vendredi 23 mai 2014

LES KABAKOV. Mémoires d'un ange.

Vue d’exposition. Photo © FDM, 2014.

« Dans la vraie vie, rencontrer un ange est presque impossible. C’est pourtant loin d’être le cas. Il suffit simplement de se rappeler que cette rencontre peut avoir lieu dans des circonstances extrêmes, et surtout à des moments critiques de sa vie. Et il est en notre pouvoir de créer la situation propice à cette rencontre. » (Ilya et Émilia Kabakov)

"Les Kabakov" travaillent depuis des décennies sur la confrontation des utopies (architecturales et idéologiques) avec la froide, implacable et dérisoire réalité sociologique. Longtemps ils vécurent derrière le rideau de fer, en Union soviétique. Ils vivent aujourd'hui aux États Unis, à Long Island.

Dans l'installation monumentale qu'ils présentent actuellement au Grand Palais, l'utopie — ses structures mentales grandioses, ses rêves, ses dessins au filigrane souvent abstrait — l'emporte et domine tout.

Le 6e pavillon de "l'étrange cité" des Kabakov nous explique "comment rencontrer un ange", cet ange qui cristallise et condense - en sa pureté et sa fragilité - toutes les utopies. Situé tout en haut, et à l'extrême pointe d'une aérienne maquette, qui n'est pas sans rappeler les architectures futuristes des soviétiques (au premier rang desquelles figurerait le fameux projet de Tatlin du Monument pour la 3e Internationale de 1919-1920), la silhouette ailée et frangée d'un ange nous invite et nous appelle : en direction d'une promenade aérée et céleste. Promenade en utopie, dans les rêves d'un homme débarrassé de toutes les pesanteurs et les absurdités sociales. Voyage en apesanteur. Dans un univers désincarné. Qui n'est plus ni le monde de l'humain. Ni le monde de l'histoire du XXe siècle ou du XXIe siècle commençant.

Bien présents, cependant, dans les autres pavillons qui tendent eux aussi, chacun à leur manière, à nous débarrasser du tragique et des lourdeurs quotidiennes les plus infinitésimales, la réalité "soviétique" des "années de plomb" est bien là. — Au travers de ces images picturales renversées et décalées, ces bribes de paysages (sortes de vedute d'un autre temps), ces chambres vides.

L'ensemble est bel et bien monumental. Il tente l'impossible jonction du vide et du plein, de la pesanteur des "années de plomb" et de l'impondérable rêverie grâce auquel l'homme, l'artiste et nous-mêmes - à la suite des Kabakov - tentons de survivre. De respirer. En happant quelques bribes de cette lumière, cette blancheur, ce vide qui entourent les pavillons clos.

Au cœur de ces pavillons, les dessins, les maquettes (poétiques, abstraites, épurées) circonscrivent eux aussi ce monde qui est celui de l'utopie. — C'est ainsi, en faisant appel aux doubles pouvoirs de l'infiniment grand (MONUMENTA) et de l'infiniment petit, du plein et du vide, du dérisoire et de la plus extrême pureté, que les Kabakov nous entraînent dans le glissando de "poupées russes" de leur extraordinaire labyrinthe.

Et alors : oui, nous montons au septième ciel.

Grand Palais. Monumenta.
Ilya et Emilia Kabakov. 10 mai-22 juin 2014


Tatlin, Monument à la 3e Internationale
(projet de 1919-1920).

dimanche 18 mai 2014

ANTONIN ARTAUD. Verdun Visions d'Histoire (1928).

Verdun Visions d'Histoire :
Avant de monter au front,
l’Intellectuel (Antonin Artaud) écrit à sa mère.

La guerre de 1914-1918 aura marqué en profondeur les corps et les esprits. Dans les années qui suivent le conflit, écrivains et cinéastes sont nourris du tragique de ses divers épisodes. L’état français n’est pas en reste qui cherche à entretenir (et contrôler) le souvenir de cette guerre cauchemardesque.

C’est dans ce contexte que le cinéaste Léon Poirier entreprend VERDUN VISIONS D’HISTOIRE, vaste fresque cinématographique, tourné sur les lieux mêmes de la bataille de Verdun et entremêlant images de fiction et images d’archives.

Antonin Artaud y joue le rôle de « l’intellectuel ». Il finira par mourir, les bras en croix, au fin fond d’un trou d’obus. Engagé en 1916 et envoyé vraisemblablement au front avec ses camarades, Artaud lui-même (et dans la vraie vie) n’y resta qu’un cours laps de temps, Rapidement réformé pour troubles mentaux et « nervosisme », il passe le reste du conflit dans des maisons de santé privées. Il demeura néanmoins profondément marqué par cette guerre. Ce dont témoignent les innombrables résurgences des horreurs guerrières dans l’ensemble de son théâtre, de ses écrits… et de ses dessins.

Le tournage, en 1927, du film de Léon Poirier ravive ses souvenirs. Il s’en ouvre à ses proches, comme Alexandra Pecker ou la femme du Dr Toulouse. Ce film lui est l’occasion de jouer, simuler ou se montrer transi d’une de ces crises d’hystérie qui s’empara alors de bien des « poilus », lourdement traumatisés et par les combats et par cette peur (cette terreur) qui s’emparait d’eux.

La dissection et l’analyse minutieuse des différentes scènes du film (ce que je tente dans Antonin Artaud dans la guerre. De Verdun à Hitler, Blusson, 2014) montre combien le film est lourd d’enseignement. Aussi bien pour ce qui concerne la représentation collective de la guerre de 14-18 que pour une connaissance plus approfondie de l’œuvre de cet auteur tourmenté que fut Artaud.

Antonin Artaud dans la guerre. Table des matières.