mercredi 5 décembre 2012

GUTAI, BEUYS, L’ART INFORMEL ET L’ART D’APRÈS-GUERRE.

Editions bilingue (Français/Anglais).

DÉFI AU SOLEIL DE LA MI-ÉTÉ :
titre de l’exposition Gutai qui eut lieu en juillet 1955
à Ashiya, dans la province japonaise du Kansai.

« On pourrait s’interroger (…) sur le lien que l’on pourrait déceler, dans les 15 ans qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, entre la situation des « pays de la défaite » (Japon, Allemagne, Italie) et certaines ruptures artistiques : Gutai au Japon, Joseph Beuys et Fluxus en Allemagne, Alberto Burri, Fontana et, plus tard, l’arte povera en Italie, auxquels on pourrait ajouter le fort courant matiériste qui va se développer en Espagne autour d’artistes comme Tapiès, Millares, etc. Ces ruptures étant toutes axées sur la double prééminence de l’informel et de la matérialité, valeurs elles-mêmes inséparables d’une redécouverte du corps, d’un appel à la gestualité ainsi qu’à un ensemble de références instinctuelles. (…)

Rappelons, par ailleurs, qu’en France c’est en 1945, et donc dans l’immédiat après-guerre qu’eurent lieu les deux grandes expositions qui inauguraient la prééminence de l’informel sur la scène française de l’après-guerre, Les Otages de Fautrier, Les Hautes Pâtes de Dubuffet. (…)

Tout se passe alors comme si la guerre, la catastrophe atomique, la découverte des camps de concentration avaient provoqué un fort trauma. État de stupeur, état limite d’où l’on ne sort qu’en faisant appel à des forces, des puissances et un dynamisme instinctifs. À situation extrême, réponse radicale : informelle et matiériste. Qui conduit à passer outre à l’idéologie [à un certain sens idéologique] en faisant appel à des valeurs puisées au sein même du chaos, de l’instinct. »

(Extraits d’une conférence « Gutai et l’immédiat après-guerre », prononcée en 1999 au Musée du Jeu de Paume, lors de l’exposition consacrée à ce mouvement d’avant-garde japonais. Extrait du texte publié en 2002 dans Gutai, Moments de destruction/Moments de beauté, Blusson.)

Livre Gutai

Exposition en plein air. Parc d’Ashiya, 1956. DR.

vendredi 30 novembre 2012

DALI : LE GRAND BAZAR DE L'INCONSCIENT.

©FDM

Centre Georges Pompidou : décembre 2012 à mars 2013. — Ma première idée fut de donner le titre suivant à ce petit « papier » : « L’ART EN CROÛTE ». Manifestation de ces réticences que j’ai toujours entretenues par rapport à l’œuvre de Salvador Dali.

Les « croûtes » certes y sont (généralement) de petits formats et enchâssées dans des cadres souvent somptueux. Elles tiennent du reliquaire et du muséal, et manifestent à l’envi, tout au long de l’exposition, les liens puissants qu’entretiennent les protocoles religieux et ces autres protocoles qui sont ceux des grandes foires muséales.

Cette exposition du Centre Pompidou est d’ailleurs le modèle même de l’exposition au protocole (chronologique et thématique) impeccable. Le tout est riche, diversifié et parfaitement mené. De quoi assurément satisfaire les foules qui déjà y défilent. Ce sera une des messes (surannées) qui attirera les foules dans les mois à venir.

Dali avait tout pour voir transformer sa vie et son œuvre en phénomène de masse. Il aura, tout au long de son parcours, amassé et cultivé tous les clichés possibles : culturels (l’Angélus de Millet, Vélasquez et les Ménines, etc.), religieux (Saint-Jean de la Croix et son Christ en surplomb, etc.), freudiens (on ne compte plus les symboles phalliques et archétypes accumulés ou en vadrouille au long des toiles). Sans compter quelques clichés plus conceptuels et langagiers. Lacan, on le sait s’intéressera à cette « paranoïa critique » érigée en fer de lance par un Dali qui se voulait « dérangé » certes, et plus mage que mage.

Mais ce bougre d’homme est diablement intelligent. Caméléon. Propre à tout avaler et régurgiter sous les formes les plus acceptables. Si scandale il y a (ou plutôt il y eut), c’est toujours sous des apparences (picturales, car pour le "politique", c'est autre chose !) assez « soft » : « oniriques », comme l’on dit. Le surréalisme est passé par là. Et chacun sait que, dans le grand bazar de l’inconscient, tout est possible. — Nul aujourd’hui ne trouvera à y redire grand chose. Toutes ces idées, ces colifichets, ces organes épars sont plus « mous » que jamais, à l’instar de ces montres et de ces formes qui continuent de jouer les omelettes et les ectoplasmes dans les toiles de l’homme aux moustaches gominées.

Le parcours de l’exposition est ainsi jonché de jeux de mots et d’images, de coqs à l’âne et d’historiettes qui raviront le chaland. La peinture de Dali est une peinture anecdotique et littéraire. Mais leur l’auteur a su aussi se frotter aux autres moyens d’expression : photographie, cinéma, théâtre ou « happening » naissant. Et jusqu’à l’holographie qui nous offre l’image, lilliputienne, tridimensionnelle et colorée, d’un Dali embaumé d’origine.

Vue d'exposition. ©FDM

vendredi 9 novembre 2012

BORGES & BORGES Illimited.


En 1972, j'entame (sans le savoir encore) une longue entreprise : la réécriture de l'œuvre princeps de Jorge Luis Borges, La Bibliothèque de Babel.

Celle-ci, on le sait, contient TOUT ce qu'il est possible de concevoir et d'imaginer.

L'ensemble des "démarquages" que je vais ainsi réaliser au fil des ans (quinze textes à ce jour) s'appuie sur l'idée, chère au grand argentin, qui fait de toute lecture un processus de réécriture et de création. Chaque lecteur ajoute, relit, et transforme le texte initial en fonction de la culture, des références et de l'imaginaire qui lui sont propres.

Très tôt, et dans ma propre histoire, je m'étais rendue compte de la véracité de cette assertion. Toute lecture mettait pour moi en branle un imaginaire qui tout aussitôt travaillait dans la métamorphose.

Le premier texte ainsi produit portait sur le corps. La bibliothèque s'était transmuée en un corps gigantesque, aux aventures hybrides : "Du Corps comme bibliothèque infinie".

D'autres textes suivront. Ils porteront sur le Zoo, la viande, la photographie, La Cité des Ensommeillés, Nam June Paik (Babel TV), Le Bateau des morts (qui n'est pas sans rappeler une certaine île perdue dans la lagune…), Mr Tout le Monde, et bien d'autres réalités ou problématiques.

En 1993, je rassemble 12 de ces textes en un volume qui se clôt (très momentanément) par une mise en abîme de l'œuvre et du personnage de Borges : Le Meurtre de Jorge Luis Borges.

Survient ensuite un démarquage consacré au cinéma et intitulé Trafic (en hommage conjoint à Jacques Tati et à la revue Trafic… qui le refusera).

En 2000, c'est un livre (accordéon et illustré), Duchamp en forme de ready-made, qui comporte, cette fois-ci, non seulement la transformation du texte de Borges par inoculation de l'imaginaire propre à Duchamp, mais aussi des "soufflets" (en caractères gras dans le texte), correspondant aux multiples "soufflets" de la "Boîte en valise". — L'histoire n'est pas close et se poursuit.

Le processus d'écriture à l'œuvre est double. En un premier temps, il s'agit pour moi de lire le texte, dans un état proche de ce que l'on pourrait nommer une forme de lecture (ou d'écriture) automatique, et de le transformer, en laissant intervenir ce qui en moi tient lieu de culture, d'imaginaire, de lectures et sources diverses. En un deuxième temps, je procède à une relecture minutieuse, consciente et critique, du premier jet obtenu… jusqu'à ce que l'ensemble me paraisse désormais, non pas parfait, mais autosuffisant...

Les Univers ainsi créés partent sur leurs rails… rejoindre l'interplanétaire galaxie des doubles et sosies de Jorge Luis Borges.

Borges & Borges Illimited

Duchamp en forme de ready-made

Article du devoir

mardi 6 novembre 2012

BONNE NAVIGATION, MISTER GILOT…

Stéphane Gilot, la Cité performative, 2010 (MNBAQ).

Bon vent. Et bon départ pour le vaisseau lancé sur la trajectoire des MONDES MODÈLES et des MONDES POSSIBLES du Québec et d’ailleurs.

Lancement accompagné de moults performances, de rires et d’interrogations. De rêves et de discours. D’histoires de doubles et de cités-gigognes.

Borges et ses doubles vous saluent bien.

Mondes modèles

samedi 3 novembre 2012

PATRICK BEAULIEU, L'OISEAU QUI SAIGNE (INSISTANCE).

Patrick Beaulieu, Insistance, 2012.
Oiseau en aluminium, branche d’arbre, plaque de verre,
éclairage à DEL et dispositif d'égouttement de sang.

Insistance montre une hirondelle déposée sur une branche, sous laquelle une mare de sang semble se former contre une plaque de verre au sol. À travers cette immobilité apparente de l’oiseau perché, on peut percevoir une goutte de sang qui s’écoule de son abdomen et chute contre le sol qu'elle éclabousse et où elle se répand. Insistance révèle un lent et incessant égouttement qui nous laisse croire que l’animal éprouvé jamais ne cesse de résister. L’oeuvre Insistance [et l’ensemble du corpus For intérieur, récemment exposé à la Galerie Art Mûr à Montréal] découlent d’une série de projets (souffle, battements, bruissements, la distance de l’ombre, etc.) révélant de fragiles matières qui semblent perpétuellement osciller entre le vivant et l’inanimé." (Patrick Beaulieu)

Mettre en scène un oiseau qui saigne, lentement, imperceptiblement et de telle manière qu'il faille du temps, un certain temps, avant que l'on ne s'aperçoive - par les traces au sol - que l'oiseau perd peu à peu cette matière et substance vitale que l'on nomme du sang.

La scène est-elle tragique, réaliste, dérisoire, fantomatique ? Elle relève de la pure poésie et de ces drames minuscules qu'évoquait le grand Borges dans La Loterie à Babylone :

"La Compagnie est toute-puissante, mais (…) son champ d'action est minuscule : le cri d'un oiseau, les nuances de la rouille et de la poussière, les demi-rêves du matin."

Galerie Art Mûr

lundi 29 octobre 2012

L'AUTRE LIVRE : 10e SALON


Du Vendredi 16 au Dimanche 18 novembre 2012

10e SALON international
DES EDITEURS INDEPENDANTS

à l'Espace des Blancs-Manteaux
48, rue Vieille du Temple
75004 - Paris

L'Association des Editeurs Indépendants fête ses 10 ans d'existence. - Venez nombreux parcourir les allées, les catalogues et les livres de ces éditions, amples ou minuscules, consacrées à tous les secteurs du livre : de la jeunesse aux beaux-arts, en passant par les sciences humaines, la poésie, la littérature, les récits de voyages, etc.

Les noms mêmes de ces maisons d'éditions (qui entendent forer leur sillon au milieu du grand brassage des idées et des mots) m'ont fait rêver.

On y croise BALZAC, ALBERTINE, ATTILA, mais aussi les Éditions DU PETIT POIS, LA CONTRE ALLÉE, LE PAPILLON ROUGE et LES CARNETS DU DESSERT DE LUNE.

Dans les allées et chemins de traverses du Salon, vous vous baladerez ainsi (A DOS D'ÂNE) des FORGES DE VULCAIN jusqu'au TEMPS DES CERISES et à L'USINE, des rêves on s'en doute. Vous emprunterez les ruelles d'ASPHALTE et vous retrouverez sans doute AU DIABLE VAUVERT.

À moins que vous ne préfériez le CHEMIN DE FER. Celui-ci vous emmènera au delà de LA CHAMBRE D'ÉCHOS. Déboucherez-vous alors dans un CHANT D'ORTIE ou bien dans une de ces forêts peuplées d'oiseaux multicolores : comme L'OIE PLATE ou L'OISEAU INDIGO.

LA DÉLIRANTE vous conduira vers d'autres horizons. Vous y croiserez les IMAGES PLURIELLES, LE CHÈVRE FEUILLE ÉTOILÉE, LE MOULE À GAUFRES ET LA FEUILLE DE THÉ. Signe qu'il est dans ce salon beaucoup de feuilles, de signes, de pages et de bons mots.

Je rejoins, dans son enclos secret, LE PASSAGER CLANDESTIN. Celui-ci m'escorte jusqu'aux POINTS DE SUSPENSION et aux Editions du MENU FRETIN.

LE VAMPIRE ACTIF interrompt brutalement ma promenade. Il vient me croquer tous les mots qui me restaient.

Mais vous les retrouverez TOUS dans les méandres du Salon.

Bonne balade.

Je vous retrouverai, quant à moi - dans l'espoir d'échanger quelques mots et quelques lignes - sur le stand D31.

À bientôt.

L'Autre Livre

Editions Blusson

samedi 22 septembre 2012

DANSES BALINAISES AU THÉÂTRE DE CHAILLOT.

Les danses balinaises à Paris, L’Illustration, août 1931.

En Hommage à Antonin Artaud qui découvrit les danses de Bali en 1931, lors de l’Exposition coloniale, le Théâtre national de Chaillot (désormais dévolu aux mondes de la danse) propose une somptueuse soirée dédiée à la culture balinaise. Le premier choc est auditif. Comment décrire la puissance et la complexité de ces enchaînements sonores et rythmiques, le délié acrobatique, l’aérienne broderie acoustique que déclinent les différents instruments : gongs, tambours, flûtes, xylophones…

La première idée qui m’est venue à l’écoute de cette orchestration, c’est un rapprochement (saugrenu : mais l’est-il tant que cela ?) avec le jazz. Même rigueur architecturale, même système de variations mélodiques infinies. – Les chorégraphies et gestes des danseurs interviennent ensuite fréquemment sous forme d’échos ou de contrepoints à cette gestuelle sonore que constitue déjà l’ensemble de l’orchestre (ou gamelan).

Le « rituel d’exorcisme » qui envahit la scène – à mi-parcours du spectacle - peuple le théâtre du bruissement des glossolalies et onomatopées d’une troupe d’hommes au désordre savamment organisé. Artaud n’eut sans doute pas la possibilité de découvrir cette « cérémonie conjuratoire » en 1931. Celle-ci correspond cependant en tous points au futur Antonin Artaud de Pour en finir avec le Jugement de Dieu et des glossolalies du temps des asiles et des Cahiers de Rodez et du Retour à Paris. La langue, les intonations y sont brutes, archaïques et prennent leur source au fin fond du ventre et de la cage thoracique.

Alternant et mêlant danse et théâtre, le reste du spectacle est d’une grande richesse. On y retrouve tout ce qui fait la perfection et le sel de la culture balinaise : les mouvements de torsion du buste et du corps entier, les déplacements angulaires de ces têtes, ces yeux, ces mains, ces pieds qui se crispent et ondulent comme autant d’ailes ou d’élytres. Les acteurs ont des corps et des costumes d’insectes. Aux couleurs vives et rutilantes.

Et l’on devine, derrière ces justaucorps et ces armures dorées, ces masques et cette gestuelle faite de dégradés mathématiques, les forces vives d’un corps de chair ondulatoire.

Sur les Orients d’Antonin Artaud


Une nuit balinaise à Chaillot

mercredi 8 août 2012

MUTSUMI TSUDA, " ÂMES ERRANTES ".

Travailleurs japonais arrivant en Nouvelle-Calédonie
(début du XXe siècle).

Photographe et Maître de Conférences à la Seian Université d’Otsu, Mutsumi Tsuda travaille depuis de nombreuses années sur la mémoire du peuple japonais. Au tout début des années 2000, elle étudie les différences (américaines et japonaises) dans l’appréciation contemporaine de la catastrophe d’Hiroshima.

Les hasards d’une résidence d’artiste en Nouvelle-Calédonie, en 2003, lui confirment l’importance d’une immigration japonaise. La rencontre des actuels descendants de ces travailleurs japonais, dont les premiers arrivèrent en 1892 pour y travailler dans les mines de nickel et qui furent suivis de bien d’autres, lui fait découvrir tout un pan occulté de l’histoire de son pays.

S’appuyant dès lors sur le travail d’ethnologues, se livrant elle-même à un travail d’enquête et d’analyse sur le terrain, largement soutenue par les descendants actuels de ces migrants, qu’elle rencontre et qui lui confient leurs souvenirs, elle en vient à reconstituer progressivement cette mémoire. Une exposition (Musée de la ville de Nouméa) et un livre s’inscrivent aujourd’hui, en 2012, dans la commémoration de « 120 ans de présence japonaise en Nouvelle-Calédonie ».

Travailleurs sous contrat, dans des conditions difficiles, beaucoup d’émigrants japonais ne supportent pas leur situation et s’évadent de la mine. Ce sera le cas de Denzo Higa, né en 1881 au Japon, dans l’île d’Okinawa, immigré en Nouvelle-Calédonie en 1905. En 1923, il épouse la fille d’un chef de tribu locale, dont il a des enfants. Bien des Japonais arrivés autrefois dans l’île se présenteront plus tard comme des « Kanaks du Japon ». Ces premiers migrants se sont au fil des ans insérés dans la société Nouvelle-Calédonienne.

Cinquante ans après l’arrivée de ces migrants, la deuxième guerre mondiale crée une rupture brutale. En 1941, après l’attaque de Pearl Harbour par la Marine Japonaise, les Japonais de Nouvelle-Calédonie sont arrêtés, rassemblés dans des camps, puis internés en Australie. Laura, la femme de Denzo Higa, dont on peut suivre dans l’ouvrage le long périple, entretient alors une correspondance avec son mari, qui décède en mai 1943, puis avec l’un de leurs amis.

Les familles sont séparées, déstabilisées, les biens des émigrants japonais confisqués. Après guerre, les déportés japonais sont rapatriés au Japon où ils regagnent pour la plupart leur région d’origine. Leurs femmes, leurs enfants et petits-enfants restés en Nouvelle-Calédonie perdent peu à peu le contact avec leurs racines japonaises, avec la langue et les coutumes de leurs ancêtres. Le « Japon avec forme » a ainsi peu à peu disparu, laissant dans la mémoire collective des descendants des premiers migrants quelque chose de plus ténu, de plus enfoui : la présence de ces « âmes errantes » que ce livre et cette exposition viennent heureusement raviver.

Âmes Errantes

Divergences, D'Hiroshima à Los Alamos

jeudi 28 juin 2012

GERHARD RICHTER : SOFTNESS OF TOUCH ALL WORKED.

Gerhard Richter Exhibition view, 2012. Ph. ©FDM

Leaving this beautiful exhibition, retrospective of the work of German painter Gerhard Richter (born in Dresden in 1932 and completed his training as a painter in the early 1960s at the Ecole des Beaux-Arts in Dusseldorf), I fell on this indicative panel : "Emergency." Curiously associated with one of the painting more "net" (and perhaps the most troubling) in an exhibition to which the principle of "fuzzy" appears as the founder (Betty, 1988). The character turns: he looks at the gray table (painting in the table) or the landscape of today, here in the background ? This view of Paris which extends to the rear of this panel ?

This panel has plunged me into deep perplexity. What is actually the relationship between painting and photography ? What do they give to see. I came to the conclusion that there is no "emergency exit" possible in the vision. Our perception of the world is always deliberately wedged between the two poles of blur and sharpness. Between painting and photography. But not as we know which of the two mediums maintains the greatest affinity with either of these two poles.

Because photography, if it is based (by the functionality of its technology and its "objectives") on a principle of "focus" and will often displayed maximum sharpness, very well known, however pin the blur. - The paint on his side hears frequently cultivate sensuality and shook the touch of paint and it does not cover less (and probably historically since its inception) a form of "realism" which will culminate in this hyper-realism of years 1960-1970 with which Gerhard Richter maintains many affinities.

Each of the visitors of the exhibition must be adjusted (and invent) its own length. I, for myself and throughout the course, varied my own principle of "focus" in feeding me suggestions and injunctions of Gerhard Richter. I sailed well (me playing different effects of visual adjustments) at the heart of paintings clearest and most accurate for me then disappear into the hectic glare mirrors and glass walls punctuate the course. Reversing systems, seeing the sharpness in the dark and sometimes incredible indecision in the heart of "sharp focus" the most rigorous.

I took great pleasure in this installation in situ, with these "landscapes", opportunities and possible extensions of works reflecting the heart of the panorama offered by the large windows of the Centre Pompidou.

Exposure [painting] is experienced and perceived in a thousand ways unique. This, perhaps more than any other.

Gerhard Richter. Panorama. Centre Georges Pompidou (June 6 to September 26, 2012).

dimanche 24 juin 2012

GERHARD RICHTER : DU FLOU DANS TOUS SES ETATS.

Gerhard Richter au Centre Pompidou Ph. ©FDM

Quittant la belle exposition consacrée à une rétrospective de l’œuvre du peintre allemand Gerhard Richter (né à Dresde en 1932 et qui termina sa formation de peintre au début des années 1960 à l’école des Beaux-Arts de Dusseldorf), je suis tombée sur ce panneau indicatif : « Sortie de secours ». Curieusement associé à l’un des tableaux les plus « nets » (et peut-être les plus troublants) d’une exposition dans laquelle le principe du « flou » apparaît comme fondateur (Betty, 1988). Le personnage se retourne : regarde-t-il le tableau gris (peint dans le tableau) ou le paysage d'aujourd'hui, ici en arrière-plan ? Cette vue de Paris qui s’étend à l'arrière du présent panneau ?

Ce panneau m’a plongée dans des abîmes de perplexité. Qu’en est-il effectivement des relations entre peinture et photographie ? Que donnent-elles à voir. J’en suis arrivée à la conclusion qu’il n’y a pas de « sortie de secours » possible pour la vision. Notre perception du monde est toujours délibérément coincée entre les deux pôles du flou et de la netteté. Entre peinture et photographie. Mais sans que l’on sache lequel des deux médiums entretient le plus d’affinités avec l’un ou l’autre de ces deux pôles.

Car la photographie, si elle repose (de par la fonctionnalité de sa technique et de ses « objectifs ») sur un principe de « mise au point » et de volonté souvent affichée de netteté maximum, sait cependant à merveille épingler le flou. – La peinture de son côté entend fréquemment cultiver la sensualité et le tremblé de la touche ; elle n’en vise pas moins (historiquement parlant et sans doute depuis ses origines) une forme de « réalisme » qui trouvera son point culminant dans cet hyperréalisme des années 1960-1970 avec lequel Gerhard Richter entretient tant d’affinités.

Chacun des visiteurs de l’exposition se doit ainsi d’ajuster (et d’inventer) sa propre focale. J’ai, quant à moi et tout au long du parcours, fait varier mon propre principe de « mise au point » en me nourrissant des propositions et injonctions de Gerhard Richter. J’ai ainsi navigué (en me jouant de différents effets d’ajustements visuels) au cœur des toiles les plus nettes et les plus précises pour me perdre ensuite dans les reflets mouvementés des miroirs et parois de verre ponctuant le parcours. Inversant les systèmes, voyant de la netteté dans le flou et une incroyable indécision parfois au cœur du « sharp focus » le plus rigoureux.

J’ai pris grand plaisir à cette Installation in situ, avec ces « paysages », débouchés et prolongements possibles des œuvres se reflétant au cœur du panorama offert par les grandes baies vitrées du Centre Pompidou.

Une exposition [de peinture] se vit et se perçoit de mille et une façons singulières. Celle-ci, peut-être, plus qu’une autre.

Gerhard Richter. Panorama. Centre Georges Pompidou (6 juin – 26 septembre 2012).

mercredi 20 juin 2012

MAGIC VERA MOLNAR. A RETROSPECTIVE. 1942-2012.

Exhibition view, Musée des Beaux-Arts de Rouen. Ph.©FDM

Museum of Fine Arts in Rouen and Centre for Contemporary Art, Saint-Pierre-de-Varengeville, France. June 15 to September 30, 2012.

Magic, Vera Molnar. Magic as these colorful squares by Paul Klee which have inspired some her works. The world where she led our walk is full of simple shapes: line (straight, oblique, zigzag, open or closed, wise or hysterical), circle (perfect or half-moon, black and / or colored, framed or nu), point (tiny and sometimes at the limit of visibility, moving the "full circle" and lack the most total vacuum: pinhole), square (naked, repeated and put into deep, open or closed, single or twin, frayed, distorted and sometimes soft to intoxication and to laugh.

The work is gay. Subtle. Continually declined. With times, returns, and all work on memory of forms. Abstract, geometric and pure, all of this work could be austere, rigid. - It is not the case. The irony, fun are there at every turn of the maze of forms.

The world of Vera possesses the simplicity of the child's world, cunning and complexity of the dreams of an old Chinese sage... armed with his brush in red paint. Or blue. Or green. Or yellow. All colors are balanced counterpoint to the black and white.

The artist, one day, met the computer and she has made it her instrument, bending it to the whims of his imagination. The machine does not dictate anything, it amplifies the possibilities, increasing the potential of the artist's dreams, authorizes all variations.

Order and disorder: the work is at the crossroads of the chiasm. Introducing 1% of disorder (1976)in a regular structure is about irony. And one can then gradually increase the dose ... to the breaking point. At a time when the formal grid initial decays and becomes something else entirely.

One way to reconcile everyone with math, crayons and large patches of colorful impressionist paintings. - Run this summer at the Museum of Rouen and Center for Contemporary Art in Saint-Pierre-de-Varengeville. Infuse you of all madness linear that Vera Molnar has consistently churned out over the years. To the delight of her eyes, her mind. And for ours.

Bravo, Vera : go to the beach where we can draw with you on the sand a few of these simple figures that you love : a circle, a square, a line shifted a bit ... And the silhouette of the Montagne Sainte-Victoire so often you have profiled.

Rouen Art Museum

Vera Molnar Website

Exhibition view,, Musée des Beaux-Arts de Rouen. Ph. ©FDM

mardi 19 juin 2012

VERA MOLNAR. UNE RETROSPECTIVE. 1942-2012.

Musée des Beaux-arts de Rouen. Vue d’exposition. Ph. ©FDM

Musée des Beaux-arts de Rouen et Centre d'art contemporain, Saint-Pierre-de-Varengeville. 15 juin - 30 septembre 2012

Magique, Véra Molnar. Magique comme ces architectures et carrés colorés de Paul Klee qui ont nourri quelques-unes de ses œuvres. Le monde où elle conduit notre promenade est peuplé de formes simples : ligne (droite, oblique, en zigzag, ouverte ou bien fermée, sage ou hystérique), cercle (parfait ou en demi-lune, noir et/ou coloré, encadré ou nu), point (minuscule et parfois à la limite de la visibilité, évoluant du "cercle plein" au manque et au vide le plus total : trou d'épingle), carré (isolé, répété et mis en abîme, ouvert ou fermé, simple ou bien jumeau, effiloché, déformé et parfois mou jusqu'à l'ivresse et jusqu'au rire.

Le tout est gai. Subtil. Incessamment décliné. Avec des reprises, des retours et tout un travail sur la mémoire des formes. Abstraite, géométrique et pure, l'ensemble de cette œuvre pourrait être austère, rigide. - Il n'en est rien. L'ironie, l'amusement sont là, à chaque détour du labyrinthe des formes.

Le monde de Véra possède la simplicité du monde de l'enfant, la ruse et la complexité des songes d'un vieux sage chinois… armé de son pinceau de peinture rouge. Ou bleue. Ou verte. Ou jaune. Toutes couleurs qui s'équilibrent au contrepoint du noir et du blanc.

L'artiste, un jour, a rencontré l'ordinateur ; elle en a fait son instrument, pliant celui-ci aux caprices de son imagination. La machine ne dicte rien ; elle amplifie les possibilités, facilite l’incarnation des rêves de l'artiste, autorise toutes les variations.

Ordre et désordre : l'œuvre se situe au carrefour de ce chiasme. Introduire 1% de désordre (1976) au sein d'une structure régulière est de l'ordre de l'ironie. Et l'on peut ensuite, progressivement augmenter la dose… jusqu'au point de rupture. En ce moment où la grille formelle initiale se désintègre et devient tout autre chose.

Une manière de réconcilier tout un chacun avec les mathématiques, les crayons de couleur et les pastilles multicolores des toiles impressionnistes. - Courrez cet été au Musée de Rouen et à Saint-Pierre-de-Varengeville. Abreuvez vous de l'ensemble des folies linéaires que Véra Molnar n'a cessé de concocter au fil des ans. Pour le plus grand plaisir de ses yeux, de son esprit. Et pour les nôtres.

Bravo Véra : rendez-vous sur la plage où nous pourrons en votre compagnie tracer sur le sable quelques-unes de ces figures simples que vous affectionnez : un rond, un carré, une ligne un brin décalée… Et la silhouette de cette Montagne Sainte-Victoire que vous avez si souvent profilée.

Exposition au Musée des Beaux-Arts de Rouen

Un Catalogue

Véra Molnar. Centre d’art contemporain,
Saint-Pierre-de-Varengeville. Ph. ©FDM

samedi 26 mai 2012

ARTAUD, SELF PORTRAIT (DECEMBER 1946): A NATIONAL TREASURE WITHOUT SPOTS.

Artaud, Self Portrait, December 17, 1946 (detail),
"The story of Pierre Loeb," 1979.

A Self-Portrait of Antonin Artaud, dated December 17, 1946, was sold by Sotheby's on April 5 for the wondrous sum of 2,136,750 euros. I will not dwell on the vagaries of the art market: I know too (for having directly experienced in the 1980s) how it was difficult to recognize the importance of drawings of the poet. Assuming that the state of the art market reflects something other than mere monetary value (fluctuating) of a work is now done ...

What matters to me here is the singular MATERIAL destiny of this drawing of Antonin Artaud. In a previous blog (see link below), I insisted on restorations undergone by other drawings in the same Sotheby's sale: Untitled or Figures.

This Self-Portrait in December 1946 (now classified as National Treasury by the State French) has ALSO been sold restored. Cleaned. "Bleached". An important spot, located at the corners of the mouth of Momo, followed by a long vertical sagging and several large spots, located at the base of the neck, were carefully washed. The drawing is now "nickel." Clean and white. The cleanliness of the current drawing and printing "clinic" that results seemed to me curious in 2006 (when I visited the exhibition "Artaud" at the Bibliothèque Nationale de France). This state does not match my memories of previous work.

This self-portrait of 1946 was exposed in 1979 by the Musée d'Art Moderne in Paris, during the exhibition devoted to "The adventure of Pierre Loeb :"this is where I saw it. Reproduction of the drawing is in the catalog of this exhibition (Fig. 12, p. 57). These spots are clearly visible (cf. fragment reproduced here). The signature itself is tainted with some traces.

A year later, in 1980, in the catalog of the Abbaye Sainte-Croix (Antonin Artaud, No. 37), this self-portrait is reproduced even "clean", without we knows if this is the design itself has been cleaned or if this operation took place at the production of the catalog (for "cleaning" of the photographic medium used for printing).

The presence of these spots of origin is still attested and corroborated by a photograph of Denise Colomb (sister of Pierre Loeb) showing a drawing hung in the vicinity of works of primitive art in Pierre Loeb apartment. This photograph (which shows what could fairly be the "material" of this self portrait is included in the exhibition catalog of 1979 ("The Adventure of Pierre Loeb," p. 45: "a wall at Pierre").

This same photograph is reproduced on p. 62 catalog of the Sotheby's sale (Florence Loeb Collection, Sources and Affinities, Paris, April 5, 2012). No one has probably paid attention to the "spots", always present, however, on this same block. The same design appears a few pages away, washed and clean : as featured in the exhibition of the sale of 5 April 2012 (Sotheby's, No. 48 p. 59).

Two documents undeniable, from two those oh so close to the poet (remember that this is Pierre Loeb, who exhibited for the first time in July 1947 Artaud's drawings in his gallery and we are indebted to Denise Colomb an extensive series of photographs of the poet), attest So the presence of these spots "original" Self-Portrait on the issue, drawing that was featured in the exhibition of 1947. The current time Sotheby's catalog photography by Denise Colomb of the same year 1947.

Everything I've mentioned in the previous paper (see attached link) Dimension "hygienic" treatment of the production of authors can be cursed and be resumed. Hardware load design, the support function (material) of the paper are here erased. Remains only the "design", the blueprint of the Self-Portrait of Momo. What we have now is an "art without matter."

In addition to the "magic" and material (fetish charms) that these spots to confer self-portrait of Artaud, the sag and these spots were in the drawing and the whole composition, function "pendulum". These elements constitute a "weight" and balances. - Can we then imagine that these spots were not intentional, willed by Artaud ? They were not to keep ?

What is the nature of these traces from now permanently (and irreversibly) missing the picture ? Is it blood ? Or corporeal matter ? This would suggest is that the testimony cited by Jacques Prevel (see attached link). As well as Momo's comments: "All painters show their anatomy, their physiology, their saliva, their flesh, blood, sperm, their vices, their slime, their pathology, their prudishness, their health, their character, personality or their madness on their canvases. " (Antonin Artaud, on Balthus)

Author of a Material and « immaterial » History of modern art (Bordas, 1994, Larousse 2008), I remain highly sensitive to the issue of this hardware support original drawings of Artaud and am more circumspect against the "cleansing" of his drawings.

No doubt it is necessary to treat papers, double and "rub" very fragile media. But was it up to relieve them of their original material ? All this we would have said Duchamp, has nothing to do with the creation and art. It is indeed entered the world of the art market and Gris-gris sanitized.

Another question arises : how much would have been charged the same design with these spots ? Would it be mounted higher? Its price would have dropped it ?

The question is not small. It primarily concerns the history and sociology of art: what kind perhaps the ratio of companies and collectors in relation to a work (known as "art") ? Should we clean and wash a work ? To conform to a "taste" itself fluctuating, some preferring perhaps a clean and clinical work, whilst others favor a work preserved in its "juice" and presented as close its original state (I belong to this second category).

The debate is open ... The frequency of visits to my previous paper (on this blog) and reactions (private) some have shown me how the issue was sensitive ...

This additional information: In 1996, the same self-portrait is reproduced on page 95 of the book by Camille Dumoulié (Antonin Artaud, Editions du Seuil). The drawing is reproduced WITH his spots - clearly visible. The Photo credits (page 166) for this shot give the following information: "Florence Loeb, A. Artaud © ADAGP, Paris, 1996, p. 95." New evidence of that the design has been a "cleansing" of his spots.

Artaud Sotheby's sale

* On this dimension « matiériste » and "excremental" drawings of Momo, cf. "autophagy creative" in Florence de Mèredieu, Antonin Artaud, portraits et Gris- gris (Blusson, 1984-2008).

lundi 14 mai 2012

ARTAUD, AUTOPORTRAIT (DÉC. 1946) : UN TRÉSOR NATIONAL SANS TACHES.

Artaud, Autoportrait, 17 déc. 1946 (détail).
« L'aventure de Pierre Loeb », 1979.

Un Autoportrait d'Antonin Artaud, daté du 17 décembre 1946, a été vendu par Sotheby's le 5 avril dernier pour la mirifique somme de 2 136 750 euros. Je ne m'attarderai pas sur les aléas du marché de l'art : je sais trop (pour l'avoir directement vécu dans les années 1980) combien il fut difficile de faire reconnaître l'importance des dessins du poète. En admettant que l'état du marché de l'art reflète autre chose que la pure et simple valeur monétaire (fluctuante) d'une œuvre, c'est désormais chose faite... Ce qui m'importe ici, c'est le singulier destin MATÉRIEL de ce dessin d'Antonin Artaud. Dans un blog précédent (voir lien ci-dessous), j'avais insisté sur les restaurations subies par un autre des dessins de la même vente Sotheby's : Sans titre ou Figures.

Cet Autoportrait de décembre 1946 (désormais classé Trésor national par l'État français) a, LUI AUSSI, été vendu restauré. Détaché. « Javellisé ». Une tache importante, située au niveau des commissures des lèvres du Mômo, suivie d'une longue coulure verticale et de plusieurs grosses taches, situées à la base du cou, ont été soigneusement lavées. Le dessin est désormais « nickel ». Propre et blanchi. L'actuelle propreté de ce dessin et l'impression « clinique » qui en résulte m'avaient semblée curieuses en 2006 (lors de ma visite de l'exposition « Artaud » à la Bibliothèque Nationale de France). Cet état ne correspondait pas à mes souvenirs antérieurs de l'œuvre.

Cet Autoportrait de 1946 a été exposé en 1979 par le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, lors de l'exposition consacrée à « l'aventure de Pierre Loeb » : c'est là que je le vis. La reproduction du dessin figure dans le catalogue de cette exposition (Fig. 12, p. 57). Ces taches y sont bien visibles (cf. fragment ici reproduit). La signature elle-même est entachée de quelques traces.

Un an plus tard, en 1980, dans le catalogue de l'Abbaye Sainte-Croix (Antonin Artaud, n° 37), ce même Autoportrait est reproduit « nettoyé », sans que l'on sache si c'est le dessin lui-même qui a subi un nettoyage ou si cette opération est intervenue au niveau de la fabrication du catalogue (par « nettoyage » du support photographique utilisé pour l'impression). La présence de ces taches d'origine est encore attestée et corroborée par une photographie de Denise Colomb (sœur de Pierre Loeb) montrant le dessin accroché dans le voisinage d'objets d'art primitif chez Pierre Loeb. Cette photographie (qui démontre assez ce que pouvait être la charge « matérielle » de cet « autoportrait au Gris-gris » d'Artaud) figure dans le catalogue de l'exposition de 1979 (« L'aventure de Pierre Loeb », p. 45 : « un mur chez Pierre »).

Cette même photographie est reproduite en p. 62 du catalogue de la vente Sotheby's (Collection Florence Loeb, Sources et Affinités, Paris, 5 avril 2012). Nul n'a sans doute prêté attention aux « taches », toujours bien présentes cependant, sur ce même cliché. Le même dessin figure, à quelques pages de distance, lavé et bien propre : tel qu'il figurait dans l'exposition de la vente du 5 avril 2012 (Sotheby's, N° 48 p. 59).

Deux documents incontestables, émanant de deux personnes ô combien proches du poète (rappelons que c'est Pierre Loeb qui expose pour la première fois en juillet 1947 les dessins d'Artaud dans sa galerie et que l'on doit à Denise Colomb une importante série de photographies du poète), attestent donc de la présence de ces taches « originelles » sur l'Autoportrait en question, dessin qui figura dans cette exposition de 1947. L'actuel catalogue Sotheby's date la photographie de Denise Colomb de cette même année 1947.

Tout ce que j'ai évoqué dans le précédent papier (cf. lien joint) sur la dimension « hygiéniste » du traitement de la production des auteurs maudits peut ici être repris. La charge matérielle du dessin, la fonction de support (de matière) du papier sont ici effacées. Ne subsiste plus que le « dessin », l'épure de l'Autoportrait du Mômo. Ce que l'on a désormais, c'est un « art sans matière ».

Outre la fonction « magique » et matérielle (de fétiche et de gris-gris) que ces taches conféraient à l'Autoportrait d'Artaud, cette coulure et ces taches ont, dans le dessin et l'ensemble de la composition, une fonction « pendulaire ». Ces éléments constituent un « poids » et contrepoids. - Peut-on alors imaginer que ces taches n'aient pas été intentionnelles, voulues par Artaud ? Qu'elles n'aient pas été à conserver ?

De quelle nature sont ces traces originaires, aujourd'hui définitivement (et de manière irréversible) disparues du dessin ? S'agit-il de sang ? Ou de matière corporelle ? C'est ce que laisserait entendre le témoignage cité de Jacques Prevel (cf. lien joint). Comme aussi bien des commentaires du Mômo : « Tous les peintres portent leur anatomie, leur physiologie, leur salive, leur chair, leur sang, leur sperme, leurs vices, leur sanie, leur pathologie, leur pudibonderie, leur santé, leur caractère, leur personnalité ou leur folie sur leurs toiles. » (Antonin Artaud, sur Balthus)

Auteur d'une Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne (Bordas, 1994, Larousse 2008), je demeure éminemment sensible à la question de cette charge matérielle originelle des dessins d'Artaud et suis des plus circonspecte face au « nettoyage » de ses dessins. Sans doute fallait-il « traiter » les papiers, doubler et « maroufler » des supports bien fragiles. Mais fallait-il aller jusqu'à les décharger de leur matière originelle ? Tout cela, nous aurait dit Duchamp, n'a plus rien à voir avec la création et avec l'art. On est bel et bien entré dans le monde du marché de l'art et des Gris-gris aseptisés.

Une autre question surgit : quelle somme aurait atteint le même dessin chargé de ces taches dont il a été pour ainsi dire délivré ? Serait-il monté plus haut ? Son prix aurait-il chuté ?

La question n'est pas mince. Elle concerne au premier chef l'histoire et la sociologie de l'art : de quelle nature peut-être le rapport des sociétés et des collectionneurs par rapport à une œuvre (dite « d'art ») ? Doit-on nettoyer et laver une œuvre ? Pour la rendre conforme à un « goût » lui-même fluctuant, les uns préférant sans doute une œuvre propre et clinique, les autres privilégiant (je fais partie de cette deuxième catégorie) une œuvre conservée dans son « jus " et présentée au plus près de son état originel.

Le débat est ouvert... La fréquence des consultations de mon précédent papier (sur ce blog) et les réactions (privées) de quelques-uns m'ont montré combien la question était sensible...

Artaud et la vente Sotheby's

* Sur cette dimension matiériste et « excrémentielle » des dessins du Mômo, cf. « l'autophagie créatrice », in Antonin Artaud, portraits et Gris-gris (Blusson, 1984-2008).

samedi 12 mai 2012

LE CORPS JUMEAU.


« Le corps est à lui-même son propre jumeau. Tout - ou presque - y fonctionne par paire ou par couple. Deux yeux, deux oreilles, deux mains, deux couples de membres similaires, inférieurs et supérieurs, deux fesses, deux seins, le tout distribué à égale distance d'un axe vertical qui traverse le corps, divisant en deux moitiés notre épaisseur charnelle. Ces deux moitiés sont semblablement réparties de part et d'autre de l'axe vertébral, comme les figures d'un jeu de cartes qui ne comporteraient qu'une moitié de corps repliée sur elle-même. Figure non déployable à l'infini comme un jeu de papiers pliés, mais se résorbant dans le deux où elle trouve sa perfection.

L'architecture corporelle repose donc sur le double, la duité. Et cependant, il est un seul sexe, un seul organisme et un seul nombril. Ce dernier organe pouvant être pris comme le centre autour duquel tout le reste rayonne, unité et duité assemblées. Quant au cœur, il comporte encore deux moitiés, opposées certes mais complémentaires. Et le sexe se complète de celui qu'il n'est pas, nous apprenant ainsi que le corps entier n'est lui-même que moitié d'un autre et somme d'une différence.

Une moitié d'homme ferait-elle encore un vivant, une fois ajoutés ces organes essentiels que sont le cœur, le foie, le sexe et quelques autres cellules monoplaces ? Comment se représenter un corps en demi-lune ? Amputée d'une partie d'elle-même, l'autre moitié pourra-t-elle subsister ? Elle se racornira sur sa tranche. Témoin que le deux est peut-être plus que l'un, qui, cependant, se double de lui-même, sur ses faces internes et externes. L'androgyne possède bien aussi deux moitiés similairement inverties, doubles « sauvages » où chacun peut se reconnaître semblablement différent.

Sous la peau, invisibles mais pareillement répartis, les organes se correspondent encore : cubitus, radius, os du bassin et métacarpe, idoinement disposés. À tel point qu'il suffit aux planches anatomiques de présenter une seule moitié du corps pour que l'on puisse reconstituer le tout en rabattant idéalement cette moitié sur elle-même. Ce que la mémoire après tout peut bien opérer avec un risque d'erreur qui augmente certes avec le temps, mais que la science s'emploie aujourd'hui à résorber.

On pourrait l'imaginer bien sûr ce corps unijambiste et doté d'un seul œil, d'une oreille unique mais recourbée comme toutes ses congénères. Pour le propulser il faudrait alors combiner toutes sortes d'hélices et de ressorts, réinventer proprement un organisme. Tant il est vrai que la marche - pour prendre ce banal exemple - repose sur le deux, la jonction et la connivence des deux membres assurant seules le déplacement de ces bipèdes que nous sommes. On pourrait concevoir encore les deux moitiés séparées l'une de l'autre et se tenant par la main. Il suffirait pour cela de fermer chaque moitié sur sa tranche interne, là où le ciseau du chirurgien aurait opéré une entaille sans bavures.

Le corps est donc fait pour être symétrique, pareillement distribué (ou si peu s'en faut) sur sa droite et sur sa gauche. Si un des membres vient à manquer, on rétablit de suite l'équilibre rompu par l'adjonction d'une prothèse, organe mécanique qui redonne son assise au corps premier. Car un corps monoplace et monobulle est proprement monstrueux. Imaginez donc une femme dotée d'un œil unique ou appareillée d'un seul sein.

Inversant le précédent système, on peut se représenter ces deux moitiés castrées sur leur partie inférieure, comme toutes les cartes à jouer qui redoublent le deux, présentant deux figures se faisant face, égalant donc quatre moitiés, mais privées de jambes, de sexe et qui font « figure » simplement. Images représentables de ce seul corps qu'on peut nommer ou métonymie de l'infigurable ?

On pourrait encore dédoubler le corps entier sur son épaisseur. Une fois déplié, il présenterait deux faces, l'une externe et l'autre d'écorché, exhibant ces entrailles ordinairement si bien scellées dans la moiteur du corps intact.

Le corps est donc bien double. Des deux moitiés, quelle est cependant l'originale ? Laquelle fait-elle pour l'autre figure de modèle ? La droite, la gauche, la moitié antérieure ou postérieure qui se qualifient, elles, par leur dissemblance ? Il semble en tout cas que les deux moitiés soient apparues en même temps, chacune accompagnant son autre au cours d'une croissance qui fut longue et difficile.

Mais quoique double et partiellement différencié, le corps n'a que peu de droit de regard sur lui-même. Les mains peuvent certes se joindre, se palper, s'ausculter du bout de leurs doigts multiples, les jambes se croiser, se plier, déplier. Mais les yeux ne peuvent se voir, les oreilles sont dissimulées l'une à l'autre de part et d'autre de la boîte crânienne.

Il faudrait cependant apprendre à chaque moitié à connaître sa jumelle. On peut en ce sens rêver d'un corps distribué de part et d'autre d'un corps distribué de chaque côté de l'axe de la colonne vertébrale, en tous points comme le nôtre, mais dont chaque moitié serait déboîtée vers l'intérieur, formant ainsi avec cet axe vertébral un angle de 45 degrés. Les yeux pourraient alors se voir, plongeant l'un dans l'autre à la manière de deux miroirs se faisant face.

Pour le reste, chaque moitié commande bien à sa semblable - ou est-ce au tout ? Les deux bras se lèvent avec un bel ensemble ; les deux yeux pour se fermer obéissent au même instant. Là encore l'asymétrie apparaît comme contre nature, nécessitant plus d'effort que les mouvements ordonnés d'un double corps similaire.

Que dirait-on si des deux moitiés l'une un jour se mettait à ne point ressembler à l'autre, rétrécissant, diminuant. La deuxième, peut-être, agissant en cela a contrario, s'efforcerait-elle de grandir. Et cependant, entre les deux moitiés, la naine et la géante, on reconnaîtrait des proportions et un aspect commun : cet air de famille que chaque moitié entretient à son insu avec son autre. Imaginons-les sans épaisseur et pliables à volonté. Les deux moitiés se recouvrent-elles l'une l'autre, chacune coïncidant très exactement et en tous points à sa semblable ?

C'est là qu'on aperçoit au sein du même de subtiles différences et si les deux moitiés se ressemblent infiniment plus qu'elles ne ressemblent à la moitié d'un quelconque corps voisin, elles ne se juxtaposent point en tout. Il est parfois un œil plus grand, une jambe plus courte. Sans compter les accidents qui viennent modifier l'apparence première : taches, cicatrices, légères amputations. Car chaque moitié a son histoire qui lui est propre et ne s'apparente nullement à celle de sa voisine. Ce bras droit qui fut autrefois cassé fait pendant au bras gauche qui n'a, sur ce point, nulle expérience.

Tant et si bien qu'il se trouve peut-être de par le monde une autre moité qui vous ressemble infiniment plus que cette moitié dont vous êtes doté. Ce qui ouvre la voie à toutes sortes de fantaisies et de rencontres possibles : un chirurgien habile pourrait, en rassemblant ces deux moitiés, produire le chef-d'œuvre absolu en matière de corps. Un corps dont les deux parties s'assembleraient et s'uniraient en tous points, la moitié gauche apparaissant comme l'exact reflet dans un miroir de la droite.

À moins, bien sûr, que vous ne préfériez cultiver la différence absolue - ou relative - et adjoindre à l'une de vos moitiés une autre qui lui serait morphologiquement parfaitement antinomique. On se prend à rêver devant toutes les possibilités qui seraient alors offertes à la chirurgie esthétique. On pourrait greffer l'une sur l'autre une peau blanche et une peau noire, avoir un œil vert et l'autre bleu, arborer de splendides coiffures asymétriques.

Pour ma part, je choisirai deux mains, l'une blanche et l'autre noire. J'aurai un sein de femme et l'autre d'androgyne, un soleil pour œil et l'autre en demi-lune. Renouant ainsi avec la plus pure tradition ésotérique, je pourrai commander une tiare pour surmonter le tout.

Il reste encore à la science quelques progrès à accomplir avant de pouvoir greffer le mort sur le vivant. Le corps alors, comme dans certaines figurines de l'ancien Mexique, comportera deux moitiés, l'une vivante, l'autre réduite à l'état de squelette. On pourra peut-être dès lors se survivre, anticiper sa mort ou greffer à soi quelque moitié d'un corps aimé.

En attendant vos deux moitiés sont bien vivantes, soudées l'une à l'autre quelques éternités encore. Il convient de soigner leur similitude, les laissant évoluer de façon parallèle, les habillant pareillement de vêtements symétriques et bien coupés.

Projetant votre image sur le monde, vous y cherchez partout la symétrie comme un vertige. Ce corps de bâtiment sera flanqué de deux ailes, égales de taille et elles aussi dotées d'une paire de lucarnes similaires. Symétrique et bien balancé, votre corps aura la belle ordonnance d'un jardin à la française, embaumé vivant dans la moiteur du tissu cellulaire.

Les poupées aussi ont deux bras, deux jambes et un seul corps. Il n'est que les mannequins pour se désarticuler et finir parfois avec un œil unique sur le front. Par où s'amorcerait peut-être une fuite hors de ce deux parallèles où nous fûmes un jour circonscrits. Dotés d'un corps unique et transversal, les archéologues des temps futurs ne sauront plus comment souder ces deux moitiés qui furent - des siècles durant - si bien appareillées. »

©Florence de Mèredieu

Texte publié in « Le Deux », Revue d'esthétique, 1980, n° 1-2

lundi 16 avril 2012

LE (NOUVEAU) PALAIS DE TOKYO.

Dan Perjovschi, « le Dessin du Palais », 2012. Ph. ©FDM

Dédié à l'art le plus contemporain, le Palais de Tokyo rouvre ses portes après une interruption et ce que l'on n'oserait appeler des « travaux », puisque l'opération principale a surtout consisté à dégager de nouveaux espaces et effacer tout ce qui pouvait constituer des limites, des frontières et des lieux clos.

Résultat : une mise à nu de l'ossature et de la structure du bâtiment qui - architecture des années 1930 oblige - sont magnifiques. Les espaces, les volumes, la lumière et les échappées sur l'extérieur sont en soi une expérience esthétique. Qu'on ne saurait bouder.

Ces échappées sur le dehors, la cour du monument, la Seine en arrière-plan et la passerelle qui mène au Musée du Quai Branly, ont de quoi ravir les contemplateurs et regardeurs qui visitent le lieu. Ces fameux « regardeurs » qu'évoquait Marcel Duchamp...

Cette dimension, d'une « action contemplative » du public, est soulignée par le travail du roumain Dan Perjovschi, « le Dessin du Palais », qui traite de manière ludique - et graphique - les hautes fenêtres du Palais. Vitres transparentes, et plus que transparentes, « ouvertes » sur l'extérieur et rehaussées de graffiti ironiques, poétiques et un brin décalés... Tout ce que j'aime.

Pour le reste, le lieu est difficile, les accrochages risqués : il n'est pas certain que la volonté « affichée » (s'agirait-il de combler un manque de moyens dévolus à la restauration des espaces ?) de conserver le béton brut, et quelques gravats apparents, soit une bonne solution. Il reste que cela peut constituer un challenge à relever pour artistes aventuriers.

L'OUVERTURE s'est faite en fanfare. Avec beaucoup, beaucoup de performances. Ce qui, là aussi, constitue un jeu risqué, la performance étant un protocole très rebattu. Mais l'on reviendra, dans un autre billet de ce blog, sur cette dernière question.

Savourons, pour le moment, la beauté du lieu, la lumière qui tombe en cascades des grandes verrières, et attendons l'ouverture prochaine (le 20 avril) de la Triennale annoncée : INTENSE PROXIMITÉ.

Palais de Tokyo

Palais de Tokyo, 2012. Ph. ©FDM

vendredi 6 avril 2012

ARTAUD. AUTOPORTRAITS.

Couverture de Antonin Artaud,
Portraits et Gris-gris (1984 et 2008).

« Nulle déformation, nulle anamorphose n'atteint cependant les visages dessinés par Artaud, traités au contraire de façon hyperfigurative. Renforcement jusqu'à l'ossification et jusqu'au plus extrême dessèchement de la figurabilité et de la correspondance au modèle. Correspondance utopique, inventée, et qui n'en est que plus dense. Plus forte. Commentant un de ses portraits, exécuté par Jean de Bosschère, Artaud n'a-t-il pas cette formule saisissante : « Je m'y retrouve tel exactement que je me vois dans les miroirs du monde, et d'une ressemblance de maison ou de table, puisque toute la ressemblance est ailleurs. » (Antonin, Artaud, Œuvres complètes, I-180)

Dans cette destruction de la mimesis, la fonction de l'autoportrait n'est pas ici de l'ordre du redoublement spéculaire. La toile est un lieu vide, le visage un « champ » d'absence, de mort, non point imaginé ou « lu », mais profondément vécu. [...]

Il n'est qu'un trou dans la représentation. Il n'y a ni en-deçà ni au-delà du miroir. Nulle figure. Aucun regard où se conforter. Je serai éternellement à moi-même ma propre absence de représentation. Figure infigurable. Représentation déniée. [...]

S'attaquer à l'autoportrait, c'est donc s'attaquer à la figure même de Dieu - en une suprême démarche iconoclaste. Destruction des idoles. « Tuer un mort », disait Artaud. D'où ces dessins, ces totems d'être, ces bribes d'os, de clous, ces fémurs dépareillés, inlogeables. Corps désormais insituable. Anatomie en perte de structure. Abandon des repères anatomiques propres à l'espèce. Ouverture et excentration de la barbaque humaine. » (Extrait de Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris, Blusson, 1984 et 2008)

Les dessins, portraits et autoportraits d'Artaud : références

Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris, Blusson
C'était Antonin Artaud, Fayard
L'affaire Artaud, Fayard
Eis Antonin Artaud, Editora Perspectiva

Couverture de Eis Antonin Artaud (2011).

dimanche 1 avril 2012

SOTHEBY'S: ARTAUD'S DRAWINGS AND RESTORATION WORKS.

On the left: Document A (before restoration)
On the right: Document B (current state)

Go on sale on April 5, five drawings of Antonin Artaud who belonged to Florence Loeb and his father, Pierre Loeb gallery, which organized, in 1947, the first exhibition of drawings by the poet. These five works of impeccable pedigree and to which it is hoped they will join the other works of some great French museum.

What I found here challenged and should, at least, provoke debate, it is the issue of restoration, so delicate, of these drawings. The restoration works of art, especially those works of modern art (which belongs Antonin Artaud), being more problematic for reasons that are both technical and ideological (it now takes more account of the history of the work and its "avatars").

Drawing causing all of my questions is the lot No. 49. Entitled "Untitled", it was previously presented under the title "Figures". - Dedicated " to the Poor Florence who also will revolt », it consists of five figures or effigies, including a self-portrait (bottom right).

At the time of preparation of my book on the drawings of the poet, Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris (it was the first book published on the subject in 1984 : this book not listed in this catalog Sotheby's), I had access to photographs taken during the exhibition of drawings Artaud organized in 1980, at the Musée de l'Abbaye Sainte-Croix (Les Sables-d'Olonne). One of these pictures (Document A, detail of the drawing) clearly shows that this drawing was widely smeared and blood stains of blood anf filth. The perimeter of the figures also show leaves many details (and a wealth of material) which disappeared after restoration (document B, current state). This photograph (document A, corresponding to the initial state of the work) has been replicated in the new edition of this book, Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris (Blusson, 2008, p. 10, No. 5 bis). Blood stains and the filth of the bloody field are clearly visible on the reproduction in black and white.

All of these have now largely disappeared from the drawing. Survive only a few halos and just a touch of red in the bottom of the drawing (document B). There has therefore been that the technicians and art historians often refer to as a "hollowing out". When was this restoration ?

In 1980, during exposure at Les Sables-d'Olonne, the drawing is in the condition it was in Artaud's death in 1948. The bloodstains are visible. - In 1986, in the book published by Paule Thévenin and Jacques Derrida (Portraits et Dessins), jointly from Schirmer Mosel and Gallimard, most traces of blood is gone and only lives a few halos, and sweepings streaks of blood are almost erased. The catalogs will resume next (without reporting no restoration) this new state of the work. - 1980-1986 : it was not until 2008 that this state of the design prior to its restoration, reappear in the new edition of my book, "Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris. "

So, of course, opinions will differ between supporters restoration of a "successful" works, the "Hygienists" who want to design a clean and washed. What we might call a "bleach" works and is known as chloramine, often used for cleaning and paper processing function is to standardize and launder funds.

The question seems all the more "heavy" and more complex than it is a drawing of Antonin Artaud, poet of the "Theatre of Cruelty", author and certainly cursed "precursor" of the body art (that I reported in my book in 1984). Load "hardware" of the work is not in his case an empty word. Any part of the poet's work order process is of primitive magic and clearly claimed. Fetishes, charms, works loaded ... Would you clean an old nail fetish? - The debate is open.

Was it clear, clean these "stigmata", this material body where many will gain an essential aesthetic and metaphysical. - Near the poet Jacques Prevel described (6 August 1947) the private room of Artaud, corroborating in every way this state works : " The frames are placed around the room, standing against the walls. (...) We should blow this vision as it really exists, with spots of blood spattered all here, drawings, the bed, manuscripts stacked on the closet ... »

We know the story of the two successive "tubs" of Joseph Beuys, one of which works (full of fat) was patiently scoured by a zealous housekeeper and the other (put away, bristling with gauze and plasters) was used at a congress of the German SPD as "bucket" for cool drinks ... A vast outcry was followed each time.

What Artaud would have thought of these restorations ? The unanswered question is obviously, historians, aestheticians, collectors, technicians and art professionals are here referred to themselves and their strange rituals.

We understand that for my part, I hold for excessively large, the presence (now deleted) of the material body. A long association with the work, texts and manuscripts of Artaud convinced me of the role played by the body, moods and substances in the productions of one who is identified on a recurring basis in Christ cross.

This is a question of art history, aesthetics and "sense" of works ...

Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris
(1984 ; 2008 et 2019 expanded editions)

SOTHEBY'S : DESSINS D'ARTAUD ET RESTAURATION DES ŒUVRES.

Sur la gauche : Document A (avant restauration)
Sur la droite : Document B (état actuel)

Passent en vente, le 5 avril prochain, 5 dessins d'Antonin Artaud qui ont appartenu à Florence Loeb et à son père, le galeriste Pierre Loeb qui organisa en 1947 la première exposition de dessins du poète. Il s'agit de cinq œuvres au pedigree impeccable et dont on espère qu'elles rejoindront les cimaises de quelque grand musée français.

Ce qui m'a ici interpellée et qui devrait, à tout le moins, provoquer un débat, c'est la question de la restauration, ô combien délicate, de ces dessins. La restauration des œuvres d'art, et tout particulièrement celles des œuvres de l'art moderne (auquel appartient Antonin Artaud), étant des plus problématiques pour des raisons tout à la fois techniques et idéologiques (on tient davantage compte désormais de l'histoire de l'œuvre et de ses « avatars »).

Le dessin qui provoque toutes mes interrogations est le lot n° 49. Intitulé « Sans titre », il fut antérieurement présenté sous le titre « Figures ». - Dédicacé « à Florence la Pauvre qui elle aussi se révoltera », il est constitué de cinq figures ou effigies, dont un autoportrait (en bas à droite »).

Au moment de la préparation de mon ouvrage sur les dessins du poète, Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris, publié en 1984 et qui fut le tout premier livre publié sur la question (livre non répertorié dans le présent catalogue Sotheby's), j'avais eu accès à des documents photographiques pris lors de l'exposition des dessins d'Artaud organisée, en 1980, au Musée de l'Abbaye Sainte-Croix (Les Sables-d'Olonne). L'un de ces clichés (document A, détail du dessin) démontre à l'évidence que ce dessin était largement maculé et de taches de sang et de balayures de sang. Le pourtour des figures laisse aussi apparaître quantité de détails (et toute une richesse de matière) qui ont disparu après restauration (document B, état actuel). Ce cliché (document A, sans perte et correspondant à l'état initial de l'œuvre) a été reproduit dans la réédition de ce livre, Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris (Blusson, 2008, p. 10, n° 5 bis). Les taches de sang et les balayures de la matière sanguinolente y sont bien visibles, y compris sur la reproduction en noir et blanc.

Tous ces éléments ont aujourd'hui quasiment disparu du dessin. Ne subsistent plus que quelques halos et, à peine, une touche de couleur rouge dans le bas du dessin (document B). Il y a donc bien eu ce que les techniciens et historiens de l'art désignent souvent comme « une perte de substance ». De quand date cette restauration ?

En 1980, lors de l'exposition des Sables-d'Olonne, le dessin est dans l'état qu'il avait à la mort d'Artaud en 1948. Les taches de sang sont bien visibles. - En 1986, dans l'ouvrage publié par Paule Thévenin et Jacques Derrida (Portraits et dessins), conjointement chez Schirmer et Mosel et Gallimard, l'essentiel des traces de sang on disparu ; il ne subsiste plus que quelques halos ; les balayures et striures de sang sont quasiment effacées. Les catalogues à venir reprendront (sans signaler aucune restauration) ce nouvel état de l'œuvre. - 1980-1986 : il faudra attendre 2008 pour que cet état du dessin, antérieur à sa restauration, reparaisse dans la nouvelle édition de mon ouvrage, « Portraits et gris-gris ».

Alors, bien sûr, les avis pourront diverger entre les partisans d'une restauration « efficace » des œuvres, les « hygiénistes » qui souhaitent un dessin propre et lavé. Ce que nous pourrions nommer une « javellisation » des œuvres et l'on sait que la chloramine, souvent utilisée pour le nettoyage et traitement des papiers a pour fonction de blanchir et uniformiser les fonds.

La question me paraît d'autant plus « lourde » et plus complexe qu'il s'agit d'un dessin d'Antonin Artaud, poète du « Théâtre de la cruauté », auteur maudit et assurément « précurseur » du body art (ce que je relevais dans mon ouvrage dès 1984). La charge « matérielle » de l'œuvre n'est pas, dans son cas un vain mot. Toute une part de l'œuvre du poète relève de processus d'ordre magique et primitif clairement revendiqués. Fétiches, gris-gris, œuvres chargées... Irait-on nettoyer un vieux fétiche à clous ? - Le débat est ouvert.

Fallait-il effacer, nettoyer ces « stigmates », cette matière corporelle où beaucoup verront une essentielle plus-value esthétique et métaphysique. - Proche du poète, Jacques Prevel décrit ainsi (le 6 août 1947) la chambre d'Artaud, corroborant en tous points cet état des œuvres : « Les cadres sont disposés tout autour de la chambre, debout contre les murs. (...) Il faudrait faire exploser cette vision comme elle existe réellement, avec les taches de sang qui maculent tout ici, les dessins, le lit, les manuscrits empilés sur l'armoire... »

On connaît l'histoire des deux « baignoires » successives de Joseph Beuys, œuvres dont l'une (emplie de graisse) fut patiemment récurée par une femme de ménage zélée et dont l'autre (remisée, bardée de gaze et de sparadraps) fut utilisée lors d'un congrès du SPD allemand comme « seau » permettant de faire refroidir les boissons... Un vaste tollé s'en était suivi à chaque fois.

Qu'est ce qu'Artaud aurait pensé de ces restaurations ? La question est évidemment sans réponse ; les historiens, esthéticiens, collectionneurs, techniciens et professionnels de l'art sont ici renvoyés à eux-mêmes et à leurs singuliers rituels.

On comprend que, pour ma part, je tienne pour excessivement importante, la présence (aujourd'hui effacée) de cette matière corporelle. Une longue fréquentation de l'œuvre, des textes et des manuscrits d'Artaud m'a convaincue du rôle déterminant joué par le corps, ses humeurs et ses substances, dans les productions de celui qui s'est identifié de manière récurrente au Christ en croix.

Ceci est une question d'histoire de l'art, d'esthétique et de « sens » des œuvres...

Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris
(1984, et 2008 : édition augmentée)

vendredi 30 mars 2012

JOËL-PETER WITKIN. THÉÂTRES DE LA CRUAUTÉ.

Moisson, Philadelphie, 1984 ©Joël-Peter Witkin.

Plurielle, polyvalente, la photographie contemporaine recouvre des tendances très différentes. Il n'y aurait, sur ce point, qu'à mettre en regard l'une de l'autre les œuvres divergentes de Diane Arbus et de Joël-Peter Witkin (photographe américain né en 1939). La monstruosité et une représentation corporelle hors normes sont cependant des problématiques communes aux deux.

Tout ensuite les sépare. Arbus n'intervient quasiment pas sur ses clichés qui demeurent de « fidèles » captures du réel ; ses « monstres » sont quasiment domestiqués ; ils appartiennent à la vie ordinaire et c'est cela qui fait la force de ses photographies.

Joël-Peter Witkin prélève lui aussi ses matériaux (objets, humains) dans le réel, mais il pousse la recherche de la monstruosité et du hors norme jusqu'à leurs limites. Et surtout, il théâtralise le tout de manière ostentatoire. Le théâtre de la vie et de la rue ordinaires, qui était celui d'Arbus, est débordé de toute part. On est transporté au cœur d'un opéra baroque et des plus noir.

Le traitement de l'image est ici prépondérant. Les matériaux de départ sont découpés, recollés, maquillés, tronçonnés, suturés les uns aux autres. Les corps font l'objet de singulières métamorphoses, les visages se transforment en masques et les silhouettes en figures robotiques. D'où cette intense poésie, cette bascule au sein d'un univers dont on sait qu'il a outrepassé toutes les marges.

Le théâtre dont il s'agit est délibérément CRUEL. Et provocant. Cette cruauté est certes celle des instruments (ciseaux, scalpels, instruments de contention et accessoires sado-maso) qui participent à la fabrication des mises en scène de Witkin. - En arrière-plan cependant, le spectateur est sans cesse ramené à cette autre cruauté qui est celle du réel. De ce réel qui a été nécessaire pour qu'adviennent certaines images (Femme qui fut un jour un oiseau, Los Angeles, Californie, 1990).

On demeure bien en effet dans un univers qui est celui de la photographie, laquelle prélève et découpe dans le réel, la chair et le vif. - Théâtres donc de la cruauté, au sens physique et matériel du terme.

Ces mises en scènes poétiques et barbares tranchent donc singulièrement avec ces estampes - fabuleuses - qui ponctuent et l'imaginaire de Witkin et le parcours de l'exposition : Dürer, Rembrandt, Goya, Picasso et (au premier chef) ce somptueux dos d'écorché féminin de Gautier d'Agoty (XVIIIe siècle), etc.

Parmi toutes ces mises en scènes photographiques, celles qui auraient ma préférence sont celles qui s'avèrent le plus impeccablement suturées (Sanatorium, 1983, Moisson, Philadelphie, 1984). Au point que l'on ne sait plus dans ce jeu de bascule où est le vrai, où est l'artifice. Les deux se sont mêlés au cœur de mondes qui - il faut le souligner - sont (la plupart du temps) en noir et blanc.

Avec des noirs profonds, des dégradés de gris et des échelles de blancs qui en font toute la poésie.

Joël-Peter Witkin. Enfer ou Ciel. BNF Richelieu /
Galerie Mansart. Du 27 mars au 1er juillet 2012.
Commissaire : Anne Biroleau

jeudi 29 mars 2012

CORRESPONDANCE. MARCEL DUCHAMP - HENRI-PIERRE ROCHÉ. 1918-1959

Double page du livre (Duchamp et Roché)
Édition établie, préfacée et annotée
par Scarlett et Philippe Reliquet (Mamco, Genève 2012)

Si le verre devait voyager, il serait essentiel qu'il arrive en parfaite forme « pour les siècles à venir ». (Totor [MD], lettre du 7 avril 1953)

Marcel Totor (alias Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy) adresse entre 1918 et 1959 quelques 159 lettres, plus quelques cartes et télégrammes à son ami « Totor » (le ci-devant Henri-Pierre Roché, collectionneur, critique, courtier, ami et grand dandy devant l'éternel féminin). De ce dernier n'ont été conservées par Duchamp que trente-trois lettres couvrant la dernière période de la relation des deux hommes avant la mort de Roché en 1959.

Ces missives ont été soigneusement, méticuleusement, retranscrites, préfacées et annotées par Scarlett et Philippe Reliquet. Tout est précis, mesuré, parfait. Ce qui vient d'emblée à l'esprit est cette notion d'érudition merveilleuse qui se joue toujours de la rigueur et préciosité des détails.
D'autant que l'auteur privilégié de cette correspondance, Marcel Duchamp lui-même, s'y connaissait en jeux de langage et rotatives de précision. On découvrira ainsi au long des pages, bien de menues notations qui en disent long sur l'état d'esprit et la singulière distance que l'auteur de la Boîte en valise et des Rotoreliefs entretenait par rapport au monde, à son « œuvre » et à lui-même.

Duchamp est le plus souvent à New York, Henri-Pierre Roché à Paris. Parmi les sujets évoqués : l'œuvre en devenir de Duchamp, bien sûr, ses jeux, ses tentatives ; les amis, les relations dont on prend ou donne des nouvelles ; les parties d'échec qui accaparent une grande part de l'attention de notre Totor ; les tractations commerciales qui seront incessantes entre les deux amis qui gèrent ensemble aussi bien les "Brancusi" achetés en 1926 que les œuvres de Duchamp (Henri-Pierre Roché fut très longtemps détenteur du Petit Verre). Les multiples de la Boîte en valise font ainsi l'objet de bien des notations et tractations. Leur vente permit un temps à Duchamp de vivre et de financer ses autres œuvres.

Au fil des pages, on apprend une foule de choses délicieuses :
- comment Marcel Duchamp se fait vitrier : " je n'ai pas répondu à ta lettre, ni écrit, car je suis devenu un vitrier qui de 9 h à 7 h du soir ne pense à rien d'autre qu'à réparer du verre cassé. » (MD)
- Marcel Duchamp se présente en 1935 au Concours Lépine où il tint le stand n° 147, « entre celui d'un inventeur de machines à incinérer et à compresser les ordures et celui d'un inventeur d'épluche-légumes moderne. »
- comment la notion de « boîte de conserves » servit à désigner un moment les Boîtes en valise.
- comment il met au point à New York en 1944 un échiquier de poche, de la taille d'un portefeuille, constitué de têtes d'épingles accrochant les diverses pièces du jeu.
- que le « Cimetière des uniformes et livrées » (1913) représente une première étude des « Neuf Moules Mâlic ».
Etc. etc.

Je recommande d'ailleurs vivement de cet ouvrage une lecture hasardeuse, façon dada, avec des sauts de note en note et une manière systématique de picorer les pages dans leur diagonale.