dimanche 27 octobre 2019

POUSSEUR, WEBERN, FOURIER et BUTOR. Musiques et paroles nomades.


Dominique SALINI *
Webern, Fourier et Butor selon Pousseur
Un voyage en utopie, L’Harmattan, 2019.

« Les idées ressemblent à des constellations célestes, on les distingue mieux en clignant des yeux. » (Walter Benjamin)

Cet ouvrage est à l’image de l’œuvre - des œuvres plurielles - d’Henri Pousseur (1929-2009), compositeur d’avant-garde qui n’a cessé de pratiquer l’ouverture, la mixité, le collage, la polyphonie. Toutes pratiques qu’il équilibrait de manière précise et mesurée de façon à ne jamais tomber dans la cacophonie.

Le parcours du livre ne dédaigne ni les péripéties de la vie et de la démarche de Pousseur (voyages, rencontres multiples, égrenés comme un fil d’Ariane), ni les souvenirs de l’auteur du présent ouvrage : la venue d’Henri Pousseur à l’Université de Corte en 1987, au moment de sa fondation, reste pour Dominique Salini, une expérience prégnante. Le musicien fut alors confronté à un monde polyphonique corse qu’il découvrait. De mémorables séances et discussions eurent alors lieu devant un public passionné, et connaisseur.

La trajectoire de Pousseur reste inséparable de celles de quelques personnalités privilégiées. Celle, tout d’abord, de l’utopiste Charles Fourier (1772-1837), dont le projet "d’harmonie universelle", marque de son sceau la dimension politique de la démarche musicale « selon Pousseur ». — Butor résume parfaitement ce qui lie indissolublement Pousseur à Fourier : « cette passion d'ouvrir des trous dans les remparts, de berner les douanes, c'est aussi, bien sûr, le refus des cloisons étanches à l'intérieur de notre société, c'est la passion d'une société sans classes ni castes, où chacun puisse manifester sa différence, sa relation unique aux autres nœuds du réseau, du flux, de la vibration." (Michel Butor, Musiques croisées)

La musique atonale et libre d’Anton Webern (1883-1945) traça un sillon dans lequel s’engouffrèrent bien des compositeurs contemporains. Pousseur fera sienne la volonté du compositeur viennois d’affranchissement des frontières culturelles, musicales et humaines.

Le dodécaphonisme [utilisation des douze sons de la gamme chromatique] élargit et libère et la composition musicale et ce que l’on pourrait appeler l’espace de « respiration » de tout être humain.

Le troisième larron n’est autre que Michel Butor (1926-2016), poète, romancier et essayiste à la carrière proliférante. Très proche du monde des arts plastiques, voyageur infatigable, écrivain nomade, Butor écrira de nombreux livrets pour son ami Henri Pousseur, dont la fameuse Rose des Voix (1982) : Œuvre pour quatre récitants, quatre quatuors vocaux, quatre chœurs et huit instruments improvisateurs.

Henri Pousseur se montrera de plus en plus sensible, au fil du temps, à la dimension ethnographique des sons, des voix, de la musique. Il concevra d’éblouissants et subtils collages de « matériaux » de provenances les plus variées, accouplant souvent deux ou trois (ou plus) « ensembles vocaux ou musicaux », en provenance des lieux les plus éloignés du globe. Comme dans les « Seize paysages planétaires », musique ethno-électroacoustique (2000). - Le monde d’un coup s’élargit, s’amplifie, se met à résonner de couleurs multiples.

Extrait du 4e de couverture :

« Prendre l’utopie comme clé de lecture de la poïétique du compositeur belge Henri Pousseur (1929-2009) permet de pointer un aspect trop souvent absent des commentaires habituels à son propos, et qui, pourtant, ne pouvait qu’interpeller l’observateur : la récurrence de l’association des modèles wébernien et fouriériste. Ma démarche, moins musicologique qu’ethnographique, s’appuie sur les éléments inédits recueillis lors du séjour d’Henri Pousseur en Corse, à mon invitation à l’Université en 1987, et associe étroitement Miche Butor, avec qui il a partagé une certaine conception de la création et du rôle politique de l’art. La création est politique parce qu’utopique ou bien politique parce qu’utopique, dès lors qu’il y a analogie entre les systèmes d’oppression et de subordination, qu’il s’agisse de peuples, d’expressions ou de productions artistiques. On ne peut pas prôner une démocratisation de l’art sans militer pour une société dé-chaînée. Et inversement. »

Nota Bene, à écouter, dans le prolongement du livre ou en avant-lecture : Quelques pièces de Pousseur : Jeu de miroirs de Votre Faust (1966-1967) ; Vue sur les Jardins interdits (série d’œuvres de 1973 à 1984) ; La Rose des Voix (1982) ; Paysages planétaires (2000), etc.

* Dominique SALINI est professeure des universités en anthropologie du musical. Co-auteure, avec J.-Y. Bosseur de Révolutions musicales. La musique contemporaine depuis 1945, 1993. - Elle s’est ensuite attachée à proposer une approche anthropologique des musiques de Corse (Musiques traditionnelles de Corse, 1996 ; La polyphonie corse traditionnelle peut-elle disparaître ?, 2008 ; Les pouvoirs de la musique. Du diabolus in musica au showbiz traditionnel. La Corse, un laboratoire exemplaire, 2014.)

lundi 21 octobre 2019

ASIAN ART IN PARIS (english)

Sun Yanchu, « Fictions », 2018.
Photo © FDM, 2019.

ASIA NOW
PARIS ASIAN ART FAIR
October 16 to 20, 2019
9 Hoche Avenue - 75008 - Paris

Paris hosts the 5th edition of a Fair whose vocation is to present a cartography and synthesis of Asian art being done. - We will therefore find all the possible forms of expression plastic, in a very wide range that goes from traditional art (calligraphy, prints, easel paintings inherited from European art, etc.) to the jolts of a before -guard largely marked by new technologies (video, robotics, reality TV, digital art, etc.).

No dominance so. But a very eclectic walk that brings us to work at the stroke of heart or the "bloodshed". By privileging what pleases (or displeases) instinctively.

The field in which contemporary Asian art moves (dominated by Japan, Korea and China) remains situated between a highly international and avant-garde pole and this other pole that seeks to maintain the millennial artistic traditions of an East Asian that does not intend to disappear but seeks to maintain its oldest treasures.

Grafts between these two opposing universes are constituted, sometimes artificial, other times very successful. Like the scroll of the small pictorial theater of Ni Jui Hung (Taiwan) : Peng Lai Xian Shan, installation consisting of a long scrolling ribbon. An animated and colorful landscape, a poetic soundtrack and the turn is played. We stop to read, listen and browse the mobile sketch.

The richness and mix of traditional (or more contemporary) materials are often combined and mixed in a variety of reworked collages. Born in China in 1978, Sun Yanchu resumes in his "Fictions", old photographs, which are repainted, zebra streaks vertical and disrupted by caches masking the faces of the characters. The work thus acquires a narrative meaning. We can gloss over the modalities of existence and feelings of this couple sitting facing the photographer with his two children. The "family photo" is seen revisited, disturbed, transformed - in the literal sense of the term - by the so-called "plastic" arts.

All these finesse, poetry and delicacy come to be conceptual, by dint of precision and radicalization of the eyes in the "impression" final. So is the photographic panorama of Mi-Hei Her (Korea), Entre-Deux, (Photo, plexiglass, film, 2016). The work consists of a long box of plexiglass, whose face and bottom are "impressed". The photographic image is thus superimposed and out of step with itself. The vision becomes disturbing, the slightest movement of the viewer moving the entire landscape stretched in width.

Born in 1990, Chando Ao (China) works at the intersection of popular culture (crafts, traditional embroidery, fishing nets, etc.) and new technologies (videos, machineries), building poetic robots containing plants, live fish (I'm a fish, 2019) that give rise to mobile installations. The visitor is attacked in a charming way by these animated ludions (inhabited sphere and / or jar) which graze it, bypass it, avoid it ... - The most contemporary Asian art has an undeniable playful dimension.

This also includes those sets of perspectives (and nested windows) that characterize Western traditional art. Two worlds are then found by juxtaposition in the space of the exhibition. Cai Lei (Beyong freedom, 2019) draws in bronze a silhouette and frames that redouble (by framing) the spaces we cross.

ASIA NOW - Paris Asian Fair Art

Jui-Hung Ni

Volta Basel 2020

Paris Photo - Sun Yanchu

Chando Ao, I’m a fish, 2019.
Photo ©FDM, 2019

dimanche 20 octobre 2019

ASIA NOW - Paris Asian Art Fair

Ni Jui Hung (Taiwan) : Peng Lai Xian Shan.
Photo ©FDM, 2019.

ASIA NOW
PARIS ASIAN ART FAIR
16-20 octobre 2019
9, avenue Hoche, 75008 - Paris

Paris accueille la 5e édition d’une Foire dont la vocation est de présenter une cartographie et synthèse de l’art asiatique en train de se faire.

On y trouvera donc représentés tous les modes d’expression plastiques possibles, dans une gamme très large qui va de l’art traditionnel (calligraphie, estampes, peintures de chevalet héritées de l’art européen, etc.) aux soubresauts d’une avant-garde largement marquée par les nouvelles technologies (vidéo, robotique, télé-réalité, art numérique, etc.).

Pas de dominante donc. Mais une promenade très éclectique qui nous amène à fonctionner au coup de cœur ou bien au « coup de sang ». En privilégiant ce qui plaît (ou déplaît) d’instinct.

Le champ où se meut l’art asiatique contemporain (dominé par le Japon, la Corée et la Chine) demeure situé entre un pôle fortement international et avant-gardiste et cet autre pôle qui cherche à maintenir les traditions artistiques millénaires d’un Orient qui n’entend pas disparaître mais cherche à maintenir ses trésors les plus anciens.

Des greffes entre ces deux univers opposés se constituent, parfois artificielles, d’autres fois très réussies. Comme le défilement du petit théâtre pictural de Ni Jui Hung (Taiwan) : Peng Lai Xian Shan, installation constituée d’un long ruban qui défile. Un paysage animé et coloré, une bande son poétique et le tour est joué. On s’arrête pour lire, écouter et parcourir la saynète mobile.

La richesse et la mixité des matériaux traditionnels (ou plus contemporains) se retrouvent souvent réunies et mixées dans des sortes de collages retravaillés. Né en Chine en 1978, Sun Yanchu reprend dans ses « Fictions », d’anciennes photographies, qui sont repeintes, zébrées de coulures verticales et perturbées par des caches masquant les visages des personnages. L’œuvre acquiert ainsi une signification narrative. On peut gloser à l’infini sur les modalités de l’existence et des sentiments de ce couple assis face au photographe en compagnie de ses deux enfants. La « photo de famille » se voit revisitée, perturbée, transformée - au sens littéral du terme - par les arts dits « plastiques ».

Toutes ces finesses, poésies et délicatesses en arrivent à être conceptuelles, à force de précision et de radicalisation du regard dans « l’impression » finale. Ainsi en est-il du panorama photographique de Mi-Hei Her (Corée), Entre-Deux, (Photo, plexiglass, film, 2016). L’œuvre est constituée d’une longue boîte de plexiglass, dont la face et le fond sont « impressionnés ». L’image photographique est ainsi superposée et en décalage par rapport à elle-même. La vision en devient troublante, le moindre déplacement du spectateur faisant bouger la totalité du paysage étiré en largeur.

Né en 1990, Chando Ao (Chine) travaille à l’intersection de la culture populaire (artisanat, broderies traditionnelles, ravaudage des filets de pêche, etc.) et des nouvelles technologies (vidéos, machineries), construisant de poétiques robots contenant des végétaux, des poissons vivants (I’m a fish, 2019) qui donnent lieu à des installations mobiles. Le visiteur est assailli de manière charmante par ces ludions animés (sphère et/ou bocal habités) qui le frôlent, le contournent, l’évitent… - L’art asiatique le plus contemporain comporte une indéniable dimension ludique.

Ce qui inclut aussi ces jeux de perspectives (et de fenêtres emboîtées) qui caractérisent l’art traditionnel occidental. Deux mondes alors se retrouvent par juxtaposition dans l’espace de l’exposition. Cai Lei (Beyong freedom, 2019 ) y dessine dans le bronze une trame et des armatures qui redoublent (en les encadrant) les espaces que nous traversons.

ASIA NOW - Paris Asian Fair Art

Jui-Hung Ni

Volta Basel 2020

Paris Photo - Sun Yanchu

Cai Lei (Chine), Beyond freedom, bronze, 2019.
Photo ©FDM, 2019.