vendredi 9 novembre 2018

Paris Photo 2018 : Couleurs.

© Erik Madigan Heck, Honeycomb (Nid d’abeilles), 2015.
Courtesy Christophe Guye Gallery.

Paris Photo - Grand Palais
Du 8 au 11 novembre 2018

La richesse et la qualité du Salon PARIS-PHOTO rendent impossible toute analyse qui se voudrait exhaustive. - Ayant insisté les années précédentes sur ce lien qui unit de manière indéfectible la photographie au réel, nous prendrons, cette année, comme fil conducteur de notre visite la problématique de la COULEUR.

La COULEUR donc. - Traversée par une double thématique : celles de de la MODE et de l’ETHNOGRAPHIE.

Deux photographes retiendront notre attention : l’américain Erik Madigan Heck, immédiatement reconnaissable à ses cadrages épurées, ses couleurs qu’il traite sous forme d’aplats presque lissés. À la façon d’estampes japonaises qui auraient basculé dans une pure vivacité de coloris et un traitement de l’image éliminant pour l'essentiel les détails. Les couleurs y sont perçues en gros plan. La figure tend alors à l’abstraction.

Le parcours est élégant. Raffiné. Hors du temps. Le résultat a tout de ces icônes de la modernité qui hantent les magazines papier et les salons d’art.

Photographe itinérant et engagé, reporter et styliste, Stephan Gladieu nous entraîne quant à lui aux antipodes: dans le monde richement coloré du peuple Héréro. Habitants des fins fonds de la Namibie, cette peuplade (qui a subi dans son histoire un douloureux génocide) n’a rien abandonné de ses coutumes et rituels ancestraux. Entrelacés sous forme de patchworks, de damiers, juxtaposés et cousus les uns aux autres, les fragments de tissus diversement colorés illuminent les vêtements et les coiffes de leurs richesses chromatiques.

On y retrouve cette science des couleurs complémentaires dont il faut bien comprendre qu’elle est universelle et que l’art de certains peuples est - de ce point de vue - en parfaite affinité avec les recherches colorées qui furent celles d’un Gauguin (bien inspiré lui-même par les Maoris) ou d’un van Gogh que la vue du midi de la France initia aux ruissellements et contrastes des bleus et des jaunes, des verts et des rouges.

Le vêtement apparaît comme un des supports privilégiés de l'usage que nos civilisations font de la couleur. Nos deux photographes ne sont, sur ce point, guère éloignés l’un de l’autre. Et cela même si leurs styles et les réalités qu’ils révèlent ne se recouvrent pas. — Les mannequins invisibles et anonymes d’Erick Madigan Heck s’opposent en tous points aux personnages si typés que photographie Stephan Gladieu. — Deux mondes s’opposent : l’univers lisse et glacé d’une certaine mode occidentale, et de l’autre, la fantaisie et touche artisanale de ces costumes que les Héréros portent avec fierté, comme signes de reconnaissance de leur ethnie.

Universelle dans ses principes, la couleur se décline encore dans ce vaste Salon de la Photo, de mille et une manières. Comme dans les sérigraphies pastellisés (et dont le détail se révèle à la façon de précises empreintes de tissus fleuris, de cheveux ou de végétaux ) de Joan Lyons.

Quant au nu - rose sur fond de soie rose - de Jo Ann Callis (Série «Early color" 1973), il révèle une autre forme de sensibilité à la couleur. Adoucie et comme descendue. Rien de « vif » ici. On demeure dans les tons et teintes intermédiaires. Couleurs de caresses, un peu passées. Sensuelles. Comme ce corps, boudiné et plissé à la façon d’un bibendum ou soumis à la pratique du bondage, qui vient fusionner avec la peau d'ange ou tissu rose qui lui sert de "fond".

Paris Photo 2018

© Stephan Gladieu, Hereros, 2017. Courtesy School Galley.

dimanche 4 novembre 2018

Tadao ANDO. La Forme du Vide.

Tadao Ando, Eglise de la Lumière, Ibaraki-Kasugaoka,
1989.Maquette. Photo ©FDM 2018

Tadao ANDO. LE DÉFI
Centre Pompidou, Paris.
Du 11 octobre au 31 décembre 2018

Tadao Ando est sans doute le plus parfait représentant de l’architecture japonaise en béton. La simplicité de ce matériau, son caractère brut lui permettent d’ancrer ses bâtiments dans une multiplicité d’espaces différents. Le volume de béton circonscrit ainsi un dehors et un dedans qui délimitent autant d’univers spécifiques.

Bien des œuvres d’Ando s’articulent autour de cette enveloppe ou ce mur (droit ou circulaire, angulaire ou régulier) qui isolent l’architecture interne - d’une maison, d’un musée ou d’une église - de l’espace qui les entoure ou bien (comme dans la re-construction de la Bourse du Commerce de Paris, en cours d’achèvement) d’une coque qui sépare et différencie les espaces et les fonctionnalités d’un même monument déjà existant. Le vide interne y acquiert de la sorte une singulière autonomie, fermé et claquemuré qu’il est souvent, à l’instar d’un blockhaus. La lumière seule y passe encore… Et le visiteur à sa suite…

Œuf, cercle, triangle ou ovoïde, le vide ainsi dessiné devient palpable. Les heures et les saisons y impriment leur marque striée, ondulatoire. - Ando apprécie particulièrement les angles, ces figures disruptives qui viennent rompre la symétrie ordinaire du monument. L’Église de la lumière (Osaka, 1989) en est un parfait exemple : l’espace y est comme tranché à vif, le regard déstabilisé et le corps même s’y perçoit comme arrimé de guingois.

L’abondance, dans l’exposition, de maquettes, entourées de photographies souvent prises par l’architecte lui-même, permet de se couler au plus près de l’ancrage du bâtiment dans le site d’où il surgit. Les pliures et plis du terrain, l’infrastructure géologique sur laquelle repose la construction, révèlent fréquemment une sorte d’osmose entre les lignes de force du monument et ces autres lignes de force du paysage ambiant.

C’est sans doute un des éléments qui conduisirent Ando à enterrer son Bouddha géant au sein d’un tumulus de verdure d’où n’émerge que le sommet de la tête de la gigantesque sculpture (La Colline du Bouddha, Sapporo, 2012-2015). - Le visiteur n’a plus qu’à pénétrer au sein du tumulus ; il y fait alors la singulière expérience d’une proximité avec cette figure sacrée que l’on ne perçoit ordinairement qu’à distance et en contreplongée.

Dans l’espace urbain, les premières maisons dessinées par Ando y furent inversement des sortes de maison-blockhaus - isolées de leur contexte (Maison Azuma, Sumiyoshi, 1976). Délibérément enveloppées dans leur carapace de béton. Fermées au contact extérieur et ouvertes sur un seul patio. La maison y retrouvait sa fonction première de défense, de seconde peau, d’armure et de protection.

Ces espaces clos, ces circonvolutions, ces lieux quadrangulaires sont plus ou moins pénétrés, hachés, découpés par une lumière qui se fait tantôt rare, tantôt prolixe. La richesse déployée par le jeu des ombres, les raies de lumière, les amples faisceaux d’une lumière zénithale qui baigne en continu certaines surfaces y est d’une grande subtilité.

BÉTON et LUMIÈRE : tels sont ainsi les deux maîtres mots de l’architecture selon Tadao Ando.

Tadao Ando au Centre Georges Pompidou

Tadao Ando, Musée de sculpture sur pierre, Kuback
(Allemagne) 1996-2010. Maquette. Photo © FDM, 2018

mardi 16 octobre 2018

Catherine FRANCBLIN. Deux Pères Juifs.

Deux Pères juifs
de Catherine Francblln
Editions Le bord de l’eau, 2018.

"Née d’un père disparu dans la Shoah peu de temps avant sa naissance, l’auteure a grandi entre une mère réduite au silence et un beau-père, rescapé d’Auschwitz, aspirant à aller de l’avant. Une situation dont elle tire un récit sans dolorisme, original et bouleversant, où se mêlent histoire personnelle et grande Histoire." (note de l'éditeur)

« Je visite tous les camps. J’accompagne mon père, mais aussi le flot sans fin de ceux qui voyagent avec lui. Que sait précisément ma mère ? Je suis trop jeune pour l’interroger. Puis, tout à coup : « Voilà ton papa ! » Mon beau-père a passé quatorze mois à Auschwitz et s’est évadé dans les premiers jours des Marches de la mort. Je nourris de mes lectures le récit qu’il fait de ses épreuves. Je plonge dans un temps de massacres ininterrompu. Mes deux pères se partagent mon enfance comme les deux corps du roi, l’un trônant en majesté dans le monde physique, l’autre alimentant par son absence mon imagination. C’est cette histoire plus vaste que la mienne à laquelle tous deux me renvoient, l’un en victime, l’autre en quasi-héros, que je fouille à nouveau alors que ma vie a pris depuis longtemps un autre cours. Les morts ne sont jamais les mêmes quand ils respirent dans la langue des vivants. » [4e de couverture]

Pour Catherine

Ton récit s’articule (ou se désarticule) autour de quatre « champs » où - dans ton sillage - nous nous efforçons de retracer les linéaments de cette histoire qui fut la tienne et où l’humain ne cesse de fuir et se désagréger.

LA RAMPE, tout d’abord, ce lieu de bifurcation tragique qui a fini par devenir dans l’histoire de la Shoah un marqueur sinistre. A l‘arrivée à Auschwitz, au sortir des wagons et dans le chaos, se retrouver dans la bonne file, celle qui mène vers les camps, mais aussi peut-être vers la survie ou bien dans l’autre, celle qui mène vers la chambre à gaz.

Sur les traces de ton père, Salomon, disparu dans la poussière de la Shoah, tu t’es retrouvée au printemps 1999 à parcourir ce qui dut être la 2e rampe d’Auschwitz. Plus tard tu as compris que cette rampe sur laquelle ta main glissait n’existait pas en 1943, et que ton père, raflé, puis déporté de Drancy n’a jamais atteint Auschwitz, que son convoi avait été détourné sur un autre camp où il a fini par disparaître sans que l’on puisse rien affirmer de sa date de disparition (ou de mort) réelle.

Majdanek, près de Lublin, dans le sud-est de la Pologne. Tu apprendras (par la voie administrative) que la mort de ton père y fut enregistrée « le 11 mars 1943 ». Peu de temps avant ta naissance. - Plus tard encore tu découvriras que cette date n’est elle-même qu’une supposition, une hypothèse administrative, que tout demeure flou, imprécis. Ce qui ouvre le champ des suppositions.

Tu t’informes. Tu fais de patientes recherches historiques, dépouille les témoignages et vas sur place, visiter le lieu aujourd’hui devenu un musée, libre d’accès. Tout cela t’aide à imaginer, reconstruire cette vie-là qui aurait pu être celle de ton père, si par hasard il avait survécu quelque temps.

TA MERE. C’est là le deuxième lieu, le deuxième « champ ». Et celle qui t’a donné l’existence. Toute sa vie, elle s’est murée dans son silence. Incapable de dire et « parler » celui qui fut ton père. Ce mutisme, tu as instinctivement et très vite su, enfant, qu’il ne fallait pas l’ébranler ; qu’elle pourrait ne pas s’en remettre ; que tout se fracasserait en elle. Ce mutisme t’a accompagné et muré en toi de longues années durant. - Jusqu’à la mort de ta mère. Ta vie longtemps a été construite autour de questions qui se heurtaient à la force oppressante du silence de cette mère aimante et attentive. Et pour qui se taire était le seul mode de protection (et d'autoprotection) possible.

SONDERKOMMANDO.
Il y eut ensuite le temps de la connaissance. Celui des livres d’histoire et des témoignages - parfois les plus inattendus, puisque certaines de ces paroles et de ces écrits émanèrent de ceux qui vécurent l'horreur au plus près, comme ceux de "Sonderkommandos", que tu cites précisément et qui parvinrent dans certains cas à conserver - et porter bien au-delà - un sentiment d'humanité que rien n'avait pu étouffer. - Tu visites les camps ; tu t'informes au plus près. Tout cela alimente et préfigure ce temps des mots et de la parole qui viendra avec l’écriture de ce livre dont nous parlons.

Ce champ là de la description est celui de l’horreur et de l’intensité. Il te fallait - en un certain nombre de pages couvrant l'expérience concentrationnaire - exposer ce qui fut fait à ton père et à l’ensemble de ses compagnes et compagnons de déportation. L’indicible. L’anéantissement de ce que l’on nomme un être humain.

Sans oublier que - dans certains lieux - il y eut des actes de résistance. Comme cet enregistrement photographique par un groupe du Sonderkommando d'Auschwitz, chargé de transporter les corps de la chambre à gaz au four crématoire et de les y brûler. Les photographies sortirent du camp et furent transmises à la Résistance polonaise de Cracovie. La minutie et la précision de ces documents est là pour s’opposer à l’obsession de dissimulation des preuves qui ne cessa de grandir chez les dirigeants des camps.

« LE JOUR DE NOTRE MORT »
Dans les années qui suivirent la guerre et le retour des camps, ta mère - un jour - t’appelle et te dis : « Voici ton papa ». - Il ne s’agit pas de Salomon, ton père, mais d’Albert qui fut interné à Auschwitz. Mais tout cela tu l’ignores. Comme tu ignores aussi l’existence et la disparition de Salomon dans les camps.

Tout à la fin du camp, et alors que les Allemands ont entamé les fameuses « Marches de la mort », Albert interroge un camarade : « Quel jour sommes-nous ? ». Et Albert de poursuivre : « C’est le jour de notre mort. Il faut se cavaler. »

Ce que les hommes exécutent tout aussitôt, en se mettant à courir. Au risque ironique de se faire tuer ! - Ils s’en sortiront et Albert reviendra. Survivant d’Auschwitz, il n’aura - après deux ans de « sauvagerie » au sortir de la guerre - qu’une idée : aller de l’avant. Ce qui inclut une certaine forme d’oubli. Il sera le compagnon de ta mère et pour toi un père aimant.

TON LIVRE. - Une fois lu, j’ai longtemps tourné autour. Soufflée par cette dimension palpable d’un indicible qui longtemps fut sans mots. Il me fallait, à mon tour (mais sans bien sûr que cela ait le même sens ou la même intensité) prendre quelque distance pour pouvoir repasser par le langage.

On ne peut ainsi brutalement s’emparer de tes mots. Ils t’appartiennent. il faut donc impérativement les lire - LIRE TON LIVRE - pour en sentir le grain. Et percevoir ce monde au travers de mots qui sont certes une sorte de « champ commun », mais dont la coloration affirme ton existence. Et un certain « mode d’être au monde ».

Livre aux éditions « Le bord de l’eau »

dimanche 30 septembre 2018

PICASSO BLEU. PICASSO ROSE.

Acrobate à la boule, 1905.
© Moscou, The Pushkin State Museum of Fine Arts.
Succession Picasso.

PICASSO, BLEU ET ROSE
Au Musée d'ORSAY
Du 18 septembre 2018 au 6 janvier 2019.

BLEU et ROSE. - Des couleurs, et puis le mélange de ces couleurs. Paul Klee, dans ses écrits, a des pages admirables sur l’opposition et la confrontation du NOIR et du BLANC. Pourrait-on appliquer ce qu’il en dit aux « périodes » rose et bleue de Picasso ?

Le processus diffère. Picasso part d’une certaine monochromie (diversifiée certes et déclinée en camaïeux) - le BLEU - pour virer insensiblement jusqu’à une infiltration lente du ROSE dans le BLEU. Jusqu’à la production d’un ensemble de toiles, ocres et rosées, fragiles et "poussiéreuses", comme de graciles Tanagras.

Arrivé à Paris en 1900, Picasso commence par une période fauve et colorée (La Naine ; La Pierreuse, 1901). - Le 17 février 1901, son ami Carlos Casagemas se donne la mort. Dans les mois qui suivent, la peinture de Picasso se transforme du tout en tout. Les nuages, les camaïeux de bleus et le modelé des corps du Greco envahissent ses toiles. L’Enterrement du comte d’Orgaz (1588) du peintre de Tolède obsède Picasso. Le bleu s’infiltre dans son pinceau et dans son âme.

Ce bleu qui colore tout à la façon d’une atmosphère va occuper Picasso jusqu’en 1904. - Le peintre voit bleu, peint bleu, soupire et rêve bleu. Objets, paysages et personnages sont ainsi trempés dans un bleu souvent proche du « bleu de méthylène » de nos enfances, mais qui se décline aussi à l’infini, se pare de gris, de verts, de violets. Tout en demeurant avant tout BLEU, POISSEUX, VAPOREUX, TRAGIQUE, intensément POÉTIQUE.

Quelques touches de rouge, de jaune, viennent souvent appuyer et relayer ces bleus. Comme dans l’Arlequin assis de l’automne 1901. Une bouche rouge, quelques fleurs, une grande collerette de pierrot et une nappe blanche servent de caisse de résonance au personnage qui demeure bleu dans sa vêture en damiers.

Fin 2004, le bleu tourne insensiblement à l’ocre, au rose. Le bleu se mélange. On voit des chairs redevenir roses, des fonds virer, s’éclaircir et muer. La toile, les fonds, les atmosphères sont de sables, de terres et d’ocres. Roses. Rouges. Bruns.

Cette savante mutation accompagnera la naissance des Demoiselles d’Avignon* (1907) dont les grands corps de chairs se déclineront en facettes acérées.

*La grande toile sera dénommée par les compagnons de Picasso "le bordel d'Avignon" ou le "bordel philosophique".

Kant et Picasso, le bordel philosophique

Les deux frères, 1906. © Succession Picasso.

dimanche 23 septembre 2018

Conférence de Florence de Mèredieu sur le GUTAI au Musée SOULAGES. RODEZ.

Portrait de groupe. 1re Exposition en plein air,
Parc d’Ashiya, 1956. © Archives Gutai.

Conférence de Florence de Mèredieu
Le GUTAI - Quel GUTAI ?
Pour quel art et pour quelle histoire ?

Musée SOULAGES - RODEZ (Aveyron)
Le Jeudi 4 Octobre 2018 de 18h30 à 20h00
(Sous l’égide et à l’initiative des Amis du Musée Soulages)

Le GUTAI. - On parle du Gutai comme d’un mouvement particulier, né au Japon en 1954, dans la région d’Osaka. Des objectifs communs réunirent ses membres : nouveauté, gestualité, matérialité. Un style assurément s’en est dégagé.

Mais aujourd’hui - en 2018 - l’histoire et l’histoire de l’art sont passées par là, soumettant le Gutai et son approche à des lectures contrastées. Est-ce la peinture qui domine ou le geste ? L’œuvre achevée ou le processus créatif ? La performance ou ses traces ?

N’y a-t-il pas plusieurs « GUTAI » ? Celui de ses différents membres d’abord. Ce qui fait déjà du monde ! Il y a ensuite le GUTAI des différents critiques ou historiens de l’art qui se sont succédés à son chevet… Le GUTAI des conservateurs, des musées et galeries qui l’exposent… Le GUTAI du marché de l’art et des collectionneurs qui le vendent et l’achètent… Le Gutai, aussi, d’un public qui a évolué et se trouve lui-même pluriel…

On se posera donc la question du sens de l’évolution d’un MOUVEMENT comme le GUTAI. Dans le double contexte de l’histoire de l’art et de l’inéluctable marche des événements qui construisent (ou déconstruisent) notre monde.

La séance sera largement ouverte aux questions du public.

Bio-Bibliographie :
Florence de Mèredieu, écrivain, universitaire, Spécialiste de l’art moderne et contemporain : — Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain, 1994 et 2017 (22 occurrences sur GUTAI).
GUTAI, Moments de destruction/Moments de beauté (ouvrage collectif, Blusson, 2002).
— « Défi au soleil de la mi-été », in GUTAI, l’espace et le temps, catalogue d’exposition du Musée Soulages, 2018.
* ouvrages disponibles à la librairie du Musée ainsi qu’à la Maison du Livre de Rodez.

Voir la vidéo de la conférence au Musée Soulages

Soulages et Gutai face à face

Tanaka, Atsuko, Denkifuku, Robe électrique
Exposition sur Scène, 1956. © Archives Gutai.

vendredi 14 septembre 2018

Salvador de BAHIA - Théâtres de la Cruauté.



En hommage à l’ombre « haute en couleurs » d’Antonin Artaud (une partie de ses œuvres entreront, en France, dans le domaine public le 1er janvier 2019 et l’on voit déjà toute une pelletée d’amateurs se placer dans les starting-blocks de la « grande invasion du Mômo »), un colloque et un Festival de théâtre (FILTE) viennent d’avoir lieu à Salvador de Bahia (voir le blog précédent).

L’Amérique latine a toujours manifesté des accointances particulières avec l’œuvre du poète qui fit au Mexique en 1936 un voyage qui le marqua de manière indélébile. Cosmopolites et ouverts aux merveilles de tous les archaïsmes, les textes et la vie même d’Artaud contiennent un nombre considérable de références au continent sud-américain.

Les spectacles, performances, conférences et ateliers de travail (qui se sont succédé dans les différents théâtres de Salvador du 1er au 9 septembre 2018) furent marqués par l’importance accordée au geste, à la voix, à la mise en scène spatiale.

On y a vu défiler des troupes venues de l’ensemble du Brésil et de l’Uruguay, et des conférenciers en provenance du Chili, de l’Uruguay, de la France et du vaste Brésil. Le colloque même fut très marqué par une double référence : - aux travaux effectués - parfois dans la perspective d’Artaud - dans les milieux psychiatriques (Nara Salles et Renata Berenstein) - aux expériences sonores et vocales (Tania Faras, Paula Molinari, Annie Murath, etc.), pouvant rejoindre les modulations de la voix d’Artaud acteur et homme de radio ainsi que ses fameuses glossolalies :

      ma lil trac
      ra del tigalike
      tapa like
      adel tagal


La cruauté ici n’est jamais loin. Dans beaucoup de cas, elle s’ancre dans des textes (ou montages de textes) d’origines très diverses : de Shakespeare (Titus Andronicus Reverbe. Territorio Cênico) à Gabriel Garcia Marquez (texte d’O Galo) et dans la vie même des personnages (Frida Kahlo, de Fernando Santana). Mais c’est le passage par le mime (cf. le spectacle d’Amok Teatro), le jeu ou l’exposition du corps (O problèma é por que sou lucido ? de Felipe Monteiro, Cartographie de abismo de Luis Alonso), les ondulations de la voix (Evocando de Mortos, avec Tania Farias), le « tremblement » de la scène qui forent plus avant dans le domaine de la cruauté.

Cette intensité, cette CRUAUTE s’ancrent dans le jeu social et le grand corps politique d’une nation (le Brésil) et d’un monde (le nôtre) qui n’en finissent pas de basculer. Comme bascula (en son temps) l’univers où Antonin Artaud arrima la trajectoire de sa dépouille de chair et d’os - malade et triomphante, mal faite (par dieu et « tous ses saints ») mais refaite et RECRÉÉE par la puissance du verbe, des nerfs, des muscles, du chant et du souffle de la voix.

Rendons hommage donc au FILTE, à son directeur, Luis Alonso, et à l’ensemble de son équipe qui - d’année en année - explorent et amplifient le champ d’action et d’expérimentation de l’ensemble des « Théâtres de la cruauté ».

Résumé de mon intervention au Colloque :

Artaud au risque du corps… et de l’Amérique latine

"Rabattre les montants, reprendre le harnais, abandonner le harnais, se reprendre soi-même hors harnais, faire de soi-même un harnais d’étal et de l’être une boucherie, forcer dans la boucherie du cœur jusqu’au feu parce que le cœur m’a trahi… » (Cahiers de Rodez, février 1946)

Embryon prénatal. Corps manipulé de l’enfant. Corps adolescent. Corps de la guerre. Corps soumis à toutes les tutelles politiques et sociales (école, médecine, armée, santé, institutions psychiatriques). Corps dessinant, parlant, marchant, « travaillant ». Corps du théâtre, de la voix, du cinéma. Corps asilaire. Anticorps politique. - Artaud fait d’un corps contraignant un instrument de rébellion. La refonte du théâtre est au cœur de cette mutation. -

Le recours aux forces de l’Amérique latine (« forces du Sud », opposées aux puissances délétères de l’Occident - Europe et Amérique du Nord) occupe sa vie. - Cette renaissance culturelle passe par un appel aux forces vives de l’esprit et du corps. Le théâtre se fait « shamanique » et curatif (cf. l'ouvrage évoqué ci-dessous, Antonin Artaud e a America latina).

Programme de l’édition 2018

Livre Eis Antonin Artaud


vendredi 31 août 2018

Autour d’ARTAUD : Théâtre. Colloque. Performances.

SALVADOR DA BAHIA
Du 1er au 9 septembre 2018
Théâtre, colloque, rencontres
et performances autour du Mômo.

La Politique. Le Corps. La Voix.

« Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. » (Antonin Artaud, Le Théâtre et son double)

VII Colóquio Internacional Cênico Da Bahia


dimanche 19 août 2018

Antonin Artaud IN THE WAR. Table of contents.



CONTENTS

INTRODUCTION
From Verdun to Hitler and Nagasaki: The Wars of Antonin Artaud.

PART ONE
THE WAR 1914-1918.
Artaud, Antoine, Marie Joseph, Identification Number: 3728.


A - 1914-1918: ANTONIN ARTAUD, infantryman, adjourned and then three times reformed
Artaud and Dr. Joseph Grasset: in the context of war. - Artaud, Breton, Masson ... A hasty generation in guerre.- Verdun 1916. Disjecta membra .- The water and mud of the trenches.
B - THE GREAT WAR AND NEURO-PSYCHIATRIC CENTER OF THE ARMED
A laboratory for human behavior. - Trauma, neuroses and "sinistroses" war. - The automation of war and warlike asylum mechanical engineering. - A new gesture. - The coercive treatment used on both sides of the forehead. - Clovis Vincent, Gustave Roussy and the "sinking". - Clovis Vincent and Deschamps Zouave Case. - Gustave Roussy and the "Eagle's Nest" Fort St. Andrew. - The Marseille Neurology Center (Region XV).
C - THE « GREAT IMITATOR »: Syphilis
1914-1920: war, sexuality and venereal diseases. - Marseille, open city, a city of epidemics. - Victor Audibert: the "nuances" of syphilis. The sickly, genius and the criminal. - January 1917: timely "hereditary syphilis." - The "magic Obus" Dr. Paul Ehrlich (1854-1915). - The Theater "Enervés". - Joseph Babinski and André Breton: the simulator and its double. - Simulation and Sursimulation. - "creating simulators" and "fixing simulators". - André Breton and the "simulation" of mental illness.
D - THE "FUNNY WAR" by Louis-Ferdinand Celine (1894-1961) and Antonin Artaud (1896-1948)
The wind shells, the mud of Flanders. - The "crisards" war of 14. - The cowardice and "imagination of death". - The Regiment rogue and "stray". - Cruelty, flesh, meat, language. - A vision of the postwar period. - The Parade, circus and anarchy. " Guignol's Band ." - The painting of the hospital.

PART TWO
POST-WAR (1919-1939). CONTINUED THE WAR.

A - CIVIL SOCIETY upset. The reversal of the proposal Clausewitz. The culture of the post World War. - Surrealism war against war. - The "escalation '.
La culture de l'après première guerre mondiale. — Le surréalisme en guerre contre la guerre. — La "montée aux extrêmes".
B - 1928-1932: WAR FILM: Verdun, history Visions (1928), The Wooden Crosses (1932)
Verdun history Visions (1928): The death of the soldier. - 1931-1932. The Wooden Cross . - The « Crisard » War of 14-18. - The war. From Expressionism to Abel Gance.
C - MENTAL HEALTH.
The causes of insanity: the formation of Edouard Toulouse. - Edouard Toulouse (1865- 1947). - The Biotypology. - Antonin Artaud and Edouard Toulouse. - The warrior world of medicine: war on disease. - The evolution of the term "mental hygiene". - A hereditary fault. - decadence and degeneration. - The "Capital Human" and the cost of treatment: a saving of mental illness. - 1936. The rise of fascism. - January 1937: Mental Hygiene and prevention of mental disorders. - The apocalypse. - Nazism or the meeting of eugenics and race.

PART THREE
1939-1946: EXILED IN HIS OWN COUNTRY

A -THE ASYLUMS TIME
France is at war. The exodus, the occupation. - The situation in lunatic asylums. - 1939-1943: life at the asylum of Ville-Evrard.
B - ENTRY OF HITLER IN THE GAME OF INSANITY
The Berlin cafes and Romanisches Café (1930-1932). - Hitler and the "planes" of Ville-Evrard. - Hit1er this crazy puppet. - August 1941. "Have you ever dreamed of Hitler" (interview with André Breton by Charles Henry Ford ). - War: a viral method. - The Map Territory.
C - HITLER (1889-1945): From Pasewalk to the « Final Solution »
Hitler’s first war: manufacture of a legend. - AH Corporal, "neurotic war." - neurosis and hysteria of war: the medical record of Hitler. - The aestheticism of the war.

PART FOUR
THE RODEZ PERIOD. RESISTANCE AND WAR MACHINE.

A - 1943-1946: THE ASYLUM FROM RODEZ
Electroconvulsive. - "The army of his heart girls." - The grape and the "green verdigris."
B - RESISTANCES
War as a model. - The state of mental warfare. - Illness as crossing boundaries. - Theater operations.
C - ANTI-SEMITISM AND THE QUESTION OF RACE
Robert Desnos, Sonia Mosse: The Nazi barbarism.

PART FIVE
WAR STRATEGIES AND WAYS TO WRITE

A - THE FIREPOWER OF THE MOMO
Power of destruction and resistance machines. - The body shotgun. Machines of Victor Tausk. Machines of Antonin Artaud. - The shielding to be. - Games, Strategy, war games.
B - THE WAR MACHINE OF THE PAPERS (1945-1948)
To write. Make war. Draw. - Breaths. - The Spells and Letters of Dr. Fouks. - The "notebooks-guns" Rodez. - Antonin Artaud, Gaston Ferdière warriors and their doubles.

PART SIX: 1946-1948
POST-WAR, THE RETURN, THE ATOMIC AGE
Nagasaki and Bikini. [Hiroshima]. - The entry into the atomic age. - André Breton: Hiroshima bomb to America. - US wars. - 1948 - To end with God's judgment . - A political Artaud. - The European decadence. -The political delirium: Madmen in authority.

CONCLUSION
POLICY AND PSYCHIATRIC. THE QUESTION OF POWER.
Extending the field of psychiatry. - The psychiatrist as a political prescriber. - Expert Input.

RELATED DOCUMENTS.
BIBLIOGRAPHY. FILMOGRAPHY. INDEX.
114 ILLUSTRATIONS.

Book at Editions Blusson

Choice Booksellers


dimanche 29 juillet 2018

GUTAI and SOULAGES. Face to Face.

Shiraga Kazuo painting with his feet. DR.

« Gutai. Space. Time »
The Soulages Museum of Rodez.
From July 7 to november 4, 2018.

What of common between Relieve, "Cistercian" painter, his blacks-lights, his shadows, his legendary (and refined) economy of means and the explosive movement Gutai, this cutting edge Japanese group which undertook, in 1954, to make a clean sweep of the past?

It was then a question for the members of the group of "doing what had been never made" (Yoshihara Jiro). As to paint with feet (Shiraga Kazuo), to use any sorts of uncommon materials, to throw on the canvas missiles of paint (Shimamoto Shozo), to drill at high speed a series of screens of paper (Murakami Saburo), etc... And to ensure (ESPECIALLY) that the paint is not anymore confined in the "picture of easel", that it becomes emancipated and clears off - on stage, outdoor, in the space, the time, the sky, the gardens and the pine forests.

Soulages also "painted" which was never painted, overrides paint, black, color, space, time, to find "elsewhere". In another space / time than its predecessors and unprecedented pictorial adventure.

The Gutai exhibition halls adjacent to the Museum Soulages. The two worlds will merge it developed. This exhibition represents the counterpoint, this openness desired by Soulages himself in what is "museum" on other adventures, other universes. And we dare add other heavens.

Backing the sky, granites windows of Conques open doubling on an inner and on an outer (transmitted opaquely, milky, declined over the hours and atmospheres). The Sky Festival, which participates Gutai in 1960, also opened him to the sky ; attached to balloons, the works were deployed in space.

The powerful gesture of Gutai painting, Gutai Theater, shares of Gutai, otherwise this gesture animates the brush strokes and brush Outrenoirs Soulages. In both cases, moreover, it seems that one is in a beyond calligraphy. It escapes, leaving its meaning, making himself matter. Pure-color material. Material light.

This, no doubt, that would end up - slightly osmosis, ephemeral - a painter like Soulages and the "kids" of restless Gutai origins. - There are in fact two Gutai : the movement of the first, rushing in all kinds of experiences and the Gutai (wiser) beginning to worry about the strength of the support of the work or object will be able to move and turn into "work of art".

Good art critic, in great artistic adviser, Michel Tapie pass by, directing the movement towards the network of international galleries. Then comes the "time table", the perennial work, own preservation, can circulate in the networks of the art market. This did not prevent the action, the action to continue. But the group now has traces solid.

The exhibition in Rodez stress this second side : the work and painting. However, do not forget the powerful gesture that gives rise to these works. And when speaking of gestures, it is often the setting in motion of the entire body. Traces of thick Shiraga Kazuo pasta is to perceive through the momentum and swing the artist's body. Hanging on a rope, the painter turns his feet wide and powerful brushes.

Do not forget, in the tour of the exhibition, the small room in which are presented photographs and documents. The essence of Gutai is delivered "raw".

Note-Bene : Few documents are now available in French on Gutai. Hence the interest of the rich catalog of the exhibition that takes stock of various aspects of the movement. To this valuable catalog should be added an older book, Gutai, Moments of destruction / Moments of Beauty. We will discover the beautiful text of a specialist Gutai, Atsuo Yamamoto who gives us an overview - high purity - the movement to its origins.

Website Museum Soulages

Exhibition catalog

Gutai, destruction Moments / Beauty Moments

SHIRAGA Kazuo, Tenkansei Nyuunryu, 1962 © DR.
Collection of Hyogo Prefectural Museum of Art.

vendredi 27 juillet 2018

SOULAGES et GUTAI. Face à Face.

Shiraga Kazuo au travail, années 1950, photographie (DR).

« GUTAI. L'espace, le temps »
Au Musée SOULAGES de Rodez.
Du 7 juillet au 4 novembre 2018.

Quoi de commun entre Soulages, peintre "cistercien", ses noirs-lumières, ses ombres, sa légendaire (et raffinée) économie de moyens et l'explosif mouvement Gutai, ce groupe japonais d'avant-garde qui entreprit, en 1954, de faire table rase du passé ?

Il s'agissait alors pour les membres du groupe de "faire ce qui n'avait jamais été fait" (Yoshihara Jiro). Comme de peindre avec les pieds (Shiraga Kazuo), d'utiliser toutes sortes de matériaux inusités, de lancer sur la toile des projectiles de peinture (Shimamoto Shozo), de perforer à grande vitesse une série d'écrans de papier (Murakami Saburo), etc.. Et de faire en sorte (SURTOUT) que la peinture ne soit plus cantonnée au "tableau de chevalet", qu'elle s'émancipe et prenne le large - sur scène, en extérieur, dans l'espace, le temps, le ciel, les jardins et les pinèdes.

Soulages aussi "peint" ce qui n'a jamais été peint, outrepasse la peinture, le noir, la couleur, l'espace, le temps, pour se retrouver "ailleurs". Dans un autre espace/temps que ses prédécesseurs et une aventure picturale inédite.

L'exposition Gutai jouxte les salles du Musée Soulages. Les deux univers ne s'y confondent point. Cette exposition représente ce contrepoint, cette ouverture souhaitée par Soulages lui-même au sein de ce qui est "son musée", sur d'autres aventures, d'autres univers. Et l'on oserait ajouter d'autres cieux.

Adossés au ciel, les vitraux granités de Conques ouvrent doublement : sur un intérieur et sur un extérieur (une lumière transmise de manière opaque, laiteuse et qui se voit déclinée au fil des heures et des atmosphères). Le Sky Festival, auquel participe Gutai en 1960, ouvrait lui aussi sur le ciel ; accrochées à des ballons, les œuvres se déployèrent dans l'espace.

La puissante gestualité de la peinture Gutai, du théâtre Gutai, des actions de Gutai, cette gestualité anime autrement les coups de pinceaux et de brosse des Outrenoirs de Soulages. Dans les deux cas d'ailleurs, il semble que l'on soit dans un au-delà de la calligraphie. Celle-ci s'évade, quitte son signifiant, se faisant matière. Pure matière-couleur. Matière-lumière.

C'est là, sans doute, que se retrouveraient - en osmose légère, éphémère - un peintre comme Soulages et les "bambins" remuants du Gutai des origines. - Il y a en effet deux Gutai : le mouvement du début, qui se précipite dans toutes sortes d'expériences et le Gutai (plus sage et plus tardif) qui commence à se préoccuper de la solidité du support, de l'œuvre ou de l'objet qui va pouvoir circuler et se transformer en "œuvre d'art".

En bon critique d'art, en excellent conseiller artistique, Michel Tapié passe par là, orientant le mouvement vers le réseau des galeries internationales. Vient alors le "temps du tableau", de l'œuvre pérenne, propre à la conservation, apte à circuler dans les réseaux du marché de l'art. Ce qui n'empêche pas le geste, l'action (tout cela qui constitue la quintessence du mouvement) de se perpétuer. Mais le groupe dispose désormais de traces plus solides. Au sens "physique" du terme.

L'exposition présentée à Rodez insiste sur ce deuxième versant : celui de l'œuvre et du tableau. Il ne faut point cependant oublier la puissante gestuelle qui donne naissance à ces œuvres. Et quand on parle de gestes, il s'agit souvent de la mise en branle du corps entier. Les traces et pâtes épaisses de Shiraga Kazuo sont à percevoir au travers de cet élan et balancement du corps de l'artiste. Accroché à une corde, le peintre transforme ses pieds en de larges et puissants pinceaux.

N'oublions donc pas, dans la visite de l'exposition, la petite salle où sont présentés photographies et documents. L'essence même du Gutai y est livrée "brute".

Nota-Bene. - Peu de documents sont aujourd'hui disponibles en français sur Gutai. D'où l'intérêt du copieux catalogue de l'exposition qui fait le point sur différents aspects du mouvement. À ce précieux catalogue il conviendrait d'ajouter un livre plus ancien, Gutai, Moments de destruction/ Moments de beauté. On y découvrira le très beau texte d'un spécialiste du Gutai, Yamamoto Atsuo, qui nous livre un aperçu - d'une grande pureté - sur le mouvement à ses origines.

Site du Musée Soulages

Catalogue de l'exposition

Gutai, Moments de destruction/Moments de beauté

Shiraga Kazuo, Tokko, 1989, photographie (DR)

jeudi 26 juillet 2018

L’OMBRE DES DIEUX. L’Île de Pâques à Rodez.

Moai Kavakava bicéphale, Île de Pâques,
Musée de la Rochelle. Photo DR.

Musée Fenaille
Du 30 juin au 4 novembre 2018.

Situé en plein cœur de l'Aveyron, le Musée archéologique de Rodez (ou Musée Fenaille) possède une remarquable collection de statues-menhirs anthropomorphes remontant à environ 5000 ans. Magnifiques de proportions, taillées dans un grès rosé et graniteux, ces figures furent découvertes - couchées - dans les champs environnants. Redressées, elles nous offrent aujourd'hui - de face et de dos - les marques signes et indices (anatomiques et sociaux) de ces personnages qu'elles étaient censées figurer (La Dame de Saint-Sernin, IVe-IIIe millénaire avant J.C.).

De là à imaginer (comme en écho) une exposition sur la statuaire (elle aussi anthropomorphe) de la lointaine île de Pâques, il n'y avait qu'un pas, allègrement franchi par des conservateurs passionnés. Ceux-ci sont partis à la quête de sculptures et d'objets qui ne possèdent pas le gigantisme des grands Moai qui tournent le dos à la mer et semblent ainsi veiller sur les populations de l'île. Les Musées du Quai Branly, de Bruxelles, de La Rochelle, d'Albi ou de Rochefort (Maison Pierre Loti), etc., ont ainsi transmis un ensemble conséquent d'objets et de statuettes, ordinairement épars mais précieusement rassemblés dans l'exposition.

En pierre, en bois poli, ces sculptures firent le bonheur des surréalistes : André Breton, Tristan Tzara, Paul Eluard les collectionnèrent. Pierre Loti les découvrira et dessinera lors d'un de ses premiers voyages. Parures et ornements, pectoraux, coiffes, bâtons rituels ou accessoires de danse se déclinent dans divers matériaux et continuent à entretenir le "rêve primitif".

Parmi les sculptures sur bois, on retiendra particulièrement les "moai kavakava" : figures humaines masculines d'une grande précision et dont la cage thoracique et le sternum sont comme exhumés du corps ; les côtes (kavakava) demeurent apparentes et en viennent à recouvrir le corps. Soigneusement polies, ornées de glyphes ou d'accessoires totémiques (et animaux), ces figurines possédaient vraisemblablement une fonction rituelle. On les sortaient des maisons et les promenaient lors de fêtes et de cultes communautaires.

Site du Musée Fenaille

La Dame de Saint-Sernin,
Musée Fenaille, IV-IIIe s. av J.C. Photo DR.

jeudi 28 juin 2018

L’ENVOL de La Maison Rouge.

Le Christ de Fellini (La Dolce Vita, 1960, Photo. DR)

L’envol ou le rêve de voler
La Maison Rouge
Du 16 juin au 28 octobre 2018.

Sur le départ - pour d’autres aventures -, la cabane ailée ou Maison Rouge d’Antoine de Galbert, sise près du quai de la Bastille à Paris, nous offre un dernier show. - Un dernier ENVOL.

Vous serez accueillis à l’entrée de l’exposition par le fracas ronronnant de l’hélicoptère de la Dolce Vita (1960) de Fellini. Suspendue à l’engin, une statue du Christ survole Rome. Mastroianni en maître des cérémonies commente la scène du haut de son esquif volant. Le petit peuple d’en bas (en l’occurence de jolies filles en maillots de bains) saute de joie et applaudit.

L’art contemporain et l’art tout court ont toujours célébré les noces de l’aérien et du pesant, de la matière la plus lourde et de rêves arachnéens. Le vol, l’envol, les avions, aéronefs et appareillages de plumes développent ici leurs délicats mouvements. Les machineries de plumes de Rebecca Horn croisent les corbeaux et engins volants de Panamarenko et autres hurluberlus.

Telle autre installation (ou vidéo) vous entraînera dans le ballet foisonnant d’une multitude d’hélicoptères miniatures. Tels des oiseaux, ils s’entrecroisent et pépient.

Il est d’autres scènes et d’autres objets plus inquiétants comme ces gros godillots montés sur ressort dont la fonction est de vous projeter brutalement dans les airs (Gustav Mesmer).

Accolée à la gigantesque Union Soviétique, l’Europe de l’Est fut particulièrement friande de ces dispositifs qui permettaient de mimer l’envol, l’échappement et la libération… Quitter. Partir. Monter vers le ciel. S’élever (tel Tatlin et son fameux projet de Monument à la IIIe Internationale, 1919-1920). Jouer les anges, les avions ou les oiseaux.

Les Kabakov nous attendent avec l’une de ces délicates « installations » dont ils ont le secret : au cœur d’une minuscule chambre, jouxtant un lit au drap bien ordonné : deux ailes au lourd pennage de plumes blanches reposent sur le dossier d’une chaise, telles une perspective ou une possibilité d’envol. Le quotidien est ici greffé au rêve et se déleste de ces objets ordinaires et mesquins qui plombent nos minuscules vies. Peut-être s’agit-il de la demeure ordinaire d’un ange…

L’appel est ici aérien. Il s’agit de s’élever à la verticale, tout droit ou en effectuant de ravissantes circonvolutions dans l’air. - La contrepartie de tout cela, c’est bien sûr la chute, cette chute que l’on ressent si bien dans l’envol même de la photographie prise en 1965 par Eikoh Hosoe (Kamaitachi 17), la descente brutale et l’écrasement au sol. L’exposition retrace ainsi toutes ces aventures qui menèrent bien des individus farfelus à expérimenter et bricoler d’improbables machines à voler.

Longue est la liste de ces jeux pour adultes qui ne veulent pas grandir. - Vous pourrez même vous allonger, au cœur de l'exposition, sur un grand lit tout blanc. De manière à contempler le ciel, les nuages ainsi que les allées et venues de funambules, d’acrobates, de sauteurs ou de danseurs. - Vous y aurez alors le pas aérien et la tête pleine de nuages.

La question de la pesanteur/a-pesanteur occupe une grande part de mon Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (paru en 1994 chez Bordas, puis augmenté en 2004 et 2017 chez Larousse). Yves Klein (dont Le Saut dans le vide, 1960, figure dans l’exposition) y tient une place privilégiée et s’y retrouve en compagnie de tous les artistes qui ont œuvré sur ce qui est beaucoup plus qu’un thème, puisqu’il s’agit là d’une donnée fondamentale de cet « espace-temps » où se déploient ce que nous nommons des « œuvres d’art. »

La Maison Rouge

Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne

Les Kabakov, « Mémoires d’un ange »

Eikoh Hosoe, Kamaitachi 17, 1965 © Eikoh Hosoe.
Courtesy Galerie Jean-Kenta Gauthier, Paris.

dimanche 8 avril 2018

Enfance et Aires de Jeux au Japon.

Ouverture officielle de "Kodomo No Kuni", Yokohama, 5 mai 1965.

Kodomo No Kuni
Enfance et aires de jeux au Japon
Exposition du 7 avril au 30 juin 2018 à
l’ONDE, 8 bis avenue Louis Bréguet
78140 Vélizy-Villacoublay.
Décombres d’incendie
Sur le sol en ciment
Fillettes et jeux de balle

(Mukai Kyorai, 1651-1704)
En 1965, au moment où le gouvernement japonais déclare mettre fin au processus de reconstruction de l’après-guerre, un parc s’ouvre à Yokohama. « Kodomo No Kuni » (ou « le Pays des enfants »), un jardin érigé sur un ancien terrain militaire. Les deux faits ne sont pas strictement liés. Mais, face aux destructions, naturelles ou humaines, l’appel à l’enfance et au recommencement fut et demeure, au Japon (comme souvent dans les autres pays) un leitmotiv important.

Le jeu de l’enfant revêt à ce niveau de multiples fonctions. - « Les formes données au jeu de l’enfant sont certes ludiques, nous disent les organisateurs de l’exposition ; Il importe qu’elles fournissent un environnement riche à l’enfant, mais elles renvoient aussi à un jeu plus large : elles sont porteuses d’une fonction de réparation ou de conjuration. »

Basée pour l’essentiel sur des documents photographiques, cette exposition met en scène les rituels, les jeux et les « aires de jeux » où s’exprime la vitalité des enfants et adolescents japonais.

En contrepoint, Mutsumi Tsuda présente « Dialogues », une série de clichés se référant à la situation et au destin des enfants japonais de Nouvelle-Calédonie, entre 1941 et 1960. - L’exposition s’est ouverte le 7 avril avec une conférence de l’artiste, portant sur cette relation méconnue entre le Japon et la France. (Commissaire de l'Exposition : Vincent Romagny)

Micro Onde, Centre d’art de l’Onde

Sur le travail de Mutsumi Tsuda

Kohei Sasahara, Sunny, 2016. Vue de l’exposition
Spontaneous Beauty, Kyoto Art Center, 2016.

samedi 10 mars 2018

INCIDENCE - La Charte de la Terre.


Le collectif d’artistes ARTSESSIONMTL me
demande de relayer l’information :


INCIDENCE - La Charte de la Terre
Exposition du 13 au 18 mars
Vernissage Jeudi 15 mars (17h-20h)
Galerie POPOP CIRCA - Edifice BELGO
372 rue Sainte-Catherine Ouest, espace 442
Montréal (Québec)

dimanche 4 mars 2018

DAIMYO. L’armure et son DOUBLE.

Vue d’exposition. Photo ©FDM, 2018.

Daimyo - Seigneurs de la guerre au Japon
Au Musée GUIMET du 16 février au 13 mai 2018

L’armure japonaise. Son double, son architecture. SON OMBRE.

Le musée Guimet présente une exceptionnelle et grandiose exposition, rassemblant armures, casques, masques et ornements textiles du Japon. La caste seigneuriale des Daimyo s’imposa durant une grande partie de la période féodale (du 15e au 19e siècle). L’armure est alors un instrument d’apparat, une manière - absolument théâtrale - d’afficher son emprise et son pouvoir.

La réalisation de ces « joyaux » de l’artisanat japonais démontre la maîtrise et le raffinement des maîtres armuriers. Symboliques, démonstratifs, ces accoutrements guerriers de luxe sont là pour asseoir et incarner la puissance guerrière de ceux qui les portent.

L’attirail est complexe. Constitués de masques de cuir (composés eux-mêmes de diverses parties), de casques (comportant un bol généralement en fer et un ensemble de parements circulaires protégeant la nuque, tressés, tissés et articulés) surmontés d’attributs symboliques du clan représenté, l’équipement guerrier se prolonge de pièces protégeant le reste du corps.

Caparaçonné, tressé, tissé, lacé, laqué, riveté, décoré et damasquiné, l’ensemble de l’armure fonctionne comme le double de celui qui l’habite. - Installées dans un endroit stratégique de leur demeure, ces armures pouvaient incarner et représenter leur maître en leur absence. - Au Japon, le thème du double (ou du fantôme) n’est jamais loin. Kagemusha (cf. le film de Kurosawa) est à l’horizon… qui continue à régner sous les apparences de son sosie.

Ces objets somptueux mettent en jeu des matériaux extrêmement divers. Fer, acier, bois se conjuguent à la peau animale et au cuir (galuchat, daim, etc,). Les revêtements et couches de laque permettent de durcir et renforcer la résistance des masques de cuir, le plus étonnant résidant sans doute dans l’extraordinaire utilisation des textiles (et de la soie). Les étoffes et les fils sont tissés, tressés, entrelacés de manière à constituer d’épais matelas et rembourrages de fibres. Conjuguées à de minces plaques métalliques, ces couches textiles forment autant de protections (de boucliers) qui enveloppent les épaules et les membres du guerrier.

Imposantes et particulièrement lourdes, ces armures n’étaient sans doute pas faites pour le combat, mais pour la montre, la pose et pour servir d’instrument de ralliement aux membres du clan.

D’où la prolifération de ces figures totémiques et marques claniques - dragons, papillons, bois de cerfs, cornes démesurément stylisées, pinces de crabes articulées ou éléments floraux divers - qui atteignent des dimensions démesurées à partir du moment ou l’emploi des armes à feu conduit le Daimyo à se retirer de l’avant-garde du combat pour parader à l’arrière ou en surplomb de la bataille.

L’armure, le casque sont là pour impressionner, frapper l’imagination. - On est bien entrés dans une guerre des signes et dans la magie des symboles.

La présentation (sous vitrine) de différentes pièces de ces équipements est parlante. Comme celle de ces masques de cuir - qui ne sont pas sans évoquer curieusement les masques européens de la Commedia dell’arte (qui date - rappelons-le du début du XVIe siècle).

La guerre - bien sûr - a partie liée avec le théâtre. Dans les deux cas, il s’agit d’esbroufe, de montre et d’exagération. Étonner. Surprendre. Saisir et faire peur.

Remarquons - en écho - que le poète Antonin Artaud en savait quelque chose, lui dont l’être guerrier s’est identifié à maintes reprises à l’éthique du samouraï (cf. Samouraï ou le drame du sentiment, scénario de cinéma, vers 1920). Et qui poursuivit ce rêve jusqu’à sa mort : « […] j’ai toujours voulu voir des samouraï mais il n’y en avait pas et il m’a fallu les faire naître. Comment ? Par hara-kiri, rein, étoupe et clou. » (A. Artaud, 1945)

A voir, pour sa dimension pédagogique, ce lien exposant les différentes étapes de l’équipement du samouraï

Le Japon d’Antonin Artaud

Casque-Crabe. Vue d’exposition. Photo © FDM, 2018.

samedi 3 mars 2018

FAUTRIER. Matières. Lumières. Peintures.

Affiche de l’exposition. MAM 2018.

Jean Fautrier — Matière et Lumière
Rétrospective au MAM (Musée d’Art moderne
de la Ville de Paris)
jusqu’au 20 mai 2018.

Jean Fautrier est un peintre d’une AUTRE époque. Celle du tableau PEINT, pensé, incessamment médité, recouvert de strates minutieuses et absolument irrégulières. C’est cela qui le rend miraculeux. Inestimable. Et franchement d’avant-garde.

Ses supports aussi, couches et sous-couches souvent marouflées, emmagasinent une densité de lumière intense. La lumière vient du fond de la toile ou du papier, se diffuse et irradie en giclées et halos de matières.

Cette lumière fut d’abord - en ses origines - noire. Obscure et ténébreuse. Grise et bleutée comme le fond d’un lac. C’est là une des grandes révélations de cette rétrospective. Son œuvre entière (il faudrait parler de Grand Œuvre, au sens quasiment alchimique du terme) est une œuvre au noir. Toute lumière sourd et remonte du plus profond de la bouche d’ombre, du cratère évidé, de la montagne perçue à contre-jour.

Ses toiles irradient et suintent une savante luminosité. - N’est-ce pas Turner qui s’enfermait dans le noir pour, ensuite, surprendre son œil en ouvrant brusquement les volets clos ? La matière lumineuse de Fautrier s’avère palpable, charnelle. Profonde. Elle se propage à partir de mille centres, mille plateaux

C’est donc bien de cela seul qu’il est question : de PEINTURE. Tout ici se ramène à cela, à cette expérience fondamentale d’un matériau qui absorbe tout et en lequel on se fond.

On comprend - dès lors - la place prise par Fautrier dans ce que l’on a nommé l’aventure de « l’INFORMEL». Il s’agit là d’une catégorie subtile et des plus spécifiques. On n’est ni dans l’abstraction pure, ni dans la re-présentation, ni dans la figure. Tout en y demeurant. En amalgamant en quelque sorte les contraires et les antinomies de l’histoire des arts plastiques.

Il y a donc sur les cimaises des couches et des couches de matières et des coups de brosse ou de pinceaux. Mais aussi et en même temps des reliefs de paysages, des ombres et des silhouettes d’Otages ou de menus objets. - On est dans ce monde propre à Fautrier, monde qui tient tout à la fois (comme l’écrivait Francis Ponge) « du pétale de rose et de la tartine de camembert ».

Cette matière, on la caresse. On la touche. On s’y enfonce. Elle y est mystique. Goûteuse. Odorante.

Sur l’Informel : Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (2017). Pages 285-377. Lien au livre Larousse

Exposition au MAM 2018

Jean Fautrier, Lac Bleu I, 1926. © ADAGP. Photo DR.

jeudi 1 mars 2018

Hommage à la Vénus de WILLENDORF.

Vénus de Willendorf
(calcaire, 11 cm, Paléolithique, 24 000 av. J.C.)
Musée d’Histoire Naturelle de Vienne - Photo DR.

samedi 10 février 2018

Expansion CÉSAR. Une Logique de la Matière.

Centre Georges Pompidou. Vue d’exposition. Photo ©FDM, 2018.

Rétrospective César.
Au Centre George Pompidou jusqu’au 26 mars 2018.
César Baldaccini (dit César - 1921-1998).

« Mon atelier, c’est comme si c’était une carrière. » (César Baldaccini)

Expansions. Expressions. Compressions. Soudures. Modelages. Moulages. Agrégats. Empreintes. Coulures. Fusions. Tôles. Mousses. Résines. Aciers. Polyuréthane. Ferrailles. Cuivres. Pigments. Bronzes. Métaux. Plâtres. Plombs. Boulons. Vis. Ferrailles. Étoffes. Chiffons. Papiers.

Des plis. Des rides. Des creux. Des pleins. Des bosses. Des carcasses. Des grilles. Des rayures. Des Griffures. Des lignes. Des arabesques. Des sculptures.

Former. Agglutiner. Accompagner. Juxtaposer. Joindre. Suturer. Enrober. Figer. Évider. Poncer. Laquer. Aplatir. Déchiqueter. Tourner. Dévoyer. Recouvrir. Superposer. Vider. Remplir. Tourner. Eriger. Concevoir. Découvrir. Couper. Piquer.

Nouveau Réalisme. Gonzalez. Germaine Richier. Picasso. Arman. Rodin. Gustave Eiffel. Giacometti. Fiat. Peugeot. Ricard. Automobiles. Sculptures. Ailes. Roues. Caisse. Carcasses. Autoradio. Capot. Portes. Oiseau. Pots. Récipients. Centaure. Chauve-souris. Scorpion. Femme. Pouce. Sein. Poisson. Bouilloire.

Souplesse. Aridité. Moelleux. Rigidité. Ajourés. Trempés. Ouverts. Fermés. Ronds. Ajourés. Rouges. Roses. Verts. bistres. Ocres. Gris. Tous les gris. Les noirs. Les Blancs. Des jaunes. Des bleus. Des mélanges. Mats. Opaques. Transparents. Eclatants. Atones. Patinés.

Nota Bene. - La « Matière-César » se déploie tout au long de l ‘Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (Larousse, 1994-2017). 46 pages et occurrences.

Centre Georges Pompidou. Vue d’exposition. Photo ©FDM, 2018.

samedi 3 février 2018

Les Tulipes de KOONS… Au Fil de la Seine ?


Photomontage : « Contre-proposition »
pour une implantation de l’œuvre de Jeff Koons.
("D'après Jeff Koons, Bouquet of Tulips », 2016).
Photographie de la crue ©FDM, 2018.

Revenons sur l’actuelle polémique à l’encontre des « tulipes » offertes en bouquet par Jeff Koons à la France tout entière et à la Mairie de Paris plus précisément. En hommage aux victimes des attentats terroristes de 2016.

Le bouquet est « joli » et kitch à souhait. En acier « poli », coloré. Il serait bien anodin s’il n’était MONUMENTAL. Et encombrant dans tous les sens du terme, coincé qu’il est sur l'espace séparant le Palais de Tokyo et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. C’est donc, tout d’abord, la différence d’échelle qui fait problème. Si Jeff Koons nous avait proposé l’équivalent d’un bouquet de violettes grandeur nature, y aurait-on trouvé à redire ?

A cela il faut ajouter l’effet de distorsion de l’œuvre de Koons par rapport au style épuré des deux ailes du Palais des Musées d'Art moderne", érigé pour l’exposition de 1937 dans un style grandiose qui n’est pas sans évoquer l’idéal mussolinien de l’architecture.

Ce qui gêne aussi, (semble-t-il) c’est le caractère charmant de cet hommage fleuri, de cette « nature morte » (ou gerbe funéraire) d’un nouveau style. Occasion de rappeler que dans l’histoire de l’art, les fleurs et natures mortes sont légions et que - des maîtres hollandais du XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’à Chardin, van Gogh, Cézanne, Odilon Redon ou Picasso - elles semblent n’avoir guère prêtées à polémique.

C’est qu’il y a ici un nouvel effet de DISTORSION, qui n’est plus seulement esthétique mais politique. Voire même « métaphysique ». Deux conceptions du monde s’affrontent : celle d’un certain art américain contemporain (qui déborde certes ses frontières) et joue dans un registre qui n’a rien à voir avec les soucis patrimoniaux ou la fibre humaine et patriotique de la vieille Europe…

Ces tulipes, Jeff Koons les avait déjà déclinées, à New York, à Bilbao aussi. Le contexte et l’effet produit étaient très différents. A Bilbao, les fleurs se trouvent bien au pied du Guggenheim, mais jetées au sol (et non érigées et triomphantes) ; elles y voisinent avec L’araignée de Louise Bourgeois. Le monumental Musée les écrase de toute sa hauteur et sa splendeur. Si on les remarque et les considère, c’est parce que l’on se dit : « tiens un Jeff Koons ! On reconnaît la « marque ».

Certains nous disent :« C’est un cadeau ; celui qui reçoit le cadeau peut en faire ce qu’il veut ! » - Voilà une appréciation bien superficielle de ce que représente un cadeau, surtout quand il est au départ initié par l’ambassadrice d’un grand « pays ami », l’Amérique. Il n’est sans doute pas besoin d’avoir lu le fameux essai de Marcel Mauss, L’Essai sur le don, pour comprendre qu’un cadeau fonctionne comme une sorte de piège qui oblige son récipiendaire. Rien de pire que de refuser un cadeau.

Nul doute que ces innocentes (mais « grandiloquentes ») tulipes ne jouent ici le rôle d’un cadeau empoisonné. Ou de ces patates chaudes que l’on se refile en silence.

HASARDONS UNE CONTRE-PROPOSITION : ces mêmes fleurs de Koons, érigées en bord de Seine, soumises et abandonnées aux aléas des intempéries, et puis noyées à l’occasion d’une de ces crues de la Seine que nous connaissons à l’heure actuelle… Ses tulipes y retrouveraient l’équivalent d’un vase naturel et de cette eau qui permet aux fleurs coupées de se maintenir fraîches…

Longue vie ALORS aux fleurs coupées multicolores de Jeff Koons… Que leurs reflets viennent iriser les eaux de la Seine, leurs lignes et coloris se métamorphoser dans les remous du fleuve. Lors de la prochaine crue, nous irons y contempler leurs pastellisations…, heureux que les eaux viennent perturber le côté très NICKEL de cet acier poli.

Mais la « vue », nous dira-t-on… et la perspective… Ne sont-elles pas classées, patrimoniales ? La lagune de Venise (en un tout autre lieu), tout au long des biennales d’art qu’elle abrite régulièrement, en a vu - et en verra - bien d’autres… des singularités, des métamorphoses, des incongruïtés.

Reste entière la délicate question de "l'hommage aux victimes"… La Seine ne pourrait-elle ici constituer le plus extraordinaire des cénotaphes et le plus juste des outils mémoriels, elle qui ne cesse de couler, de passer, de revenir…

Photomontage : « Contre-proposition »
pour une implantation de l’œuvre de Jeff Koons
("d'après « Bouquet of Tulips » de Jeff Koons", 2016).
Photographie de la crue ©FDM, 2018.

lundi 1 janvier 2018

Bonne Année 2018 !



Les habitants, ombres et fantômes de ce BLOG vous
souhaitent une très active et vigilante ANNÉE 2018.