vendredi 27 juillet 2018

SOULAGES et GUTAI. Face à Face.

Shiraga Kazuo au travail, années 1950, photographie (DR).

« GUTAI. L'espace, le temps »
Au Musée SOULAGES de Rodez.
Du 7 juillet au 4 novembre 2018.

Quoi de commun entre Soulages, peintre "cistercien", ses noirs-lumières, ses ombres, sa légendaire (et raffinée) économie de moyens et l'explosif mouvement Gutai, ce groupe japonais d'avant-garde qui entreprit, en 1954, de faire table rase du passé ?

Il s'agissait alors pour les membres du groupe de "faire ce qui n'avait jamais été fait" (Yoshihara Jiro). Comme de peindre avec les pieds (Shiraga Kazuo), d'utiliser toutes sortes de matériaux inusités, de lancer sur la toile des projectiles de peinture (Shimamoto Shozo), de perforer à grande vitesse une série d'écrans de papier (Murakami Saburo), etc.. Et de faire en sorte (SURTOUT) que la peinture ne soit plus cantonnée au "tableau de chevalet", qu'elle s'émancipe et prenne le large - sur scène, en extérieur, dans l'espace, le temps, le ciel, les jardins et les pinèdes.

Soulages aussi "peint" ce qui n'a jamais été peint, outrepasse la peinture, le noir, la couleur, l'espace, le temps, pour se retrouver "ailleurs". Dans un autre espace/temps que ses prédécesseurs et une aventure picturale inédite.

L'exposition Gutai jouxte les salles du Musée Soulages. Les deux univers ne s'y confondent point. Cette exposition représente ce contrepoint, cette ouverture souhaitée par Soulages lui-même au sein de ce qui est "son musée", sur d'autres aventures, d'autres univers. Et l'on oserait ajouter d'autres cieux.

Adossés au ciel, les vitraux granités de Conques ouvrent doublement : sur un intérieur et sur un extérieur (une lumière transmise de manière opaque, laiteuse et qui se voit déclinée au fil des heures et des atmosphères). Le Sky Festival, auquel participe Gutai en 1960, ouvrait lui aussi sur le ciel ; accrochées à des ballons, les œuvres se déployèrent dans l'espace.

La puissante gestualité de la peinture Gutai, du théâtre Gutai, des actions de Gutai, cette gestualité anime autrement les coups de pinceaux et de brosse des Outrenoirs de Soulages. Dans les deux cas d'ailleurs, il semble que l'on soit dans un au-delà de la calligraphie. Celle-ci s'évade, quitte son signifiant, se faisant matière. Pure matière-couleur. Matière-lumière.

C'est là, sans doute, que se retrouveraient - en osmose légère, éphémère - un peintre comme Soulages et les "bambins" remuants du Gutai des origines. - Il y a en effet deux Gutai : le mouvement du début, qui se précipite dans toutes sortes d'expériences et le Gutai (plus sage et plus tardif) qui commence à se préoccuper de la solidité du support, de l'œuvre ou de l'objet qui va pouvoir circuler et se transformer en "œuvre d'art".

En bon critique d'art, en excellent conseiller artistique, Michel Tapié passe par là, orientant le mouvement vers le réseau des galeries internationales. Vient alors le "temps du tableau", de l'œuvre pérenne, propre à la conservation, apte à circuler dans les réseaux du marché de l'art. Ce qui n'empêche pas le geste, l'action (tout cela qui constitue la quintessence du mouvement) de se perpétuer. Mais le groupe dispose désormais de traces plus solides. Au sens "physique" du terme.

L'exposition présentée à Rodez insiste sur ce deuxième versant : celui de l'œuvre et du tableau. Il ne faut point cependant oublier la puissante gestuelle qui donne naissance à ces œuvres. Et quand on parle de gestes, il s'agit souvent de la mise en branle du corps entier. Les traces et pâtes épaisses de Shiraga Kazuo sont à percevoir au travers de cet élan et balancement du corps de l'artiste. Accroché à une corde, le peintre transforme ses pieds en de larges et puissants pinceaux.

N'oublions donc pas, dans la visite de l'exposition, la petite salle où sont présentés photographies et documents. L'essence même du Gutai y est livrée "brute".

Nota-Bene. - Peu de documents sont aujourd'hui disponibles en français sur Gutai. D'où l'intérêt du copieux catalogue de l'exposition qui fait le point sur différents aspects du mouvement. À ce précieux catalogue il conviendrait d'ajouter un livre plus ancien, Gutai, Moments de destruction/ Moments de beauté. On y découvrira le très beau texte d'un spécialiste du Gutai, Yamamoto Atsuo, qui nous livre un aperçu - d'une grande pureté - sur le mouvement à ses origines.

Site du Musée Soulages

Catalogue de l'exposition

Gutai, Moments de destruction/Moments de beauté

Shiraga Kazuo, Tokko, 1989, photographie (DR)

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