"... j'avais, bien que désincarné, une sensibilité organique, celle de mon corps au-dessous de moi dont je n'étais pas détaché et qui me rappela.
Or on a sa conscience dans son corps et non ailleurs." (Antonin Artaud)
Lors d'un débat sur la vie du poète, un spectateur un jour m'a demandé ce qu'il en était, de son vivant, des éventuelles relations d'Antonin Artaud avec Bertolt Brecht. J'avais été alors quelque peu désarçonnée.
Artaud effectivement ne fait jamais aucune allusion à Brecht. Rien ne semble montrer qu'il l'ait rencontré lors des séjours successifs qu'il a effectué à Berlin entre 1930 et 1932. Il ne semble pas avoir connu les recherches du metteur en scène allemand.
Seul lien, mais il est ténu : le tournage, à Berlin, avec Pabst (à l'automne 1931) de cet Opéra de Quat'sous (écrit et monté par Brecht en 1928). Artaud y campe un petit rôle. Brecht avait participé dans ses débuts à l'élaboration du scénario du film. Mais des divergences de vue étaient vite apparues entre lui et Pabst. Loin donc d'être un lien entre Artaud et Brecht, Pabst dut plutôt constituer un écran entre les deux hommes.
En 1932, Brecht monte "La Mère". Artaud (qui séjourne à Berlin en avril-mai 1932) eut-il l'occasion de voir la pièce ? Des échos lui en parvinrent-ils ? Nous n'avons sur ce point aucune information. Il ne semble pas que Brecht ait jamais, de son côté, évoqué une quelconque rencontre avec l'auteur du Théâtre Alfred Jarry.
Les deux hommes sont connus pour leurs divergences théoriques. On a coutume d'opposer (sans doute un peu rapidement) la théorie brechtienne de la "distanciation" à cet autre point de vue que défend l'auteur du théâtre de la cruauté, de totale "participation" de l'acteur et du spectateur à ce qu'ils vivent par le truchement de la scène.
Cette radicale opposition serait à nuancer. Ce sentiment d'"étrangeté" que Brecht souhaite maintenir - sous forme d'une "distance" diamétralement instaurée entre l'homme et ce qu'il éprouve - Artaud le vit bien, mais de l'intérieur. Artaud habite l'étrangeté.
La forme de "mystique" théâtrale et païenne qu'Artaud développe dans les années 1923-1935 se complète, à partir des années d'asile, d'une forme de conscience suraiguë qui appelle dissociation, distanciation, dédoublement. Ces processus sont d'ailleurs constamment à l'œuvre chez Artaud. Il n'y aurait, sur ce point, qu'à relire les Lettres à Jacques Rivière.
Son passage (entre 1937 et 1946) par les asiles d'aliénés, le fait d'avoir à supporter des traitements psychiatriques lourds comme l'électrochoc, tout cela l'amènera à développer une tout autre conception du théâtre. Autour de 1939-1945, le Mômo brûle toujours, mais sur le bûcher de l'asile.
Une forêt de doubles l'accompagne désormais, qui le regardent brûler... Telle cette figure qu'il décrit, cette forme de lui-même qui l'observe du fin fond de ce qu'il nomme "le Bardo de l'électrochoc".
Or on a sa conscience dans son corps et non ailleurs." (Antonin Artaud)
Lors d'un débat sur la vie du poète, un spectateur un jour m'a demandé ce qu'il en était, de son vivant, des éventuelles relations d'Antonin Artaud avec Bertolt Brecht. J'avais été alors quelque peu désarçonnée.
Artaud effectivement ne fait jamais aucune allusion à Brecht. Rien ne semble montrer qu'il l'ait rencontré lors des séjours successifs qu'il a effectué à Berlin entre 1930 et 1932. Il ne semble pas avoir connu les recherches du metteur en scène allemand.
Seul lien, mais il est ténu : le tournage, à Berlin, avec Pabst (à l'automne 1931) de cet Opéra de Quat'sous (écrit et monté par Brecht en 1928). Artaud y campe un petit rôle. Brecht avait participé dans ses débuts à l'élaboration du scénario du film. Mais des divergences de vue étaient vite apparues entre lui et Pabst. Loin donc d'être un lien entre Artaud et Brecht, Pabst dut plutôt constituer un écran entre les deux hommes.
En 1932, Brecht monte "La Mère". Artaud (qui séjourne à Berlin en avril-mai 1932) eut-il l'occasion de voir la pièce ? Des échos lui en parvinrent-ils ? Nous n'avons sur ce point aucune information. Il ne semble pas que Brecht ait jamais, de son côté, évoqué une quelconque rencontre avec l'auteur du Théâtre Alfred Jarry.
Les deux hommes sont connus pour leurs divergences théoriques. On a coutume d'opposer (sans doute un peu rapidement) la théorie brechtienne de la "distanciation" à cet autre point de vue que défend l'auteur du théâtre de la cruauté, de totale "participation" de l'acteur et du spectateur à ce qu'ils vivent par le truchement de la scène.
Cette radicale opposition serait à nuancer. Ce sentiment d'"étrangeté" que Brecht souhaite maintenir - sous forme d'une "distance" diamétralement instaurée entre l'homme et ce qu'il éprouve - Artaud le vit bien, mais de l'intérieur. Artaud habite l'étrangeté.
La forme de "mystique" théâtrale et païenne qu'Artaud développe dans les années 1923-1935 se complète, à partir des années d'asile, d'une forme de conscience suraiguë qui appelle dissociation, distanciation, dédoublement. Ces processus sont d'ailleurs constamment à l'œuvre chez Artaud. Il n'y aurait, sur ce point, qu'à relire les Lettres à Jacques Rivière.
Son passage (entre 1937 et 1946) par les asiles d'aliénés, le fait d'avoir à supporter des traitements psychiatriques lourds comme l'électrochoc, tout cela l'amènera à développer une tout autre conception du théâtre. Autour de 1939-1945, le Mômo brûle toujours, mais sur le bûcher de l'asile.
Une forêt de doubles l'accompagne désormais, qui le regardent brûler... Telle cette figure qu'il décrit, cette forme de lui-même qui l'observe du fin fond de ce qu'il nomme "le Bardo de l'électrochoc".
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