jeudi 29 mars 2012

CORRESPONDANCE. MARCEL DUCHAMP - HENRI-PIERRE ROCHÉ. 1918-1959

Double page du livre (Duchamp et Roché)
Édition établie, préfacée et annotée
par Scarlett et Philippe Reliquet (Mamco, Genève 2012)

Si le verre devait voyager, il serait essentiel qu'il arrive en parfaite forme « pour les siècles à venir ». (Totor [MD], lettre du 7 avril 1953)

Marcel Totor (alias Marcel Duchamp, alias Rrose Sélavy) adresse entre 1918 et 1959 quelques 159 lettres, plus quelques cartes et télégrammes à son ami « Totor » (le ci-devant Henri-Pierre Roché, collectionneur, critique, courtier, ami et grand dandy devant l'éternel féminin). De ce dernier n'ont été conservées par Duchamp que trente-trois lettres couvrant la dernière période de la relation des deux hommes avant la mort de Roché en 1959.

Ces missives ont été soigneusement, méticuleusement, retranscrites, préfacées et annotées par Scarlett et Philippe Reliquet. Tout est précis, mesuré, parfait. Ce qui vient d'emblée à l'esprit est cette notion d'érudition merveilleuse qui se joue toujours de la rigueur et préciosité des détails.
D'autant que l'auteur privilégié de cette correspondance, Marcel Duchamp lui-même, s'y connaissait en jeux de langage et rotatives de précision. On découvrira ainsi au long des pages, bien de menues notations qui en disent long sur l'état d'esprit et la singulière distance que l'auteur de la Boîte en valise et des Rotoreliefs entretenait par rapport au monde, à son « œuvre » et à lui-même.

Duchamp est le plus souvent à New York, Henri-Pierre Roché à Paris. Parmi les sujets évoqués : l'œuvre en devenir de Duchamp, bien sûr, ses jeux, ses tentatives ; les amis, les relations dont on prend ou donne des nouvelles ; les parties d'échec qui accaparent une grande part de l'attention de notre Totor ; les tractations commerciales qui seront incessantes entre les deux amis qui gèrent ensemble aussi bien les "Brancusi" achetés en 1926 que les œuvres de Duchamp (Henri-Pierre Roché fut très longtemps détenteur du Petit Verre). Les multiples de la Boîte en valise font ainsi l'objet de bien des notations et tractations. Leur vente permit un temps à Duchamp de vivre et de financer ses autres œuvres.

Au fil des pages, on apprend une foule de choses délicieuses :
- comment Marcel Duchamp se fait vitrier : " je n'ai pas répondu à ta lettre, ni écrit, car je suis devenu un vitrier qui de 9 h à 7 h du soir ne pense à rien d'autre qu'à réparer du verre cassé. » (MD)
- Marcel Duchamp se présente en 1935 au Concours Lépine où il tint le stand n° 147, « entre celui d'un inventeur de machines à incinérer et à compresser les ordures et celui d'un inventeur d'épluche-légumes moderne. »
- comment la notion de « boîte de conserves » servit à désigner un moment les Boîtes en valise.
- comment il met au point à New York en 1944 un échiquier de poche, de la taille d'un portefeuille, constitué de têtes d'épingles accrochant les diverses pièces du jeu.
- que le « Cimetière des uniformes et livrées » (1913) représente une première étude des « Neuf Moules Mâlic ».
Etc. etc.

Je recommande d'ailleurs vivement de cet ouvrage une lecture hasardeuse, façon dada, avec des sauts de note en note et une manière systématique de picorer les pages dans leur diagonale.

1 commentaire:

Alain Paire a dit…

Merci d'annoncer la très bonne nouvelle de cette parution ! Je vais commander cet ouvrage inaperçu chez mon libraire et puis essayer de lire comme vous l'avez suggéré. A.P

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