lundi 28 avril 2014

CINÉ-ROMAN CINÉ-PEINTURE. Questions de lecture.

Ciné-Roman, Ciné-Peinture,
4ème de couverture.

Ayant lu Vincent Van Gogh Antonin Artaud Ciné-roman Ciné-peinture (Blusson, 2014) , Erica Ruck me fait part de ses réactions :

Chère Madame de Mèredieu, je viens de terminer la lecture de ce votre dernier texte.

Je vous remercie d’avoir apporté toujours quelque chose de nouveau à ma connaissance par rapport Artaud et pas seulement sur lui.

J’ai lu aussi vos autres textes que vous avez dédiés à Artaud, mais celui-ci est très innovateur et original.

En effet j’ai l’ai trouvé singulier soit par la structure, soit par la densité des sujets. C’est un texte relativement bref du point de vue du nombre de pages, mais extrêmement dense du point de vue des contenus. Je doit avouer que pour moi ce n’était pas facile à comprendre dès la première lecture, j’ai dû relire certaines parties pour saisir les arguments.

Dans ces douze épisodes vous embrassez plusieurs disciplines et vous conduisez le lecteur toujours plus en profondeur dans la découverte des affinités entre Van Gogh et Artaud. Mais vous ne vous arrêtez pas là, et vous posez les deux suicidés de la société dans la chaîne de l’art. Pour toutes ces raisons c’est un texte très séduisant, mais, pour moi, aussi un peu compliqué.

Dans le cinquième épisode vous abordez la formule du titre : ciné-roman ; ciné-peinture. Par rapport à ça, je voudrais vous poser des questions : est-ce que pour vous on peut considérer Van Gogh comme précurseur du cinéma car on retrouve dans ses tableaux les éléments qui caractérisent le cinéma comme le mouvement, la vitesse? Et alors l’expression ciné-peinture est-t-elle à attribuer à lui ? Alors que l’expression ciné-roman peut-on l’attribuer aux cahiers d’Artaud ? Ou encore les deux expressions sont-elles valables pour tous les deux artistes : Van Gogh lisait Tartarin de Tarascon et Artaud a essayé lui-même l’art du cinéma ?

Je m'excuse d'avoir tant écrit, mais je trouve que vous touchez avec vos textes l’âme artistique d’Artaud, et moi j’ai encore beaucoup de choses à apprendre.

Merci d’avance.

Erica Ruck (Doctorante en Philosophie à Paris 8)


Florence de Mèredieu. — Quelques éléments de réponses.

Il y a deux lectures possibles de ce texte qui se présente lui-même (et c’est le premier sens du titre) sous la forme d’un « ciné-roman », d’un roman-feuilleton pictural, d’une pièce de théâtre en 12 épisodes ou de ce qui pourrait être un « scénario de cinéma » en 12 plans, précisément décrits : avec leurs décors, leurs personnages, etc. — Cette première approche qui est la mienne, celle du narrateur, est d’ordre littéraire. On a affaire à un récit, assez évident, d’autant qu’il se trouve illustré par un certain nombre d’artistes qui, de Léonard de Vinci à Cy Twombly, ont tous traité de la question du mouvement dans l’art. — Il suffit là d’oublier que l’on est « doctorante » à l’Université, et de se laisser porter… et emporter dans le paysage…

La deuxième lecture serait d’ordre théorique et interprétative. Et là, comme vous le faites remarquer, la densité du texte se prête à une grande multiplicité d’interprétations. C’est sans doute là ce qui vous déroute. Car on sort du système universitaire académique ordinaire. Avec ses « arguments », ses répétitions et la sempiternelle reproduction de ce qui a déjà été dit et parcouru maintes fois. — Ma conception de la recherche repose sur un système de détournements et d’ouvertures constants. Mais attention : pas n’importe lesquels. Tout cela s’appuie sur une connaissance approfondie d’œuvres qu’il s’agit d’habiter, de percevoir de l’intérieur.

Oui : je me suis toujours située à l’intersection de plusieurs disciplines : littérature, sciences humaines, histoire de l’art, etc. ce que me permettait une formation de base (de philosophie) résolument pluridisciplaire. — Après, c’est une question de curiosité et de travail, d’approfondissement des choses.

Je suis un peu étonnée de ces questions que vous posez par rapport à Artaud, Van Gogh et la question du cinéma. — La « vision du mouvement », c’est quelque chose qui a toujours existé. On la découvre déjà dans le monde grec ancien. Cette perception du mouvement est omniprésente chez Van Gogh et, bien sûr, chez Artaud. Ce qui va ensuite caractériser le « cinématographe », c’est l’« enregistrement du mouvement » et sa redistribution sous forme de projection. Mais il est certain que l’art n’a pas attendu le cinéma pour rendre compte du mouvement !!!

Quant à Artaud, personnage en mouvement perpétuel, il est bien évident que tout ce qui est d’ordre « cinétique » l’a tenté. La gestualité est à la base de toutes ses recherches, plastiques comme théâtrales. Et tout cela va bien au-delà de son statut d’acteur de cinéma.

À l’arrière-plan de tout cela, il y a encore la référence à Deleuze (un des personnages-clés de ce Ciné-roman), au rhizome bien sûr et à l’ensemble de ses textes sur le cinéma (L’Image-mouvement et L’Image-temps). — Je vais m’arrêter là (car ce serait sans fin), mais vous voyez bien que le champ est immense et d’une exceptionnelle richesse.— Un grand merci à vous pour votre lecture et ces questionnements…

Une lecture de Ciné-roman Ciné-peinture

mardi 15 avril 2014

ARTAUD / VAN GOGH et le regard des Lunettes Rouges.

Librairie La Hune, avril 2014 © FDM.

Une fois n’est pas coutume : je voudrais ici me situer dans le sillage des interrogations soulevées par « Lunettes rouges » dans son « papier » très efficace : « Lire ou regarder : van Gogh ou Artaud ? » (Le Monde du 10 avril). — Ce papier pose effectivement quelques très bonnes questions.

Sur la cohérence globale tout d’abord de l’exposition. Et oui, Lunettes rouges a raison. Il semble que l’on ait affaire au collage de plusieurs scènes et de plusieurs « expositions » ou fragments d’expositions.

Il n’y a, effectivement, aucun lien à établir au prime abord entre les peintures de Van Gogh et les dessins du Mômo. Peintures, d’un côté, dessins de l’autre. Il est d’ailleurs des plus sage que les organisateurs de l’exposition n’aient pas cherché à confronter Artaud et van Gogh sur ce terrain. — Artaud n’est aucunement parti de ses propres dessins et de l’aventure graphique et plastique qui est la sienne pour écrire sur van Gogh.

Il s’est, sur ce point, bel et bien confronté à l’œuvre peinte du peintre d’Arles et d’Auvers-sur-Oise. Et que l’on ne s‘y trompe pas : ces toiles, il les a intégrées. De manière frontale, matérielle et vive. Marthe Robert, qui visita l’exposition de l’Orangerie avec Artaud, remarque certes, que la visite eut lieu au pas de course. Mais l’on comprend bien que, dans son cas, elle aurait aimé s’attarder, contempler et que le tempo qui l’anime n’est pas celui du Mômo, lequel saisit en un clin d’œil — dans toute sa charge et sa vivacité, dans toute sa matérialité – ce que d’autres ne percevrons pas, fut-ce au bout d’un long moment passé devant l’œuvre.

Les lettres que van Gogh consacre à ses propres tableaux l’ont également aidé à entrer au sein de l’œuvre. Ces lettres, il en a lu quelques-unes, les confrontant aux reproductions des livres et catalogues qu’il avait sous la main.

Qu’on ne dise donc pas que son approche fut superficielle. Il n’est que de lire la description qu’il fait de certains tableaux (comme La chambre à coucher du peintre) pour saisir la beauté et la profondeur de son propos.

Lunettes rouges soulève encore de manière intéressante la question – très dialectique – du rapport entre le voir et l’écrire, entre le discours que l’on peut tenir sur un tableau et la perception corrélative de ce même tableau. — Et ici tout est possible. Ce qui montre assez la richesse et la diversité des confrontations possibles à une toile.

Les œuvres de van Gogh vivent bien sûr – de manière forte et entière – en dehors du texte d’Artaud. Ce dernier vient ajouter une autre dimension, un autre monde à l’ensemble de ces mondes qui surgissent du rapport que chacun peut entretenir avec les toiles colorées de Vincent van Gogh. Le texte d’Artaud agirait là à la façon d’une sorte de « réalité augmentée ».

Que dire, maintenant, de cette autre question abordée par Lunettes rouges : celle du poids corrélatif et de l’existence (parallèle, au sein de l’expo : dans une autre salle) des dessins d’Artaud ?

Disons-le : cette exposition est d’abord et avant tout, et – peut-être – uniquement, une exposition sur van Gogh. Artaud ne serait là que comme un faire-valoir de luxe. Un beau (et incongru) « châssis » ou « passe-partout ».

D’autant que le Artaud qui nous parle de van Gogh, ce n’est pas le dandy et le beau gosse des images cinématographiques que le public peut admirer dans l’expo. C’est le Mômo des photographies de Denise Colomb, celles de la fin de la vie, de celui qui est sorti depuis peu de l’internement en asile. Et qui se trouve physiquement délabré.

L’essentiel tient maintenant au fait que l’on ne pouvait confronter de manière aussi crue et aussi brute les peintures de van Gogh (ces peintures qui font éclater la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle) et les dessins d’Artaud (qui appartient à un autre siècle et à une autre galaxie).

ET CEPENDANT — c’est ce que je tente dans un petit essai tout juste publié : Vincent Van Gogh Antonin Artaud, Ciné-roman, ciné-peinture. À l’arrière-plan de ces deux œuvres plastiques – on peut déceler des sources et des problématiques communes : celles du trait, de la ligne, du pointillisme, du tourbillon des formes et des rhizomes tracés par l’un et par l’autre.

Mais ce serait une autre exposition qui se dessinerait. On partirait, comme je le fais dans Ciné-roman Ciné-peinture, des tourbillons et déluges du Vinci pour aboutir à Cy Twombly et aux rhizomes de Gilles Deleuze. Dans cette expo, on montrerait les dessins de van Gogh (riches, si riches et aux techniques si diversifiées) et non pas seulement les portraits et autoportraits du Mômo, mais les dessins et graffiti des pages de Cahiers d’Artaud.

Et là : grande surprise. Tout s’encastrerait et tourbillonnerait de concert.

Merci à Lunettes rouges de m’avoir permis de revenir sur ce joli lièvre. Qui court si bien.

Blog "Les Lunettes Rouges"

Le livre "Van Gogh / Artaud : ciné-roman, ciné-peinture"


samedi 12 avril 2014

MAPPLETHORPE. Muscle. Volume. Clair-obscur.

Grand Palais. Vue d’exposition ©FDM, 2014.

« Je vois les choses comme une sculpture, comme des formes qui occupent un espace." (Robert Mapplethorpe)

Il faudrait partir ici de cet appareillage de « muscles » qui permettent au corps d’accomplir ses mouvements et de se déployer dans l’espace. Résistance, contraction, énergie, mouvement : tout cela est rendu possible par l’ensemble des faisceaux de fibres qui assurent au corps son modelé, son volume, sa perfection.

Cette perfection interne possède son correspondant externe. L’apparence physique, la belle stature, l’harmonie des gestes et des attitudes reposent tout entières sur le bon entretien de ce que l’on nomme une belle musculation.

Depuis la statuaire grecque, et l’importance qu’elle octroie au corps, on sait combien les volumes, les solides musculatures présentent d’avantages esthétiques.

2000 ans plus tard, Mapplethorpe retrouve la fascination du corps sculpté. Qui n’est pas n‘importe quelle image du corps. Qui est celle d’un corps abstrait, sublimé. Ramené et réduit à des proportions, des volumes, des formes (géométriques ou arrondies).

Le renouveau est venu d’un nouveau medium : la photographie. Jouant sur la lumière, le contraste des ombres et de la clarté, la photographie (tout particulièrement la photographie en noir et blanc) sculpte l’image, accentuant formes et volumes. Elle apparaît ainsi aux yeux de Mapplethorpe comme un formidable instrument pour sculpter le corps humain. Redécouvrir ses pleins et ses déliés. Accentuer les bosses, les creux, les pleins, les formes et l’arrondi des membres. La musculature est ici réinventée par le clair-obscur.

D’où un traitement du nu et — plus particulièrement — du corps masculin à la façon d’un tailleur de pierre et de lumière. — Michel-Ange n’est pas loin. Mais les nouveaux éphèbes ou Apollons sont noirs (cf. le Black Book) tout autant que blancs. La nudité, le sexe y sont omniprésents. — Et là, il faudrait parler du New York des années1970-1980, du Chelsea Hotel et de la Factory d’Andy Warhol. Un monde brillant, sulfureux, factice et suprêmement inventif.

Nota bene. — Ce papier terminé, je tombe sur le blog d’Elisabeth Lebovici, consacré à cette « exposition » : « Dix minutes, douche comprise: l'exposition Lagerfeld... Oups! Mapplethorpe ». — Papier donc, non sur Mapplethorpe mais sur l’« appréhension » du protocole de cette exposition du Grand Palais. — Alors ? Sur bien des points, Elisabeth Lebovici a raison. Une exposition se fabrique, en obéissant à des protocoles précis et particuliers. Ceux-ci ont évolué. Et, de plus en plus, nous sommes en plein marketing. Fabrique d’images, sinon de « marques ». Rares sont désormais les « grandes » expositions qui échappent à cette règle. À cela j’ajouterai que les espaces du Grand Palais situés sur le pourtour ou non loin de la Grande Nef centrale ne sont guère harmonieux. Les expositions en souffrent. — C’est ce que j’ai ressenti en visitant, il y a peu, l’exposition Bill Viola : manque d’espace, manque de distance pour percevoir les œuvres, parasitisme constant de la silhouette des visiteurs qui « occulte » la vision des vidéos, etc.

Disposant d’une distance optimum pour voir les photographies, le public (peu nombreux) n’étant guère oppressant, je n’ai pour ma part prêté aucune attention au « protocole de l’exposition » Mapplethorpe, pas plus qu’à son accrochage ou au discours qui l’entourait. Je me suis concentrée (comme je le fais généralement dans les expos) sur les œuvres. Et non sur le « bla—bla » visuel et langagier qui les entoure. — Et « Mapplethorpe », oui : cela compte.

Robert Mapplethorpe au Grand Palais

« Mapplethorpe. Affichage urbain » © FDM, 2014.