samedi 10 mars 2012

RODIN : L'IMMENSITÉ DU DESSIN.

"Femme nue aux longs cheveux renversée en arrière"
©Musée Rodin.

Merveilleux dessins de Rodin. Aqueux. Sensuels. Transparents ou puissamment délinéés. Fréquemment rehaussés d'un lavis d'encre ou d'aquarelle.

Ces dessins esquissés sur le vif, sans que le modèle pose - et qui n'ont qu'un but : enregistrer cela qui ne laisse ni trace, ni empreinte -, ces dessins sont d'une saisissante modernité.

L'emploi du lavis (technique foncièrement subtile), l'usage de cernes, les silhouettes rehaussées de couleur, tout cela fait parfois songer à ces autres dessins (hautement improbables) de l'artiste allemand Joseph Beuys.

Le trait, les traits (pluriels) fonctionnent en échos, en cascades - enserrent les figures de fins lassos répétitifs. Il s'agit, dans tous les cas, d'instantanés, de la saisie d'une gestuelle impossible : le modèle bouge, a bougé, bouge encore. La ligne se démultiplie, enveloppant et développant les formes à la façon d'une coque. Rainée et si bien stratifiée.

Les postures, les attitudes sont intenables et nullement tenues. Les corps sont ployés, renversés en arcs de cercle et figures de l'instabilité. Formes acrobates qui parfois débordent le cadre initial du papier.

Ce monde du dessin est peuplé d'être bivalves et aquatiques. L'utilisation de l'aquarelle, les halos colorés (bleus, verts d'eau, rouges sang, roses ou terres de sienne) ont le goût de la chair.

Des motifs parfois. - Femmes en pyjama. Femmes à la robe bleue. Femmes Vases. L'intervention d'un motif, d'une thématique crée la série, suscite la variation. Dans le dénivelé de la moulure d'une colonnade fragmentaire, un profil, une silhouette s'inscrivent en decrescendo.

De ses dessins Rodin disait qu'ils étaient des « instantanés variant entre le grec et le japonais ». La Grèce certes on la perçoit incessamment, dans les formes mais aussi par le truchement de références et symboles mythologiques (Médée, Psyché, etc.). Mais on songe surtout ici à la délicatesse des Tanagras, à cette chair qui sent le plâtre, le réséda et la framboise écrasée.

L'utilisation de calques permet de reporter et répéter une figure en la faisant changer de contexte ; la découpe des silhouettes de papier, ensuite réassemblées et campées « autrement » sur le papier, enrichissent considérablement le système. Découpées et collées, les formes de papier laissent subsister sur leurs pourtours quelques ombres. La figure y est doublement (parfois triplement) délinéée. Elle acquiert alors un saisissant relief.

Le processus d'estompage du crayon graphite, l'utilisation de l'encre ou de l'aquarelle diluent les contours, rendent la forme incertaine. Les effets de transparence - formes lisibles au travers de la couleur - renouent avec un certain japonisme du lavis. L'histoire des arts est ainsi omniprésente dans l'approche graphique de Rodin.

On tient là un grand moment de poésie - vibratoires et tactiles, couleurs, lignes et formes vous fondent littéralement dans la bouche. Et une immense leçon de sensualité : les corps sont palpés, fouillés, retournés. Les formes y ont l'élasticité d'un gant que l'on retournerait et dont on effilerait et ferait varier les lignes à l'infini.

"La saisie du modèle. Rodin. 300 dessins (1890-1917)".
Musée Rodin. 18 novembre 2011 au 1er avril 2012.

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