Une fois n’est pas coutume : je voudrais ici me situer dans le sillage des interrogations soulevées par « Lunettes rouges » dans son « papier » très efficace : « Lire ou regarder : van Gogh ou Artaud ? » (Le Monde du 10 avril). — Ce papier pose effectivement quelques très bonnes questions.
Sur la cohérence globale tout d’abord de l’exposition. Et oui, Lunettes rouges a raison. Il semble que l’on ait affaire au collage de plusieurs scènes et de plusieurs « expositions » ou fragments d’expositions.
Il n’y a, effectivement, aucun lien à établir au prime abord entre les peintures de Van Gogh et les dessins du Mômo. Peintures, d’un côté, dessins de l’autre. Il est d’ailleurs des plus sage que les organisateurs de l’exposition n’aient pas cherché à confronter Artaud et van Gogh sur ce terrain. — Artaud n’est aucunement parti de ses propres dessins et de l’aventure graphique et plastique qui est la sienne pour écrire sur van Gogh.
Il s’est, sur ce point, bel et bien confronté à l’œuvre peinte du peintre d’Arles et d’Auvers-sur-Oise. Et que l’on ne s‘y trompe pas : ces toiles, il les a intégrées. De manière frontale, matérielle et vive. Marthe Robert, qui visita l’exposition de l’Orangerie avec Artaud, remarque certes, que la visite eut lieu au pas de course. Mais l’on comprend bien que, dans son cas, elle aurait aimé s’attarder, contempler et que le tempo qui l’anime n’est pas celui du Mômo, lequel saisit en un clin d’œil — dans toute sa charge et sa vivacité, dans toute sa matérialité – ce que d’autres ne percevrons pas, fut-ce au bout d’un long moment passé devant l’œuvre.
Les lettres que van Gogh consacre à ses propres tableaux l’ont également aidé à entrer au sein de l’œuvre. Ces lettres, il en a lu quelques-unes, les confrontant aux reproductions des livres et catalogues qu’il avait sous la main.
Qu’on ne dise donc pas que son approche fut superficielle. Il n’est que de lire la description qu’il fait de certains tableaux (comme La chambre à coucher du peintre) pour saisir la beauté et la profondeur de son propos.
Lunettes rouges soulève encore de manière intéressante la question – très dialectique – du rapport entre le voir et l’écrire, entre le discours que l’on peut tenir sur un tableau et la perception corrélative de ce même tableau. — Et ici tout est possible. Ce qui montre assez la richesse et la diversité des confrontations possibles à une toile.
Les œuvres de van Gogh vivent bien sûr – de manière forte et entière – en dehors du texte d’Artaud. Ce dernier vient ajouter une autre dimension, un autre monde à l’ensemble de ces mondes qui surgissent du rapport que chacun peut entretenir avec les toiles colorées de Vincent van Gogh. Le texte d’Artaud agirait là à la façon d’une sorte de « réalité augmentée ».
Que dire, maintenant, de cette autre question abordée par Lunettes rouges : celle du poids corrélatif et de l’existence (parallèle, au sein de l’expo : dans une autre salle) des dessins d’Artaud ?
Disons-le : cette exposition est d’abord et avant tout, et – peut-être – uniquement, une exposition sur van Gogh. Artaud ne serait là que comme un faire-valoir de luxe. Un beau (et incongru) « châssis » ou « passe-partout ».
D’autant que le Artaud qui nous parle de van Gogh, ce n’est pas le dandy et le beau gosse des images cinématographiques que le public peut admirer dans l’expo. C’est le Mômo des photographies de Denise Colomb, celles de la fin de la vie, de celui qui est sorti depuis peu de l’internement en asile. Et qui se trouve physiquement délabré.
L’essentiel tient maintenant au fait que l’on ne pouvait confronter de manière aussi crue et aussi brute les peintures de van Gogh (ces peintures qui font éclater la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle) et les dessins d’Artaud (qui appartient à un autre siècle et à une autre galaxie).
ET CEPENDANT — c’est ce que je tente dans un petit essai tout juste publié : Vincent Van Gogh Antonin Artaud, Ciné-roman, ciné-peinture. À l’arrière-plan de ces deux œuvres plastiques – on peut déceler des sources et des problématiques communes : celles du trait, de la ligne, du pointillisme, du tourbillon des formes et des rhizomes tracés par l’un et par l’autre.
Mais ce serait une autre exposition qui se dessinerait. On partirait, comme je le fais dans Ciné-roman Ciné-peinture, des tourbillons et déluges du Vinci pour aboutir à Cy Twombly et aux rhizomes de Gilles Deleuze. Dans cette expo, on montrerait les dessins de van Gogh (riches, si riches et aux techniques si diversifiées) et non pas seulement les portraits et autoportraits du Mômo, mais les dessins et graffiti des pages de Cahiers d’Artaud.
Et là : grande surprise. Tout s’encastrerait et tourbillonnerait de concert.
Merci à Lunettes rouges de m’avoir permis de revenir sur ce joli lièvre. Qui court si bien.
Blog "Les Lunettes Rouges"
Le livre "Van Gogh / Artaud : ciné-roman, ciné-peinture"
Sur la cohérence globale tout d’abord de l’exposition. Et oui, Lunettes rouges a raison. Il semble que l’on ait affaire au collage de plusieurs scènes et de plusieurs « expositions » ou fragments d’expositions.
Il n’y a, effectivement, aucun lien à établir au prime abord entre les peintures de Van Gogh et les dessins du Mômo. Peintures, d’un côté, dessins de l’autre. Il est d’ailleurs des plus sage que les organisateurs de l’exposition n’aient pas cherché à confronter Artaud et van Gogh sur ce terrain. — Artaud n’est aucunement parti de ses propres dessins et de l’aventure graphique et plastique qui est la sienne pour écrire sur van Gogh.
Il s’est, sur ce point, bel et bien confronté à l’œuvre peinte du peintre d’Arles et d’Auvers-sur-Oise. Et que l’on ne s‘y trompe pas : ces toiles, il les a intégrées. De manière frontale, matérielle et vive. Marthe Robert, qui visita l’exposition de l’Orangerie avec Artaud, remarque certes, que la visite eut lieu au pas de course. Mais l’on comprend bien que, dans son cas, elle aurait aimé s’attarder, contempler et que le tempo qui l’anime n’est pas celui du Mômo, lequel saisit en un clin d’œil — dans toute sa charge et sa vivacité, dans toute sa matérialité – ce que d’autres ne percevrons pas, fut-ce au bout d’un long moment passé devant l’œuvre.
Les lettres que van Gogh consacre à ses propres tableaux l’ont également aidé à entrer au sein de l’œuvre. Ces lettres, il en a lu quelques-unes, les confrontant aux reproductions des livres et catalogues qu’il avait sous la main.
Qu’on ne dise donc pas que son approche fut superficielle. Il n’est que de lire la description qu’il fait de certains tableaux (comme La chambre à coucher du peintre) pour saisir la beauté et la profondeur de son propos.
Lunettes rouges soulève encore de manière intéressante la question – très dialectique – du rapport entre le voir et l’écrire, entre le discours que l’on peut tenir sur un tableau et la perception corrélative de ce même tableau. — Et ici tout est possible. Ce qui montre assez la richesse et la diversité des confrontations possibles à une toile.
Les œuvres de van Gogh vivent bien sûr – de manière forte et entière – en dehors du texte d’Artaud. Ce dernier vient ajouter une autre dimension, un autre monde à l’ensemble de ces mondes qui surgissent du rapport que chacun peut entretenir avec les toiles colorées de Vincent van Gogh. Le texte d’Artaud agirait là à la façon d’une sorte de « réalité augmentée ».
Que dire, maintenant, de cette autre question abordée par Lunettes rouges : celle du poids corrélatif et de l’existence (parallèle, au sein de l’expo : dans une autre salle) des dessins d’Artaud ?
Disons-le : cette exposition est d’abord et avant tout, et – peut-être – uniquement, une exposition sur van Gogh. Artaud ne serait là que comme un faire-valoir de luxe. Un beau (et incongru) « châssis » ou « passe-partout ».
D’autant que le Artaud qui nous parle de van Gogh, ce n’est pas le dandy et le beau gosse des images cinématographiques que le public peut admirer dans l’expo. C’est le Mômo des photographies de Denise Colomb, celles de la fin de la vie, de celui qui est sorti depuis peu de l’internement en asile. Et qui se trouve physiquement délabré.
L’essentiel tient maintenant au fait que l’on ne pouvait confronter de manière aussi crue et aussi brute les peintures de van Gogh (ces peintures qui font éclater la peinture de la deuxième moitié du XIXe siècle) et les dessins d’Artaud (qui appartient à un autre siècle et à une autre galaxie).
ET CEPENDANT — c’est ce que je tente dans un petit essai tout juste publié : Vincent Van Gogh Antonin Artaud, Ciné-roman, ciné-peinture. À l’arrière-plan de ces deux œuvres plastiques – on peut déceler des sources et des problématiques communes : celles du trait, de la ligne, du pointillisme, du tourbillon des formes et des rhizomes tracés par l’un et par l’autre.
Mais ce serait une autre exposition qui se dessinerait. On partirait, comme je le fais dans Ciné-roman Ciné-peinture, des tourbillons et déluges du Vinci pour aboutir à Cy Twombly et aux rhizomes de Gilles Deleuze. Dans cette expo, on montrerait les dessins de van Gogh (riches, si riches et aux techniques si diversifiées) et non pas seulement les portraits et autoportraits du Mômo, mais les dessins et graffiti des pages de Cahiers d’Artaud.
Et là : grande surprise. Tout s’encastrerait et tourbillonnerait de concert.
Merci à Lunettes rouges de m’avoir permis de revenir sur ce joli lièvre. Qui court si bien.
Blog "Les Lunettes Rouges"
Le livre "Van Gogh / Artaud : ciné-roman, ciné-peinture"
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