mardi 18 mai 2010

ARTAUD, VAN GOGH, JOEY STARR ET LA CONTRE-CULTURE.

« Cette lecture a eu lieu ce soir vendredi 18 juillet 1947 et parfois j'y ai comme frôlé l'ouverture de mon ton de cœur.
Il m'aurait fallu chier le sang par le nombril pour arriver à ce que je veux.
3/4 d'heure de frappe avec le tisonnier sur le même point, par exemple en buvant de temps en temps. »
(Antonin Artaud, Quarto-1548)

L'existence posthume d'un poète maudit regorge d'aventures, d'avatars et de rebondissements. Mai 68 déjà avait pris pour oriflamme les propos enfiévrés et l'anarchisme du Mômo. Le Butô, danse des ténèbres surgie au Japon dans le sillage de la deuxième guerre mondiale et de la catastrophe d'Hiroshima, s'était reconnu dans la gestuelle et les postures déjantées d'Artaud.

Figure emblématique du Rap, Joey Starr trouve lui aussi sur son parcours les œuvres du Mômo. L'anarchisme radical du poète, la fulgurance de ses écrits sur Van Gogh, la diction si particulière de Pour en finir avec le Jugement de dieu, tout cela entre en résonance (de façon certes disjointe et décalée, mais de manière forte) avec la propre vie et l'œuvre du rappeur.

Antonin Artaud et Joey Starr (alias Didier Morville) ont évolué dans des contextes culturels et sociaux très différents. Enfant des banlieues au parcours chaotique, Joey Starr est aujourd'hui un rappeur reconnu. Issu de la moyenne bourgeoisie marseillaise, choyé dans son enfance, élevé dans une bonne institution catholique, Antonin Artaud fréquente ensuite la fine fleur du milieu littéraire, théâtral et cinématographique des années 1920-1930 : le surréalisme, la N.R.F., Dullin, Jouvet, Pitoeff, Carl Dreyer, Abel Gance, André Gide, etc.

À la pointe de tous les courants avant-gardistes, le Mômo reste toutefois en marge de toutes les institutions. Ce qui l'exclut de fait de la société et le conduit peu à peu dans les arcanes de la dérive asilaire. 9 années d'internement psychiatrique marqueront d'une indélébile empreinte son parcours.

Artaud, Van Gogh et Joey Starr sont-ils de semblables « suicidés de la société » ? Évidemment non ! Et l'on perçoit, à l'écoute de l'interview qu'Arte lui a consacrée, que Joey Starr en est parfaitement conscient.

Ils se rejoignent dans un certain sens de l'écorchure et le franchissement des limites que la société impose à ses membres. Ils partagent encore certaines affinités, rythmiques, musicales, vocales.

Certains textes d'Artaud, ses glossolalies ainsi que les scansions brutales de ses derniers écrits sont assurément faits pour être rythmés, rappés, hurlés.

Le Mômo ne scandait-il pas ses poèmes à haute voix en martelant frénétiquement un billot de bois !

À quand donc un texte d'Artaud rappé, hurlé, chanté et modulé par Joey Starr ?

« Il y avait du fulminate
du volcan mûr,
de la pierre de transe,
de la patience,
du bubon,
de la tumeur cuite,
de l'escharre d'écorché
. »
(Antonin Artaud, Sur Van Gogh...)

Joey Starr dans Giordano Hebdo

Livre : Antonin Artaud, Portraits et Gris-Gris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire