Artistes chinois à la Fondation Louis Vuitton
Exposition et accrochage.
Du 27 janvier au 29 août 2016.
Ma découverte de l’art contemporain chinois remonte à deux périples "chinois" effectués en 2002 et 2005. – Les différentes strates culturelles de toutes les époques se sont alors mêlées en un excitant et merveilleux chaos.
La chine était (et restera) un gigantesque chantier, mêlant les expériences (humaines, artistiques et politiques) les plus contradictoires. Enseveli, tabou, le passé resurgissait par tous les pores de la réalité.
En 2002, l’art contemporain chinois émergeait, renforçait ses premières lignes de crête. Les artistes alors rencontrés me dirent pour la plupart vouloir être reconnus et considérés comme « artistes internationaux ». Et non comme des « curiosités artistiques chinoises ».
Plus de dix ans après, la donne a beaucoup changé. Les artistes « chinois » n’hésitent plus à se revendiquer comme tels et il y a bel et bien un art contemporain chinois. Internationalement reconnu et qui dispose – dans l’immense Chine – de sérieux supports et relais : mécènes, collectionneurs, foires, galeries et maisons de vente. Sans compter ces gigantesques ateliers d’artistes où œuvrent des bataillons d’assistants et de petites mains. Toute une part de l’art contemporain chinois comporte ainsi – à l’image de L’Empire du Milieu – une dimension pharaonique.
Les jeunes artistes ne se sentent plus obligatoirement tiraillés entre les pôles d’une double appartenance : mouvance internationale, d’un côté, contexte culturel chinois (passé et présent) de l’autre. La nouvelle génération est entrée de plain-pied dans la modernité ; la génération d’avant a renoué avec ses racines.
Plutôt que de passer en revue les différents artistes actuellement présents à La Fondation Vuitton, portons notre attention sur l'un d'eux, un des grands noms de l’art chinois de ces dernières années : Zhang Huan, né en 1965 dans le Henan, connu dans les années 1990 pour ses actions et performances de
body art. Il y dévoilait un « corps humain » soumis à un sens exacerbé de la cruauté. Zhang Huan passe ensuite 8 ans à New York ; il s’y découvre « chinois », réintègre la Chine et s’installe dans une série d’ateliers près de Shanghai.
Parmi les « nouveaux matériaux » de son art, il nous faut citer « la cendre ». Matériau « ancien », « archaïque » même, utilisée par lui sous la forme de ces résidus d’encens qui abondent dans les temples. – Massivement récupéré, ce matériau fournit la base technique de gigantesques peintures d’histoires.
Pour réaliser la peinture de ses gris si particuliers, Francis Bacon récupérait la poussière de son atelier. Zhang Huan, lui, récupère la poudre, la cendre de ces bâtonnets d’encens qui ont commencé par se consumer lentement dans les temples au cours de rituels imprégnés de signification.
Peindre (et sculpter) avec de la cendre d’encens n’est pas anodin. Ce matériau, familier mais plastiquement insolite, amène Zhang Huan à se réapproprier tout un pan de l'histoire spirituelle de la Chine.
Les toiles réalisées sont immenses. Porteuses non seulement des strates accumulées de cette fine poussière, mais aussi des strates politiques et culturelles de la mémoire chinoise. Telle la construction du Grand Canal, en 1958-1960, au moment où les réformes agraires voulues par Mao Zedong entraînent une des grandes famines de l'histoire chinoise (
Great Leap forward, 2007). Ou la Place Tian Anmen le jour de la célébration des dix ans de la fondation par Mao Zedong de la République Populaire de Chine (
National Day, 2009).
La cendre donne assurément à ces commémorations picturales une saveur et une atmosphère très spéciales. Cette étrangeté se retrouve - intacte - dans l'autoportrait sculpté - et fracturé - de l'artiste (
Sudden Awakening, 2006).
Site de la Fondation Louis Vuitton
Zhang Huan, Great Leap forward,
2007 (détail). Photo © FDM 2016.