"C.M. [Cornélius-Marinus, oncle de Vincent Van Gogh] m'a demandé aujourd'hui si je ne trouvais pas belle la Phryné de Gérôme. J'ai dit que j'avais infiniment plus de plaisir à regarder une femme laide d'Israels ou de Millet ou une vieille femme de Ed Frère. Car qu'est-ce que cela signifie, en somme, un beau corps comme celui de la Phryné ? (...)
Je ne ressens, quant à moi, qu'extrêmement peu de sympathie pour cette figure de Gérôme, car je n'y vois pas le moindre signe révélateur d'intelligence. Des mains qui portent la marque du travail sont plus belles que des mains pareilles à celles de cette figure." (Lettre à Théo, 9 janvier 1978)
Van Gogh et Gérôme œuvrent à la même époque. L'insuccès de l'un et la réussite de l'autre se sont au fil du temps inversés. Gérôme sombre dans l'oubli. Van Gogh monte au firmament.
Relire aujourd'hui ce que Van Gogh écrivait de Gérôme permet de mesurer d'un trait l'immensité de ce qui les sépare. En janvier 1874, Vincent cite Gérôme parmi les peintres qu'il apprécie. Quatre ans plus tard, son goût a évolué ; il se démarque désormais des jugements esthétiques familiaux.
Il exalte maintenant le "laid", le "pauvre", le "vieux". Toutes ces valeurs décriées par toute bonne société. Et la nôtre est sur ce point bien située dans le peloton de tête de l'exaltation du beau, du riche, de l'éternellement jeune. Ces valeurs-là ne suscitent en Vincent aucune "sympathie". Au sens étymologique et fort que ce terme revêt.
L'empathie, la "sympathie" de Van Gogh s'adressent à des valeurs décriées. Ses goûts picturaux vont au laid, au ridé, au noueux, à une certaine vision de l'humain. Van Gogh s'accorderait en cela avec Picasso - songeons à la "hideur" de La Femme qui pleure - et Lucian Freud que l'on fustige si souvent au titre de peintre d'une certaine "chair", triste, flasque et si prodigieusement nervurée.
Lucian Freud et la chair
Exposition Gérôme au Musée d'Orsay
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