Décembre 2014.
"… j'ai eu l'idée de faire danser de la poussière. Il s'agit de briser, d'atomiser les danseurs. Mais la danse reste là. Les mouvements, les pirouettes, les figures les plus traditionnelles de la danse sont exprimés à travers la poussière." (Romeo Castellucci, Entretien, mars 2014)
La poussière est entrée depuis longtemps dans le grand arsenal des arts plastiques. De l'élevage de poussière sur le Verre de Marcel Duchamp (photographié par Man Ray) au réemploi par Francis Bacon de la poussière de son atelier dans la palette (infinie) de ses gris, la poussière - cette matière sournoise, impondérable, et qui se décline en de multiples grains et coloris - a acquis droit de cité dans le champ de l'art moderne.
Transgressant les frontières et les genres, il revenait à Romeo Castellucci de révéler l'essentiel de la puissance théâtrale de la poussière. De sa grâce chorégraphique. - Le puissant dispositif mécanique imaginé par notre metteur en scène pulse, crache, éjecte, tisse, tresse, emmêle ou (tout simplement) laisse couler cette poussière d'os calcinés dont il s'empare ici comme du plus symbolique et du plus esthétique des matériaux.
Nous autres, visiteurs et récepteurs de l'œuvre, demeurons à l'abri derrière la rigide paroi transparente qui nous isole de la scène, du chœur, de l'abattoir et machinerie où tout se joue. Les tubes et orifices du dispositif crachent des projections de poussière comme encrées de noir, laissent filer de blanches ondulations, enlacent de longs rubans de matière fine…
Le danseur, l'humain a disparu… Il n'est plus là que par le truchement de ces pas, ces rythmes, ces entrelacs et vibrations d'une matière qui se délite ou se renforce au gré de la musique d'Igor Stravinsky, de l'électricité dégagée par les sons, les dissonnances, les stridences…. du Sacre du printemps (1913).
Castellucci pulvérise la scène théâtrale, entraîne la dissolution de toute chorégraphie. Le théâtre, la danse entrent dans le jeu de la PERFORMANCE, de l'aléa, certes programmé mais dont la grâce et la folle précision évoquent les esquisses de la peinture chinoise soufflée, pulvérisée… crachée sur un support.
Castellucci nous introduit au cœur d'une bulle. Graphique, atomique, pulvérisée.
La deuxième partie de l'œuvre - qui fait intervenir des humains en combinaisons étanches, à la façon de fossoyeurs de l'ère atomique - est presque de trop qui nous ramène à la réalité (fantômale certes, mais "insistante") de l'atome, de la calcination (fine, si fine) d'une poudre d'os animale qui rappelle d'autres abattoirs et d'autres calcinations (humaines celles-là). - Mais nous le savions, nous l'avions compris dès les premières "images" ou "presque images" ou filigranes de ce spectacle qui franchit toutes les limites du genre. - De Nijinski et des figures initiales, il ne reste que de la poudre d'os…
Cette danse de très fines particules est une danse de vie et de mort, un macabre fertilisant. C'est le Sacre du printemps. De ces printemps du monde qui n'en finissent pas de succéder à la mort des longs hivers - naturels, saisonniers, mais aussi (et sans doute au premier chef) historiques et sociologiques.
Entretien avec Castellucci
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