samedi 7 février 2015

Dictionnaire de la critique d'art à Paris. 1890-1969.

Sous la direction de Claude Schvalberg.
Presses Universitaires de Rennes, 2014.

Bien reçu par la critique actuelle (qui rêve peut-être du temps futur où un ouvrage similaire couvrira les années 1970-2010 et au-delà…), cet ouvrage est d'abord et avant tout un excellent outil pour les chercheurs, les amateurs et curieux du langage et des écrits sur l'art.

Ce dictionnaire comprend quelque six cents notices, consacrés aux auteurs qui - de Jean Adhémar et Alain à Christian Zervos et Emile Zola - se sont penchés sur les différents arts. Il se voit redoublé d'une précieuse chronologie des ouvrages qui se sont succédés sur presque 80 ans, d'un répertoire des principales séries sur l'art et monographies publiées entre 1890 et 1970, de deux index (des noms et des périodiques). — C'est assez dire que les entrées (et découvertes) y sont multiples et foisonnantes.

Tout au long des pages, on s'aperçoit de l'étonnante diversité de cette "critique d'art" où l'on trouve aussi bien des journalistes professionnels et des "échotiers", des amateurs d'art, des historiens et des philosophes, des galeristes et des conservateurs de musée ou encore des écrivains qui, tels Apollinaire, Artaud ou bien Zola, se sont enflammés pour l'œuvre d'un artiste (mort ou vivant).

Ce champ de la critique d'art est à ce point immense (et différencié) qu'il peut sembler difficile à cerner. En dehors de cette tâche et de cet objectif communs qui consistent à "écrire" sur, ou à partir, ou dans le prolongement d'une œuvre. Les méthodes et les parcours critiques sont effectivement souvent aux antipodes les uns des autres.

Quoi de commun entre le parcours d'un Kahnweiler, galeriste et marchand d'art, épris de la pensée kantienne, l'idéalisme mystique d'un Péladan et les écrits d'un van Gogh, qui meurt l'année où commence notre dictionnaire, mais dont les écrits progressivement révélés consistent en lettres adressées à ses amis, ses proches et tout particulièrement son frère Théo ? Van Gogh y envisage non seulement son œuvre en cours mais l'ensemble de l'histoire des arts, qu'il analyse de manière fort percutante.

Alors ? Il existe certes une catégorie de "critiques d'art" professionnels dont le métier et la raison d'être est de découvrir, recenser, décrire et (aussi) se prononcer sur les œuvres de l'art. Mais il en est beaucoup qui sont ou furent "critiques" d'art de manière circonstancielle et temporaire (comme Antonin Artaud qui, à peine débarqué de Marseille, recense et décrit les salons artistiques du Paris des années 1920 dans la revue du Docteur Toulouse, Demain).

On comprend que la critique d'art puisse ne pas être une simple opération de description, de recensement et de critique (au sens de louer ou bien de démolir). Ecrire sur l'art se transforme en action créative : van Gogh, le suicidé de la société (d'Artaud) est de ces textes où l'écriture produit (à son tour) une œuvre. Laquelle vient non pas compléter celle-ci (les grandes œuvres n'ont besoin de nuls compléments). Mais créer, à son tour, un monde qui se tisse dans la trajectoire d'autres œuvres et d'autres parcours.

Le même individu peut ainsi être - tour à tour - historien, conservateur, écrivain, amateur d'art, voire même philosophe, homme de théâtre… et aussi "critique d'art". D'où la grande liberté de ces écrits sur l'art, qui ne se laissent pas facilement cantonner dans un cadre précis.

Pour ce qui est de ce Dictionnaire, généreusement et magistralement orchestré par Claude Schvalberg, notons que la période concernée - 1890-1969 - ne comporte (quasiment) que des critiques mâles. - Ce qui n'est certes pas le cas des "auteur(e)s" des notices du dit ouvrage ! Et qui ne se vérifierait assurément pas dans la riche époque critique qui démarre en 1970 : les critiques femmes y seront alors nombreuses.

*Rappelons que Claude Schvalberg est libraire à Paris, à l'enseigne de la Porte étroite, rue Bonaparte, à deux pas de l'Ecole des Beaux-Arts.

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