jeudi 14 octobre 2021

CHRISTO. L’ARC DE TRIOMPHE. Le Tout et la Partie.

L’Arc de Triomphe (Wrapped), Christo et Jeanne Claude, 2021.
Vue d’ensemble. Photo ©FDM.


Empaquetage de l’Arc de Triomphe, Paris
18 septembre - 13 octobre 2021.


En ce mois de septembre, les parisiens auront vécu la mise en place et l’aboutissement d’un des plus anciens projets de ce couple d’artistes spécialisé dans les empaquetages géants de sites et/ou de monuments. C’est en 1962, depuis les fenêtres d’une chambre de bonne où le jeune artiste s’est installé avec sa compagne qu’ils ont la première idée (et vision) d’un empaquetage de cet Arc de Triomphe qui surplombe le haut de l’avenue des Champs-Élysées parisiens.

Monument symbolique qui revêt une signification politique hautement sensible. Lieu de toutes les commémorations nationales, la monumentale architecture abrite la tombe du « soldat inconnu ». D’où les résistances multiples que Christo va rencontrer. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. Né dans les pays de l’est, celui qui n’a eu de cesse de clamer son aspiration et son penchant pour la liberté, ne craint pas les contradictions et apprécie d’entrer à chaque projet « en résistance ». La bagarre à mener - avec les autorités, les institutions, l’opinion publique, etc. - fait partie intégrante du processus de ses œuvres. Qu’il s’agisse du Pont-Neuf (Paris, 1985), du Reichstag (Berlin, 1995) ou de ses autres projets,

Chacune de ses réalisations apparaît comme une sorte de « Grand Œuvre », emmagasinant dans les plis de sa structure, toute une épaisseur temporelle, un grand nombre de démarches, de discussions et de maquettes préparatoires. A tel point qu’il s’est mis à concevoir l’idée d’un Musée nécessaire pour chacun de ses projets, qui abriterait les archives spécifiques de chacune de ses réalisations.

On conçoit dès lors le caractère monumental du travail de Christo et Jeanne-Claude. Lors de chaque réalisation concrète - et in situ - d’une œuvre, celle-ci est synthétisée, visualisée sous forme d’un ensemble et d’un TOUT. Massif. Trapu. Comme l’est ici l’Arc de Triomphe emballé dans ses plis et ses cordages.

L’Arc de Triomphe (Wrapped) Christo et Jeanne Claude, 2021.
Détail. Photo ©FDM.


L’œuvre n’en est pas moins riche d’une multitude de détails, de « points de vue « . Plis. Ombres. Lumières. Nuages. Impact du vent et des éléments, etc. Chacun des monuments emballés et empaquetés par Christo se décompose en « vues » qui sont autant de "sculptures", d’événements éphémères. Singuliers et diversement colorés.

Le textile - élément devenu le matériau privilégié de Christo - séduit par l’architecture, à la complexité chaque fois unique, de ses plis. Produit par une entreprise spécialisée, le tissu nécessaire à l’empaquetage de l’Arc se doit d’être éminemment résistant. Il possède en outre la capacité de réfléchir d’une certaine manière la lumière, en engendrant des reflets gris, bleutés ou blancs. Au couchant le Monument devient rose ou doré.

Tournant autour du Monument - comme autour d’un objet ou d’une sculpture, on découvre les mille et une facettes du drapé. Celui-ci joue avec les nuages et se métamorphose au gré de l’atmosphère.

Bien des parisiens et parisiennes - tous âges confondus - se sont pressés autour du monument, le touchant, le photographiant (dans tous ses états), palpant l’épais tissu, s’amusant des nuages et des mouvements du drapeau central qui flottait au vent. La rude architecture de l’Arc devenait mouvante. Vibrante.

Christo et sa compagne devaient (depuis leurs nuages) se réjouir des mille et un aléas de cette œuvre posthume. Ils ont l’une et l’autre disparu successivement en 2009 et 2020. Mais demeurent dans le souffle et le souvenir de chacun des plis de leurs immenses sculptures à ciel ouvert.

L’Arc de Triomphe (Wrapped) Christo et Jeanne Claude, 2021.
Détail. Photo ©FDM.

samedi 9 octobre 2021

GIACOMETTI et l’ÉGYPTE ANTIQUE. Le « Chaînon Manquant ».

Affiche de l'Exposition.


« Ça, ce sont des sculptures. Ils ont retranché ce qui était nécessaire sur toute la figure, il n’y a même pas un trou pour entrer une main, pourtant on a l’impression du mouvement et de la forme d’une façon extraordinaire. » (Giacometti, "Lettre à ses parents", consécutive à une visite du Musée archéologique de Florence où il s’attarde devant des sculptures de l’ancienne Égypte, décembre 1920).

Cette belle exposition se termine dimanche, mais on aura toujours la possibilité de consulter le passionnant catalogue qui l’accompagne.

Giacometti est un de mes sculpteurs et artistes de prédilection et je savais qu’un lien profond l’unissait à l’Egypte antique. Mais je n’avais pas réalisé à quel point la connaissance et la fréquentation de l’Égypte - tout au long de sa vie - avait pu former et imprégner en profondeur et jusque dans leur ossature ses sculptures et dessins.

A tel point qu’il me semble nécessaire d’évoquer une sorte de « chaînon manquant » dans la connaissance que je pouvais avoir de cet artiste. Et je ne suis sans doute pas la seule à qui cette exposition aura fourni un éclairage déterminant.

C’est dans les livres - et au travers des reproductions d’art - que Giacometti découvre d’abord la statuaire égyptienne. Une tête sculptée aperçue dans un Musée de Florence l’impressionne à tel point qu’il n’a de cesse de compléter par une visite à Rome, au Vatican. Il déplore d’ailleurs le peu de soin et de considération alors apportés à ce qu’il considère comme des œuvres fondamentales de la culture.

Les visites au Louvre le raviront et lorsqu’il aura installé son atelier à Paris, il s'y rendra régulièrement. Commençant généralement ses visites par une pérégrination dans les allées du Département des antiquités égyptiennes.

Carnet de croquis en mains, il n’a de cesse de reproduire et fouiller l’architecture générale de cette statuaire, la plus belle qui lui semble exister, la plus synthétique qui soit.

L’éventail de ses émerveillements est très large. Qu’il s’agisse du "scribe assis" dont il reprendra et utilisera l’assise dans certaines de ses sculptures, de la silhouette longiligne et affinée de personnages auxquels il fera subir une dernière cure de maigreur, une « essentialisation », ou des portraits du Fayoum dont il reprend l’expression graphique dans ses dessins tout autant que certains des coloris (de bistre, d’ocre, de noir, de rouges et de violets) dont il gratifiera quelques-unes de ses statuettes.

Et que dire de ses têtes - ses profils empennés, allongés, aristocratiques et comme sanctifiés. Ou ces visages, somptueusement architecturés et que surmontent d’autres architectures : des coiffes, des perruques, des chevelures.

Les carnets de croquis fourmillent de fines lignes. Labyrinthiques. Légères et en ellipses. Le crayon de Giacometti fouille les figures, creuse et met au jour l’ensemble des lignes et des géométries qui s’y dissimulent.

« Giacometti l’Égyptien » nous livre une grande leçon d’histoire. C’est là le cadeau précieux de cette exposition et du catalogue (lui aussi très fouillé) qui l’accompagne. On ne pourra plus lire l’œuvre du peintre et du sculpteur de la même manière.

Site de la Fondation Giacometti

Catalogue de l'Exposition.