Juillet 1890, Auvers-Sur-Oise (Photo DR).
LES DERNIERS MOIS.
Musée d’ORSAY (Paris).
Du 3 octobre 2023 au 4 février 2024.
L’essentiel ici se joue au niveau des couleurs. Les dominantes y sont le BLEU, le VERT, le BLANC. Bleu des ciels nuageux, pluvieux ou tourmentés de l’Oise. Bleu d’améthyste. Bleu franc d’éclaircies. Bleu des « entre-deux », lorsque se succèdent la pluie, le soleil, les averses, les ondées, l’orage.
Le VERT n’y est plus celui (soutenu, franc) du café d’Arles. Il y est réséda, céladon, trempé de blanc. Assourdi et si pur qu’il en fond dans la bouche. Vert des blés tendres, des bosquets aux boucles feuillues, agitées. En virgules. En vrilles. En escarmouches. En spirales. Le bleu et le vert : voici une nouvelle paire de contraires qui, sur la palette, se sont renouvelés.
Cette nouvelle science de la couleur repose désormais sur l’utilisation massive du blanc. Ce blanc crémeux s’infiltre partout dans le paysage, allège et intensifie le mouvement tourbillonnant de la lumière. Dans le ciel d’abord, où roulent et se meuvent les nuages. Ces nuages des ciels de l’Oise. Et l’on a des tourbillons, des vagues de blancheurs, des tournoiements neigeux.
Le blanc (d’argent ou bien de zinc) se transmue en blanc de lait ou bien « d’ivoire » . Il fait désormais partie intégrante de la palette de van Gogh, se mélange aux autres couleurs, se mêle aux verts, aux bleus, mais aussi au jaune. Les divers jaunes, des blés, des prés, sont eux-mêmes tendrement éclaircis de cette lueur qu’apporte une touche de blanc crayeux. Les meules n’y sont plus éclatantes comme celles du pays d’Arles. Ces meules se sont adoucies. Le paysage est d’or blanc. D’un or fin et délicat, ciselé dans la blancheur.
Ces couleurs assourdies font chanter (par contraste) les autres couleurs : les rouges, les roses, les carmins, orangés et violacés : couleurs des massifs, des bouquets…
Ces couleurs épousent le mouvement du vent. Les arbres, les végétaux y sont des flammèches, des torches de verdures, des boucles et des chevelures. Et l’on a des vagues, des rouleaux, des frémissements. Comme si la mer n’était pas loin. Van Gogh, dans toute sa vie, n’aura cessé de peindre des vagues, des remous.
Tout cela est affaire de peinture, de dessin, de calligraphie, enrobés dans une sorte de tendre japonisme… celui des estampes et des rouleaux peints. Le format même du panoramique ou « double carré », utilisé alors assez systématiquement dans un certain nombre de toiles, entraîne le spectateur dans un double processus d’immersion et de déroulement, de parcours du regard.
Une toile m’a enchantée, qui représente un Paysage sous la pluie. Le tableau y est rayé, divisé et cloisonné, en une sorte de paravent aux plans multiples. De manière certes fort discrète. Mais le paysage en ressort disloqué. Recomposé. Reconstruit. Transformé en une multitude de facettes, de « points de vue ». On songe à ces estampes japonaises toutes zébrés par les traits rageurs d’une pluie fine.
Au crépuscule, toutefois, de sourdes et puissantes couleurs réintègrent, dans les toiles d’Auvers, les champs d’orgue de la période arlésienne. Le Champ de blé aux corbeaux est de ces paysages aux accents orageux.
Je me dis - finalement - qu’il faudrait imaginer van Gogh peignant la mer. Ses écheveaux, ses bourrasques, ses plis et replis, l’immensité de ses vagues et vaguelettes et jusqu’à ce réseau insensé de mouvements et d’orientations contraires.
La mer et le ciel, le bleu et le blanc. L’un et l’une dans l’autre. Le gris et le vert, l’huître et le coquillage. Et cette masse blanche - l’écume des champs, des nuages - qui vient et revient, part et repart…
l'exposition Van Gogh à Auvers-sur-Oise.
Bibliographie:
Catalogue du Musée : Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Paris, Co-édition Hazan et le Musée d’Orsay, 2023.
Florence de Mèredieu, Van Gogh, l’Argent, l’or, le cuivre, la couleur, Paris, Blusson, 2012 ;
Vincent van Gogh / Antonin Artaud, Ciné-roman, Ciné-peinture, Paris, Blusson, 2014