pour l'art contemporain (Paris).
2 juillet 2016 - 8 janvier 2017.
"… une musique extrêmement appuyée, ânonnante et fragile, où l'on semble broyer les métaux les plus précieux, où se déchaînent comme à l'état naturel des sources d'eau, des marches agrandies de kyrielles d'insectes à travers les plantes, où l'on croit voir capté le bruit même de la lumière, où les bruits des solitudes épaisses semblent se réduire en vols de cristaux…" (Antonin Artaud, Œuvres complètes, IV-71)
Je me souviens encore de cette toute première nuit passée, en mai 1982, dans la forêt équatoriale gabonaise. - Nous avions cru naïvement nous retrouver dans un silence épais, et comme "à couper au couteau". Rien de tel. Nous nous sommes retrouvés brutalement plongés au sein d'une bruyante cacophonie. Des sons multiples, des cris, des voix, des grognements et hululements entouraient la cabane où nous nous trouvions. Sons d'autant plus inquiétants que nous ne disposions pas alors des codes nous permettant d'identifier et d'isoler la source de ces sons.
Le GRAND ORCHESTRE DES ANIMAUX, auquel nous convie aujourd'hui la Fondation Cartier, nous offre - en une magnifique scénographie - tous les moyens pour maîtriser et jouir pleinement des sons animaux de la planète. Terres, ciels, mers, déserts, plaines, océans ou ruisseaux nous abreuvent de trilles, de chants, de hululements ou de grognements sourds.
Enregistrée au fil des ans par Bernie Krause dans sept lieux naturels spécifiques, la matière sonore des mondes animaux est présenté au sein d'un dispositif scénique qui allie le son à sa transcription visuelle. La contemplation des "sonogrammes" colorés qui défilent sous nos yeux, au fur et à mesure qu'apparaissent les noms des animaux qui s'expriment en divers sons ou borborygmes (geai, grenouille, coyote, loup, pivert, baleine, insecte ou grand goéland), cette contemplation est magique.
Nous voyons surgir et se mêler différentes hauteurs et intensités de sons. Des gratte-ciels surgissent, des tours et des montagnes. Un ensemble de paysages aussi finement architecturés que la musique qui les engendre. Chaque mammifère, oiseau ou animalcule devient alors identifiable. Repérable au graphisme (et au son) qu'il trace dans le temps et l'espace de l'installation.
En fermant les yeux nous pénétrons plus avant au cœur de la matière sonore, plongeons au cœur des océans, nous retrouvons sur des cimes élevées ou disparaissons dans l'infiniment petit des vibrations du monde des insectes, ou dans l'ensemble des ondes générées par les "poussières" et les animalcules de l'infiniment petit du monde animal.
Une installation conjointe de Shiro Takatani orchestre et rend ainsi visible (aussi bien qu'audible) l'univers du plancton… On le comprend, ces installations sont polyvalentes. Les travaux de "Biophonie" de Bernie Krause ou d'autres chercheurs sont joués, interprétés et mis en scène par des artistes et des musiciens. La mise en œuvre du projet fut largement collective.
Le résultat est magique, qui nous introduit dans la subtilité et les méandres d'univers sonores très variés. À chaque espèce animale correspondent un cri, un chant, un bruit de gorge ou un grognement particulier ; ce sont ces spécificités qui ont jusqu'ici été étudiées. Bernie Krause va plus loin en suggérant qu'au cœur d'un biotope donné, les différentes espèces animales qui fréquentent ce lieu trouvent chacune leur place dans une orchestration commune. Chaque espèce aurait sa fonction sonore au sein d'un ensemble ; aucune ne se substitue aux autres ; elles ne se gêneraient pas mutuellement.
Ceci ne supprimerait pas pour autant l'expression de certaines singularités animales, comme ce "son singulier d'un corbeau du parc Algonquin du Canada", qu'évoque encore Bernie Krause. - Olivier Messiaen (1908-1992) avait beaucoup appris du chant des oiseaux. C'est un impressionnant ensemble d'espèces animales qui s'adresse aujourd'hui à nous.
Courrons donc à la Fondation Cartier, nous baigner tout l'été d'ondes, de coassements, de gloussements et de trilles… Et pour ceux qui souhaiteraient suivre l'aventure de loin, le site de la Fondation offre la possibilité d'une écoute diversifiée, puisque - en quelques clics - on peut passer d'une "écoute globale" à l'écoute spécifique d'un seul animal - insecte, poisson ou mammifère marin… pour revenir ensuite à la symphonie d'ensemble…
Le Grand Orchestre des Animaux à la Fondation Cartier
Le Grand Orchestre des Animaux. (2016).
Photo © FDM