La Fondation Beyeler est connue pour l'inventivité et la perfection de ses accrochages. Relier les aventures artistiques, tracer mille et un chemins de traverse d'un artiste à un autre, d'une forme à sa complémentaire, ce fut là le jeu constant d'un Ernst Beyeler, animé de ce sixième sens qui fait entrer en résonance des oeuvres singulières.
L'exposition Brancusi / Serra est une affaire de lignes, de volumes, de plans, de blocs sculptés. Inscrits dans un espace et eux-mêmes générateurs de nouvelles lignes et de plans de coupes inédits.
A-PESANTEUR ET GRAVITÉ : Delineator, œuvre en acier laminé élaborée par Richard Serra en 1974-1975, est la magistrale démonstration de ces deux principes. Situées l'une au sol et l'autre au plafond, les deux gigantesques plaques d'acier rectangulaires se croisent l'une l'autre, circonscrivant une croix potentielle. L'espace de l'entre-deux de ces plaques, qui est aussi l'espace que perçoit le spectateur, entre en tension. Le sens de la gravité fait son œuvre et pèse de tout son poids. A tel point que l'on ne sait plus laquelle des deux plaques s'envole ou pèse. Comme dans les œuvres de Joseph Beuys, un champ énergétique a été créé.
Avant même l'actuelle exhibition et la théâtralisation de cette rencontre à la Fondation Beyeler entre les deux sculpteurs, il y eut la fascination que Richard Serra entretint pour l'oeuvre de son aîné. Au point, durant toute une année passée à Paris, en 1964-1965, de fréquenter quotidiennement l'atelier de Brancusi et d'ausculter minutieusement les lignes de force qui se trament d'une sculpture à une autre, d'un volume à un autre. Vivant foyer de lignes imaginaires. De toutes les lignes possibles : par élision, entrecroisement, collision ou collusion.
D'une salle à l'autre nous passons aujourd'hui de l'ovale matériel et parfait de la Muse endormie (1910) à l'arête sèche, mais tout aussitôt redéployée en plan et génératrice d'espace, des aciers corten de Serra.
Les espaces, au long du parcours, travaillent dans la sobriété des lignes, dans la puissance des matières : marbres opalescents, bronzes polis comme des miroirs, affutés comme le cri ou le vol de l'oiseau (Brancusi, Oiseau dans l'espace, 1927).
Les ovales, ellipses, formes rondes de l'un équilibrent les cubes, carrés, rectangles et plaques (souvent assouplies et recourbées) de l'autre.
Couleurs, matières s'exaltent mutuellement. La texture comme rouillée de l'acier, ses bruns, ses ocres, ses éclats métalliques ont pour pendant cette autre contraste des matières où excelle Brancusi. Le laiteux, l'opaque, les noeuds du bois et les veines du marbre ont pour contrepoints ces surfaces réfléchissantes et polies qui crèvent l'espace. L'or, le bronze, et la diversité de ses patines, répondent au caractère souvent rugueux des socles.
SERRA. BRANCUSI / BRANCUSI SERRA : deux instruments, deux mondes s'ajoutent, s'additionnent, se croisent, se répondent. Circonscrivant un espace de jeu intermédiaire. À chaque visiteur de déployer à son tour l'arsenal entier de ses rituels, regards et procédures. Et d'inventer son propre parcours. Car la sculpture aussi est faite par « ses regardeurs » et par ceux qui - amoureusement - tournent tout autour.
Cf. « La pesanteur de la matière » , « L'immatériel », in Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne et contemporain, Larousse, 2008.
Fondation Beyeler, juin-août 2011.
L'exposition Brancusi / Serra est une affaire de lignes, de volumes, de plans, de blocs sculptés. Inscrits dans un espace et eux-mêmes générateurs de nouvelles lignes et de plans de coupes inédits.
A-PESANTEUR ET GRAVITÉ : Delineator, œuvre en acier laminé élaborée par Richard Serra en 1974-1975, est la magistrale démonstration de ces deux principes. Situées l'une au sol et l'autre au plafond, les deux gigantesques plaques d'acier rectangulaires se croisent l'une l'autre, circonscrivant une croix potentielle. L'espace de l'entre-deux de ces plaques, qui est aussi l'espace que perçoit le spectateur, entre en tension. Le sens de la gravité fait son œuvre et pèse de tout son poids. A tel point que l'on ne sait plus laquelle des deux plaques s'envole ou pèse. Comme dans les œuvres de Joseph Beuys, un champ énergétique a été créé.
Avant même l'actuelle exhibition et la théâtralisation de cette rencontre à la Fondation Beyeler entre les deux sculpteurs, il y eut la fascination que Richard Serra entretint pour l'oeuvre de son aîné. Au point, durant toute une année passée à Paris, en 1964-1965, de fréquenter quotidiennement l'atelier de Brancusi et d'ausculter minutieusement les lignes de force qui se trament d'une sculpture à une autre, d'un volume à un autre. Vivant foyer de lignes imaginaires. De toutes les lignes possibles : par élision, entrecroisement, collision ou collusion.
D'une salle à l'autre nous passons aujourd'hui de l'ovale matériel et parfait de la Muse endormie (1910) à l'arête sèche, mais tout aussitôt redéployée en plan et génératrice d'espace, des aciers corten de Serra.
Les espaces, au long du parcours, travaillent dans la sobriété des lignes, dans la puissance des matières : marbres opalescents, bronzes polis comme des miroirs, affutés comme le cri ou le vol de l'oiseau (Brancusi, Oiseau dans l'espace, 1927).
Les ovales, ellipses, formes rondes de l'un équilibrent les cubes, carrés, rectangles et plaques (souvent assouplies et recourbées) de l'autre.
Couleurs, matières s'exaltent mutuellement. La texture comme rouillée de l'acier, ses bruns, ses ocres, ses éclats métalliques ont pour pendant cette autre contraste des matières où excelle Brancusi. Le laiteux, l'opaque, les noeuds du bois et les veines du marbre ont pour contrepoints ces surfaces réfléchissantes et polies qui crèvent l'espace. L'or, le bronze, et la diversité de ses patines, répondent au caractère souvent rugueux des socles.
SERRA. BRANCUSI / BRANCUSI SERRA : deux instruments, deux mondes s'ajoutent, s'additionnent, se croisent, se répondent. Circonscrivant un espace de jeu intermédiaire. À chaque visiteur de déployer à son tour l'arsenal entier de ses rituels, regards et procédures. Et d'inventer son propre parcours. Car la sculpture aussi est faite par « ses regardeurs » et par ceux qui - amoureusement - tournent tout autour.
Cf. « La pesanteur de la matière » , « L'immatériel », in Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne et contemporain, Larousse, 2008.
Fondation Beyeler, juin-août 2011.
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