTAI est né au Japon, en 1954, dans la région d’Osaka. Il s’inscrit dans le sillage de ces temps qui ont suivi la 2e guerre mondiale et ont vu surgir des modes d’expression inusités, en rupture et avec la tradition et avec ce qu’il est convenu d’appeler l’establishment artistique. Il s’agissait pour la petite troupe entourant Jiro Yoshihara (l’initiateur du groupe) d’inventer et d’expérimenter toutes sortes de performances, de gestes, de propositions plastiques inédites, de renouveller de fond en comble le rapport traditionnel que l’artiste entretient avec le matériau. Et surtout : de ne pas répéter, copier, mimer. Mais créer. Faire « ce qui n’avait jamais été fait ».

Dans la foulée, les Saburo Murakami, Sadamasa Motonaga, Atsuko Tanaka, Kazuo Shiraga, Shozo Shimamoto et leurs acolytes multiplieront les gestes et propositions inédites : perforation brutale et très physique de cadres de papiers, ronds de fumée, costumes faits d’ampoules électriques, peintures dans la boue, destruction d’objets, etc. — Le temps a emporté ces actions qui ne survivent plus que par le truchement des films qui furent alors réalisés.

Les objets et traces plus matérielles qui subsistent sont-elles aujourd’hui « exposables » ? Rendent-elles compte de ce fut le fragile et dansant Gutai ? La réponse certes n’est pas univoque : le costume d’ampoules électriques d’Atsuo Tanaka résiste sans doute. Les toiles de Shiraga sont (pour certaines) toujours là pour attester de ce fut sa démarche. Mais là, déjà, dans le cas de cet artiste, on comprend bien que la toile ne fut qu’un résultat, une « trace », une retombée, que l’essentiel fut dans le geste, le tracé en train de se faire, la performance et le happening.

Cette impression se confirme lorsque l’on contemple (cela m’est arrivé lors de la Biennale de Venise, en 2009, et je fus alors bien désappointée) le cadre de papier (ou sa reconstitution), tel qu’il a pu résulter de l’action entreprise par Murakami. Cet objet n’est rien (ou si peu) par rapport à l’élan et à la puissante trajectoire, au « geste » qu’il a fallu pour (un jour : en un temps et un lieu donné) le percer… Il m’était alors apparu que le Gutai n’était pas « reconstituable » et que vouloir en exposer les reliefs ou les traces équivalait à ouvrir les portes d’un vieux garage pour en donner à voir les rebuts. On peut souhaiter, inversement, redonner vie aux œuvres, faire rejouer les performances, reconstituer les œuvres à l’aide de matériaux et de couleurs fraîches… Mais là encore, on a le sentiment que vouloir ripoliner et « rafraîchir » les œuvres du Gutai est une autre forme de trahison. Ne risque-t-on pas alors de se retrouver dans l’un de ces quelconques supermarchés de l’art où l’on nous vend en masse les produits dérivés de l’exposition.

Là réside sans doute le grand secret et la force du Gutai : sa puissance éphémère ; sa fragilité. Et le fait qu’il ne puisse être reconstruit et répété sans que l’on frise la caricature. — On n’est plus du tout alors, comme l’a exprimé en son temps Marcel Duchamp, dans l’art mais dans « l’histoire de l’art ». — Et il serait important que l’histoire de l’art reconnaisse – sur ce point — ses limites.

Muséifier le Gutai, lui ouvrir les cimaises de prestigieux musées (comme le superbe Guggenheim de New York) conduit certes à lui offrir et à présenter à ses membres (à la façon d’un superbe bouquet d’orchidées) une reconnaissance internationale. — Mais que reconnaît-on et que perçoit-on désormais si, dans le même mouvement, les parfums, le vent, les herbes folles, l’air et le « soleil de la mi-été », qui faisaient partie intégrante de ces œuvres, se sont évaporés ?

Bien sûr, on peut rêver… Imaginer des projets ne répétant pas, ne mimant pas, mais s’inscrivant dans le seul sillage du Gutai : des sachets d’eau colorée (qui ne seraient plus tout à fait ceux de Motonaga) reliant les deux rives de Manhattan et de Brooklyn ou les extrémités de Central Park : au milieu des promeneurs et des oiseaux. Ou bien encore un ensemble de ronds de fumée – de bulles de savon, de nuages effilochés, de légers flocons de neige — zigzagant tout au long du pont de la lune d’Arashiyama (à Kyoto), aux alentours du Golden Gate de San Francisco, ou se balançant au gré des mouvements du Pont Verrazano.

Laissons voguer le Gutai dans les espaces et les courants d’air. Dans les champs, les jardins. Et parmi les mauvaises herbes des trottoirs et des terrains en friche. — Bien loin des cérémonies et des mondanités de l’ART.

Sur Gutai :

Vidéo

Livre : Gutai. Moments de destruction/Moments de beauté

Exposition : Guggenheim, Gutai a splendid playground, 2013

Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne
(Larousse, 1994-2008 - 20 occurrences).