(Blusson). Dessin de Georg Baselitz, linogravure, 1982.
Le suicidé de la société
Musée d’Orsay. 11 mars-6 juillet 2014
« Il y a dans l’électrochoc un état chute,
une espèce d’abandon en flaque
par lequel passe tout électrisé […].
J’y suis tombé et ne l’oublierai pas.
Le Bardo est cette désintégration infernale, cette espèce de
moléculation souffle après souffle du râle,
que l’agonie donne à chaque mourant et que l’électrochoc impose au vivant. »
(Antonin Artaud, Œuvres complètes-XII-217)
une espèce d’abandon en flaque
par lequel passe tout électrisé […].
J’y suis tombé et ne l’oublierai pas.
Le Bardo est cette désintégration infernale, cette espèce de
moléculation souffle après souffle du râle,
que l’agonie donne à chaque mourant et que l’électrochoc impose au vivant. »
(Antonin Artaud, Œuvres complètes-XII-217)
Les grandes expositions génèrent un flot considérable de clichés, de formules toutes faites, reprises à satiété et en dehors de tout contexte. Trouver la formule CHOC, celle qui est censée MARQUER un auditoire. Et placer – bien sûr — son utilisateur en « tête de gondole », dans le référencement de tête d’Internet. Cela est aujourd’hui le lot commun de tout internaute. Le Critique du Monde échappe-t-il à cette règle ?
Comment le public reçoit-il l’utilisation de cette formule bien malheureuse du vocabulaire courant ? Recevoir un électrochoc, dit-on couramment, ce serait bondir, sursauter, se réveiller… Serait-ce là, si je comprends bien, le sens de la formule que Philippe Dagen donne à son papier au titre éloquent du 14 mars dernier, « Van Gogh-Artaud, l’électrochoc », (Voir dans Le Monde) ?
Mais qu’on ne s’y trompe pas, la réalité médicale et psychique des électrochocs RÉELS est bien différente. Celui-ci, comme son nom l’indique, produit bien un choc (électrique). Mais le résultat cherché est l’obtention d’un coma de courte durée, d’un sommeil, d’une « perte de conscience », d’où l’individu émerge généralement le cerveau très « enbrumé ». Avec des pertes de mémoire, des troubles du langage, de l’attention, etc.
On imagine donc le public du Musée d’Orsay – tout ce beau monde qui défile aujourd’hui (religieusement ou non) devant les toiles de Van Gogh et les dessins du Mômo — hébété à la suite du « CHOC » escompté. - Secoué de soubresauts, perdant tout repère, tombant dans un sommeil agité et incapable désormais de réagir à ces toiles et ces dessins qu’il ne peut plus voir.
La réalité de l’électrochoc est AUTRE. Et bien plus terrible que ce que les usages détournés du terme laissent entendre. — L’électrochoc ayant joué – dans le CAS d’Antonin Artaud – un rôle fondamental en ce qui concerne son STATUT de « Suicidé de la société* », il convenait de le rappeler.
* Ce terme de « suicidé » n’est d’ailleurs nullement innocent, puisqu’à l’époque où Artaud reçoit ses premiers électrochocs, et dans l’hôpital même où il est interné en 1942 (Ville-Évrard), les médecins reconnaîtront explicitement avoir eu « des morts » à la suite du traitement. (Cf. l’ouvrage de Lapipe et Rondepierre, Contribution à l’étude physique, physiologique et clinique de L’Électrochoc, Librairie Maloine, 1943, ouvrage abondamment cité dans mon livre, Sur l’électrochoc, le Cas Antonin Artaud, Blusson, 1996).
Artaud vivra l’électrochoc à la façon d’un viol et d’un meurtre – ce meurtre qui fait de lui un « suicidé de la société ».
« L’électrochoc, Mr Latrémolière*, me désespère, il m’enlève la mémoire, il engourdit ma pensée et mon cœur et fait de moi un absent qui se connaît absent et se voit pendant des semaines à la poursuite de son être, comme un mort à côté d’un vivant qui n’est plus lui, qui exige sa venue et chez qui il ne peut plus entrer. » (Artaud, Œuvres complètes, XI-13)
* Le Dr Lamémolière, médecin qui lui administre les électrochocs à l’asile de Rodez.
Sur l'électrochoc : le cas Antonin Artaud
Comment le public reçoit-il l’utilisation de cette formule bien malheureuse du vocabulaire courant ? Recevoir un électrochoc, dit-on couramment, ce serait bondir, sursauter, se réveiller… Serait-ce là, si je comprends bien, le sens de la formule que Philippe Dagen donne à son papier au titre éloquent du 14 mars dernier, « Van Gogh-Artaud, l’électrochoc », (Voir dans Le Monde) ?
Mais qu’on ne s’y trompe pas, la réalité médicale et psychique des électrochocs RÉELS est bien différente. Celui-ci, comme son nom l’indique, produit bien un choc (électrique). Mais le résultat cherché est l’obtention d’un coma de courte durée, d’un sommeil, d’une « perte de conscience », d’où l’individu émerge généralement le cerveau très « enbrumé ». Avec des pertes de mémoire, des troubles du langage, de l’attention, etc.
On imagine donc le public du Musée d’Orsay – tout ce beau monde qui défile aujourd’hui (religieusement ou non) devant les toiles de Van Gogh et les dessins du Mômo — hébété à la suite du « CHOC » escompté. - Secoué de soubresauts, perdant tout repère, tombant dans un sommeil agité et incapable désormais de réagir à ces toiles et ces dessins qu’il ne peut plus voir.
La réalité de l’électrochoc est AUTRE. Et bien plus terrible que ce que les usages détournés du terme laissent entendre. — L’électrochoc ayant joué – dans le CAS d’Antonin Artaud – un rôle fondamental en ce qui concerne son STATUT de « Suicidé de la société* », il convenait de le rappeler.
* Ce terme de « suicidé » n’est d’ailleurs nullement innocent, puisqu’à l’époque où Artaud reçoit ses premiers électrochocs, et dans l’hôpital même où il est interné en 1942 (Ville-Évrard), les médecins reconnaîtront explicitement avoir eu « des morts » à la suite du traitement. (Cf. l’ouvrage de Lapipe et Rondepierre, Contribution à l’étude physique, physiologique et clinique de L’Électrochoc, Librairie Maloine, 1943, ouvrage abondamment cité dans mon livre, Sur l’électrochoc, le Cas Antonin Artaud, Blusson, 1996).
Artaud vivra l’électrochoc à la façon d’un viol et d’un meurtre – ce meurtre qui fait de lui un « suicidé de la société ».
« L’électrochoc, Mr Latrémolière*, me désespère, il m’enlève la mémoire, il engourdit ma pensée et mon cœur et fait de moi un absent qui se connaît absent et se voit pendant des semaines à la poursuite de son être, comme un mort à côté d’un vivant qui n’est plus lui, qui exige sa venue et chez qui il ne peut plus entrer. » (Artaud, Œuvres complètes, XI-13)
* Le Dr Lamémolière, médecin qui lui administre les électrochocs à l’asile de Rodez.
Sur l'électrochoc : le cas Antonin Artaud