Rares sont les grandes expositions de sculpture, celles qui couvrent un champ historique significatif, celles qui ouvrent des voies critiques neuves, tout en dégageant de puissantes impressions sensorielles.
L'exposition "Oublier Rodin ? La sculpture à Paris, 1905-1914" est de celles-là. - Disons-le, on oublie vite le puissant et incontestable modèle que fut Rodin. Tant paraissent puissantes et inventives les formes que prend la sculpture européenne entre 1905 et 1914.
Il s'agit d'une époque-charnière. L'art moderne y est en gestation et s'exprime ici au niveau des formes comme au niveau du traitement des matières.
Je m'attarderai sur ce seul aspect des matériaux : marbres, bronzes, ciments diversement patinés, pierres. Matériaux qu'il faut ici, en chaque cas, décliner au pluriel tant sont riches et diversifiés les aspects qu'ils peuvent revêtir.
D'où une prodigieuse leçon de sensualité. Il est des marbres laiteux, crayeux, d'autres transparents et parfois proches de l'albâtre. Des bronzes dorés, vert-de-gris ou presque noirs. Des pierres granulées, d'autres polies et comme soyeuses. Sans même y passer la main, on devine à l'œil le grain de la caresse possible et la courbe appuyée de tous les arrondis.
Beaucoup des sculpteurs ici présentés seront par le public à découvrir et redécouvrir : Pompon, Maillol, Bourdelle, Joseph Bernard, Brancusi, Gargallo, Archipenko, etc.
À mettre à part, Wilhelm Lehmbruck, sculpteur allemand ici omniprésent, et dont il est si rare de voir les œuvres. Il fut le sculpteur favori de Joseph Beuys. Ses sculptures longilignes (qui évoquent parfois le futur Giacometti) reposent fréquemment sur une cassure, sur la dichotomie d'un corps déjà géométrisé et d'une tête qui, elle, est en rupture d'avec le bloc sculpté. - La tête tourne ou se retourne, songe et se perçoit d'emblée comme DÉ-CALÉE.
Alors, courez vite au musée d'Orsay : l'exposition dure jusqu'au 31 mai.