« Dans la vraie vie, rencontrer un ange est presque impossible. C’est pourtant loin d’être le cas. Il suffit simplement de se rappeler que cette rencontre peut avoir lieu dans des circonstances extrêmes, et surtout à des moments critiques de sa vie. Et il est en notre pouvoir de créer la situation propice à cette rencontre. »
(Ilya et Émilia Kabakov)
"Les Kabakov" travaillent depuis des décennies sur la confrontation des utopies (architecturales et idéologiques) avec la froide, implacable et dérisoire réalité sociologique. Longtemps ils vécurent derrière le rideau de fer, en Union soviétique. Ils vivent aujourd'hui aux États Unis, à Long Island.
Dans l'installation monumentale qu'ils présentent actuellement au Grand Palais, l'utopie — ses structures mentales grandioses, ses rêves, ses dessins au filigrane souvent abstrait — l'emporte et domine tout.
Le 6e pavillon de "l'étrange cité" des Kabakov nous explique "comment rencontrer un ange", cet ange qui cristallise et condense - en sa pureté et sa fragilité - toutes les utopies. Situé tout en haut, et à l'extrême pointe d'une aérienne maquette, qui n'est pas sans rappeler les architectures futuristes des soviétiques (au premier rang desquelles figurerait le fameux projet de Tatlin du Monument pour la 3e Internationale de 1919-1920), la silhouette ailée et frangée d'un ange nous invite et nous appelle : en direction d'une promenade aérée et céleste. Promenade en utopie, dans les rêves d'un homme débarrassé de toutes les pesanteurs et les absurdités sociales. Voyage en apesanteur. Dans un univers désincarné. Qui n'est plus ni le monde de l'humain. Ni le monde de l'histoire du XXe siècle ou du XXIe siècle commençant.
Bien présents, cependant, dans les autres pavillons qui tendent eux aussi, chacun à leur manière, à nous débarrasser du tragique et des lourdeurs quotidiennes les plus infinitésimales, la réalité "soviétique" des "années de plomb" est bien là. — Au travers de ces images picturales renversées et décalées, ces bribes de paysages (sortes de vedute d'un autre temps), ces chambres vides.
L'ensemble est bel et bien monumental. Il tente l'impossible jonction du vide et du plein, de la pesanteur des "années de plomb" et de l'impondérable rêverie grâce auquel l'homme, l'artiste et nous-mêmes - à la suite des Kabakov - tentons de survivre. De respirer. En happant quelques bribes de cette lumière, cette blancheur, ce vide qui entourent les pavillons clos.
Au cœur de ces pavillons, les dessins, les maquettes (poétiques, abstraites, épurées) circonscrivent eux aussi ce monde qui est celui de l'utopie. — C'est ainsi, en faisant appel aux doubles pouvoirs de l'infiniment grand (MONUMENTA) et de l'infiniment petit, du plein et du vide, du dérisoire et de la plus extrême pureté, que les Kabakov nous entraînent dans le glissando de "poupées russes" de leur extraordinaire labyrinthe.
Et alors : oui, nous montons au septième ciel.
Grand Palais. Monumenta.
Ilya et Emilia Kabakov. 10 mai-22 juin 2014
Tatlin, Monument à la 3e Internationale
(projet de 1919-1920).
"Les Kabakov" travaillent depuis des décennies sur la confrontation des utopies (architecturales et idéologiques) avec la froide, implacable et dérisoire réalité sociologique. Longtemps ils vécurent derrière le rideau de fer, en Union soviétique. Ils vivent aujourd'hui aux États Unis, à Long Island.
Dans l'installation monumentale qu'ils présentent actuellement au Grand Palais, l'utopie — ses structures mentales grandioses, ses rêves, ses dessins au filigrane souvent abstrait — l'emporte et domine tout.
Le 6e pavillon de "l'étrange cité" des Kabakov nous explique "comment rencontrer un ange", cet ange qui cristallise et condense - en sa pureté et sa fragilité - toutes les utopies. Situé tout en haut, et à l'extrême pointe d'une aérienne maquette, qui n'est pas sans rappeler les architectures futuristes des soviétiques (au premier rang desquelles figurerait le fameux projet de Tatlin du Monument pour la 3e Internationale de 1919-1920), la silhouette ailée et frangée d'un ange nous invite et nous appelle : en direction d'une promenade aérée et céleste. Promenade en utopie, dans les rêves d'un homme débarrassé de toutes les pesanteurs et les absurdités sociales. Voyage en apesanteur. Dans un univers désincarné. Qui n'est plus ni le monde de l'humain. Ni le monde de l'histoire du XXe siècle ou du XXIe siècle commençant.
Bien présents, cependant, dans les autres pavillons qui tendent eux aussi, chacun à leur manière, à nous débarrasser du tragique et des lourdeurs quotidiennes les plus infinitésimales, la réalité "soviétique" des "années de plomb" est bien là. — Au travers de ces images picturales renversées et décalées, ces bribes de paysages (sortes de vedute d'un autre temps), ces chambres vides.
L'ensemble est bel et bien monumental. Il tente l'impossible jonction du vide et du plein, de la pesanteur des "années de plomb" et de l'impondérable rêverie grâce auquel l'homme, l'artiste et nous-mêmes - à la suite des Kabakov - tentons de survivre. De respirer. En happant quelques bribes de cette lumière, cette blancheur, ce vide qui entourent les pavillons clos.
Au cœur de ces pavillons, les dessins, les maquettes (poétiques, abstraites, épurées) circonscrivent eux aussi ce monde qui est celui de l'utopie. — C'est ainsi, en faisant appel aux doubles pouvoirs de l'infiniment grand (MONUMENTA) et de l'infiniment petit, du plein et du vide, du dérisoire et de la plus extrême pureté, que les Kabakov nous entraînent dans le glissando de "poupées russes" de leur extraordinaire labyrinthe.
Et alors : oui, nous montons au septième ciel.
Grand Palais. Monumenta.
Ilya et Emilia Kabakov. 10 mai-22 juin 2014
(projet de 1919-1920).
1 commentaire:
En contrepoint - et en écho inversé - à cette exposition du Grand Palais, on ne peut manquer d'évoquer "La Cuisine communautaire" (1992) des mêmes Kabakov, exposée dans les sous-sols du Musée Maillol. Implacable reconstitution, évoquant la vie dans ces appartements communautaires qui furent si longtemps le lot des soviétiques. La promiscuité - ce mélange de proximité obligée, d'ingérence ordinaire et inéluctable dans la vie d'autrui, de mesquineries et de grandioses absurdités - y règne en maître. Comme dans cette cuisine, peuplée d'une multitude d'objets de la quotidienneté. Telles ces râpes - aux formes et gabarits multiples. Râpes d'unetelle ou d'untel. Ces bidons, ces cafetières, ces égouttoirs… Et, nous environnant dans l'espace de l'installation, le bruissement des voix des dits propriétaires des objets, toutes ces menues conversations, récriminations, commentaires : tout ce qui (dans une telle situation et un tel contexte) fait le lot des échanges humains ordinaires.
Exposée également au Musée Maillol, il y a encore cette "Porte" (Assemblage, 1972), singulier objet que Dina Vierny découvrit dans l'atelier des Kabakov, lors d'un de ses voyages en Union soviétique et qu'elle réussit à rapatrier en France de manière clandestine.
Authentique porte d'entrée d'un de ces appartements communautaires, évocation de la vie de ces parents, "La Porte" nous montre un être humain coincé entre deux portes (extérieure et intérieure) et figé ou "collé", tel un papillon, face à la porte au papier peint désuet qui est censé le mener "chez lui". Son cabas (ou filet) à la main, on comprend bien que son existence est vouée à la plus totale absurdité.
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