mardi 6 décembre 2016

SOULÈVEMENTS. – Gestes. Intentions. Révolutions.

Gilles Caron, Manifestations anti-catholiques
à Londonderry, 1969.
© Fondation Gilles Caron/Gamma Rapho.

Soulèvements
Exposition au Musée du Jeu de Paume.
Jusqu’au 15 janvier 2017

Conçue par le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman, cette exposition est ouvertement transdisciplinaire. Il y est question d’art, d’histoire, de philosophie, de sculpture et de peinture, des traces de la vie quotidienne aussi. Le monde, la VIE sont transdisciplinaires. Il est heureux que les expositions en tiennent compte.

D’autant que – l’on s’en douterait – la thématique de cette exposition est l’une de celles qui sont TOUJOURS d’actualité. Incessamment « d’actualité ». Les individus et les peuples n’ont pas fini de se soulever.

Soulèvements donc. Révolutions. Tentative pour établir une sorte de répertoire ou de rhétorique de la gestualité du soulèvement. Et comprendre les « intentions » sises en arrière-plan.

Comme dans toute thématique très large, on peut ici ranger une multitude de gestes, de postures et d’attitudes. Sans compter une profusion de symboles. Les visiteurs ne manqueront pas d’apporter, d’ajouter d’autres œuvres, d’autres éléments à ce parcours. Cela attache le spectateur et le pousse à prolonger, perpétuer, excentrer le propos.

Le problème serait plutôt parfois dans la congruence du TOUT. La grande richesse des « documents », leur diversité, amènent certaines questions. Parmi tous ces « soulèvements » - du pied, du bras ou du poignet, du drapeau, de la pierre tombale (Goya) ou du marteau, ou celle – plus métaphorique - du sac en plastique rouge sur fond de ciel bleu -, il en est dont on se demande comment ils fonctionnent.

La poussière ainsi de "l’Élevage de poussière" (Photographiée par Man Ray dans l’Atelier de Marcel Duchamp), cette poussière-là (cette matière) est retombée depuis bien longtemps ; elle est là en état de concrétion et bien plus proche d’un état de fossilisation que d’un quelconque soulèvement…

Le rapprochement de même entre Nietzsche, « le Philosophe au marteau » et le « marteau » d’Antonin Artaud (un piolet de montagne en réalité, qui lui fut donné par un de ses amis) soulève quelques questions. Dans les deux cas, certes, il est question d’énergie, de « frappe » et de destruction. L’objet fut, pour le poète, inséparable du billot de bois dont la destruction et attaque méthodique lui permettait de scander, de rythmer les onomatopées de ses mélopées et de ses textes. Sa fonction était gestuelle et musicale et sans doute assez peu métaphorique. Notons d’ailleurs que le piolet d’Artaud s’est brisé : il n’a pas résisté à la poussée énergétique de la gestuelle mise en branle par le poète.

Artaud est – certes – un rebelle et un SOULEVÉ D’ORIGINE. Mais il y aurait eu bien d’autres exemples plus pertinents de ces soulèvements dont sa vie fut incessamment ponctuée. Des révoltes surréalistes à son jeu dans les films de guerre qu’il a tournés (des Croix de bois au Napoléon d’Abel Gance), du soubresaut clonique (et en arc de cercle) de la séance d’électrochoc à ces dessins érigés et dressés comme des totems sur la page de ses cahiers.

Didi-Huberman s’attaque ici à un système de rhétorique gestuel et aussi mental (ce qui complique la donne). Le système idéologique qui traverse son parcours est celui de la RÉVOLUTION, celui d’un peuple (ou d’un individu) qui se soulève – physiquement et moralement. La nature y est associée, en une sorte de biologisme triomphant. On songe ici à ces "forces artistes" dont parle Nietzsche dans La Naissance de la tragédie et Le Livre du philosophe.

Mais – en face du peuple, du rebelle et du peuple, n’y-a-t-il « aucun » soulèvement ? L’histoire de la montée du fascisme entre les deux guerres de 1914 et 1939 – par exemple – est-il étranger à toute forme de soulèvement (physique ou idéologique). Il ne le semble pas… Pourquoi donc n’en avoir pas traité ? C’est pourtant là une question cruciale. – Que faire effectivement des "RÉVOLUTIONS DE DROITE" ? Ou de ce qui se présente comme tel ? Et l’on sait bien que les événements récents illustrent magistralement ce propos.

Un geste, une attitude sont-ils - par ailleurs - lisibles en dehors de leur contexte ? Le recadrage ainsi (pour les besoins de la couverture du catalogue) de la photographie de Gilles Caron est plein de sens. La couverture du catalogue fait d’abord songer à ces sortes de gestes légers que l’on esquisse fréquemment dans la vie quotidienne. À une danse ordinaire. La vision du cliché de Gilles Caron dans son intégralité est tout autre : des éléments complémentaires assoient le sens de l’image. On comprend bien que l’on est au cœur d’une émeute.

La dimension sexuelle – ou phallique - du soulèvement ne semble pas d’avantage traitée, si ce n’est dans le catalogue sous la forme d’un appel assez générique (le désir) à Freud. Mais comment cela fonctionne-t-il sur le plan des œuvres et des images ?

À poursuivre et amplifier donc. Mais c’est là le jeu auquel nous invite une exposition. – Les Éditions Larousse avaient publié naguère une sorte d’encyclopédie (ou de dictionnaire) de la rébellion et du soulèvement (politique mais aussi artistique) assurément beaucoup plus complète, pour ce qui concerne en tout cas l’époque moderne. Intitulé Le siècle rebelle et illustré, cet ouvrage apparaît comme un contrepoint essentiel à l’exposition du Jeu de Paume.

Cette exposition appelle ainsi la pensée, la discussion, la remise en question. Gageons pour le reste que notre philosophe (et commissaire d’exposition) se trouve actuellement en état de lévitation. « SOULEVÉ », SUSPENDU. Quelque part entre la place de la Concorde et la Pyramide de Pei. Et que – depuis son nuage en forme de drapeau, de ballon, de ludion ou de feuille morte – il surveille le devenir de son exposition et les menus soubresauts de ce lait qui bout sur un feu qu’il a lui-même allumé…

Lien vers l'exposition

Lien Artaud dans la guerre

Lien vers Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle

© Dennis Adams, Patriot, Série Airborne 2002.

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