Éditions Lattès, 2023. Couverture du livre.
(Photographie de Man Ray).
« Lorsque nous nous quitterons, vous pourrez dire que nous ne nous sommes jamais rencontrés » (Lise Deharme, L’Enchanteur, 1964)
Cygne noir, Dame de pique, muse, mécène, égérie d’André Breton, femme de lettres et d’idées, connue pour son salon littéraire où se pressaient les artistes de l’avant-garde, Lise Deharme (1898-1980), née Hirtz, épousera successivement Pierre Meyer (héritier des Magasins Old England et artiste de music-hall) puis Paul Deharme, (publicitaire et créateur de programmes radiophoniques, qui s’entourera d’artistes et d’écrivains comme Robert Desnos,le cubain Alejo Carpentier ou Antonin Artaud qui tint le rôle fameux de Fantômas à la radio).
Née dans le milieu de la grande bourgeoisie, dotée longtemps d’une fortune considérable, Lise Deharme mit toute son énergie et ses talents à défendre les turbulences et excentricités du surréalisme et des avant-gardes de l’époque. André Breton la rencontre en 1924 et en devient « fou amoureux ». Un de ses gants (bleu ciel et en agneau) orna un temps les murs de la Centrale surréaliste avant d’être un des objets fétiches du roman de Breton (Nadja) et d’être sublimé sous les aspects d’une sculpture en bronze.
Lise ne cédera cependant pas au Pape du surréalisme. Elle fait tout pour le séduire, le « magnétiser », mais se dérobe. Cygne noir, Dame de pique (Man Ray l’immortalisera ainsi dans un montage photographique), fée bienveillante mais aussi souvent Carabosse, elle tisse sa toile autour de ses nombreuses proies et se montre aussi experte en cruautés qu’en caresses.
Ce qui dénote de sa part une fine analyse de ce que fut tout un pan de « l’amour fou » surréaliste : une exacerbation des passions poussées jusqu’à des points et des limites ultimes. Elle n’entend aucunement faire partie du « tableau de chasse » de ce collectionneur de papillons féminins que fut André Breton.
D’emblée elle situe son emprise sur l’être aimé très au-delà. Breton fut un des personnages clés de son existence, une sorte d’icône en poésie. À sa mort, en 1966, elle dira qu’elle a perdu « son mari ». Ce qui sera diversement apprécié par son entourage !
Depuis son enfance, elle vit entourée d’œuvres d’art et de beaux objets, peuple ses maisons de grandes volières et de plantes à foison. Son monde esthétique est celui du symbolisme, de l’art nouveau, du surréalisme et des avant-gardes qu’elle soutient financièrement (dada, surréalisme, art déco, cubisme, Picasso, Cocteau, Man Ray, Miro, Giacometti, etc.).
Elle fera aussi appel aux talents féminins, demandant à Claude Cahun d’illustrer un de ses livres pour enfant (Le Cœur de Pic, trente deux poèmes pour les enfants, 1936, José Corti). Léonor Fini illustrera un autre de ses livres (Ô Violette ou la Politesse des végétaux (Losfeld, 1969). Dora Maar participe aux événements qu’elle organise l’été dans sa maison de Montfort-en-Chalosse, immortalisant le regroupement de ses amis surréalistes.
Rien cependant qui pourrait la rapprocher du féminisme. Si elle règne, c’est en tant que femme et séductrice (sur le plan sensuel comme sur le plan des idées ou des créations quelle ne cesse d’enfiler comme autant de perles précieuses). Du MLF, beaucoup plus tard, elle déclarera - mi figue, mi raisin - qu’il s’agit là du « Mouvement de libération des Fées ».
Sur le plan politique - et suivant en cela Breton - elle n’aura de cesse de se rapprocher du Parti communiste. Elle n’en demeure pas moins une sorte d’anarchiste bourgeoise, dépensant son argent et ses talents pour faire vivre ses amis artistes, tout en créant une sorte de bulle de beauté et d’insouciance aiguisée. Elle organise des fêtes, crée une revue, suscite œuvres et rencontres. Elle chargera Le Corbusier de lui élaborer les plans d’une superbe maison. Le prix toutefois fera renoncer au projet.
Elle adore se retrouver en belle compagnie dans sa maison de Montfort-en-Chalosse. À l’été 1935, Man Ray, Breton, Eluard, Nusch, Jacqueline Breton s’y retrouvent. Autour du tournage d’un film de Man Ray, commandité par Lise. Ils s’y sont beaucoup amusés. La pellicule s’étant malheureusement rayée (ah ! Les hasards surréalistes !), il ne reste aujourd’hui que quelques photogrammes et des photos.
Antonin Artaud les avait rejoint, qui fut immortalisé avec Breton et Paul Eluard dans une saisissante photographie*. Il ne semble pas avoir participé au film et se rendait chez l’institutrice du village, Marie Dubuc, qui possédait certains dons de voyance et avec laquelle il entretiendra par la suite toute une correspondance.
Mais l’enchantement de la fête et les beautés de la création ne recouvrent pas, à eux seuls, la vie de Louise Deharme. Il y a, en cette femme, une blessure secrète qui en fait un personnage étrange,fantasque et tourmenté. D’une enfance solitaire où elle apparaît comme mal aimée par sa mère et quelque peu délaissée par son père - un chirurgien renommé qui n’a guère le temps d’y prêter attention - elle gardera un sens de l’étrange. Un de ses passe-temps favoris dans sa très petite enfance fut de se rouler dans la boue d’une mare qu’elle retrouvait avec délice au fin fond du bois de Boulogne. Au grand dam des passants et de sa propre nounou.
Elle est vive, n’en fait qu’à sa tête et se montre coléreuse. Son premier mariage avec Pierre Meyer lui permet de fuir sa famille. Elle finit par se séparer de ce dernier, gardant avec elle sa fille Hyacinthe, avec laquelle les rapports seront toujours désastreux. Lise n’a pas la fibre maternelle. Sa fille, à sa mort, s’en souviendra qui brûlera une grande part de sa correspondance, ses cahiers et manuscrits.
En 1924, elle rencontre Paul Deharme, qui sera le grand amour de sa vie, mais décédera de manière prématurée en 1934. Ce alors sont les années les plus flamboyantes de Lise. Elle rayonne. Et règne en maîtresse (à l’instar d’Anna de Noailles) sur le Paris des Lettres et des Arts.
La guerre mettra un terme à l’éclat de cette vie mondaine. D’origine juive par sa mère, elle demeure à Paris un temps. Sa mère est arrêtée et restera en prison durant un an. Lise fuit ensuite Paris avec ses enfants (Hyacinthe et Tristan). Remariée avec Jacques Parsons (un ami de Paul), elle se lance, après-guerre, à corps perdu dans l’écriture de livres et de romans. Oubliés aujourd’hui, ceux-ci défrayent souvent la chronique par leur parfum de scandale, un érotisme assez noir et la mise en scène de rapports sociaux non conventionnels.
Sa fortune s’émiette progressivement. Jacques Parsons meurt en 1978. Ses enfants l’ont quittée. Elle est de plus en plus seule, vend la propriété de Montfort-en-Chalosse et meurt en 1980, dans une clinique du Trocadéro. Son fils, Tristan (qu'elle a eu avec Paul), viendra reconnaître son corps. Le cygne noir a rabattu ses ailes.
Le livre de Nicolas Perge, tout à la fois enchanteur, léger, et caustique, déroule avec talent la vie hors du commun de cette égérie de l’entre-deux guerres. Muse et créatrice dans l’âme, elle fit vivre la meute surréaliste et participa à ses jeux - jeux des sens, des arts et des idées. Plus près du roman que de l’essai, cet ouvrage retrace avec aisance la trajectoire de cette femme sensible et désaccordée, mondaine et cruelle… jusqu’avec ses enfants. Tout un monde surgit et se rappelle à notre souvenir. Il ne reste qu’à ouvrir les pages et soulever les masques… « Lise Deharme, écrivait Jean Cocteau en 1961, évoque toujours pour moi le soleil noir de la mélancolie de Dürer »
Nota Bene - Tous mes remerciements à Nicolas Perge et aux Archives des Landes.
*Je reviendrai sur cette photographie dans le prochain « papier » de ce blog.
Couverture du livre de Lise Hirtz (Deharme),
illustré par Miro, Jeanne Bûcher, 1928.
Cygne noir, Dame de pique, muse, mécène, égérie d’André Breton, femme de lettres et d’idées, connue pour son salon littéraire où se pressaient les artistes de l’avant-garde, Lise Deharme (1898-1980), née Hirtz, épousera successivement Pierre Meyer (héritier des Magasins Old England et artiste de music-hall) puis Paul Deharme, (publicitaire et créateur de programmes radiophoniques, qui s’entourera d’artistes et d’écrivains comme Robert Desnos,le cubain Alejo Carpentier ou Antonin Artaud qui tint le rôle fameux de Fantômas à la radio).
Née dans le milieu de la grande bourgeoisie, dotée longtemps d’une fortune considérable, Lise Deharme mit toute son énergie et ses talents à défendre les turbulences et excentricités du surréalisme et des avant-gardes de l’époque. André Breton la rencontre en 1924 et en devient « fou amoureux ». Un de ses gants (bleu ciel et en agneau) orna un temps les murs de la Centrale surréaliste avant d’être un des objets fétiches du roman de Breton (Nadja) et d’être sublimé sous les aspects d’une sculpture en bronze.
Lise ne cédera cependant pas au Pape du surréalisme. Elle fait tout pour le séduire, le « magnétiser », mais se dérobe. Cygne noir, Dame de pique (Man Ray l’immortalisera ainsi dans un montage photographique), fée bienveillante mais aussi souvent Carabosse, elle tisse sa toile autour de ses nombreuses proies et se montre aussi experte en cruautés qu’en caresses.
Ce qui dénote de sa part une fine analyse de ce que fut tout un pan de « l’amour fou » surréaliste : une exacerbation des passions poussées jusqu’à des points et des limites ultimes. Elle n’entend aucunement faire partie du « tableau de chasse » de ce collectionneur de papillons féminins que fut André Breton.
D’emblée elle situe son emprise sur l’être aimé très au-delà. Breton fut un des personnages clés de son existence, une sorte d’icône en poésie. À sa mort, en 1966, elle dira qu’elle a perdu « son mari ». Ce qui sera diversement apprécié par son entourage !
Depuis son enfance, elle vit entourée d’œuvres d’art et de beaux objets, peuple ses maisons de grandes volières et de plantes à foison. Son monde esthétique est celui du symbolisme, de l’art nouveau, du surréalisme et des avant-gardes qu’elle soutient financièrement (dada, surréalisme, art déco, cubisme, Picasso, Cocteau, Man Ray, Miro, Giacometti, etc.).
Elle fera aussi appel aux talents féminins, demandant à Claude Cahun d’illustrer un de ses livres pour enfant (Le Cœur de Pic, trente deux poèmes pour les enfants, 1936, José Corti). Léonor Fini illustrera un autre de ses livres (Ô Violette ou la Politesse des végétaux (Losfeld, 1969). Dora Maar participe aux événements qu’elle organise l’été dans sa maison de Montfort-en-Chalosse, immortalisant le regroupement de ses amis surréalistes.
Rien cependant qui pourrait la rapprocher du féminisme. Si elle règne, c’est en tant que femme et séductrice (sur le plan sensuel comme sur le plan des idées ou des créations quelle ne cesse d’enfiler comme autant de perles précieuses). Du MLF, beaucoup plus tard, elle déclarera - mi figue, mi raisin - qu’il s’agit là du « Mouvement de libération des Fées ».
Sur le plan politique - et suivant en cela Breton - elle n’aura de cesse de se rapprocher du Parti communiste. Elle n’en demeure pas moins une sorte d’anarchiste bourgeoise, dépensant son argent et ses talents pour faire vivre ses amis artistes, tout en créant une sorte de bulle de beauté et d’insouciance aiguisée. Elle organise des fêtes, crée une revue, suscite œuvres et rencontres. Elle chargera Le Corbusier de lui élaborer les plans d’une superbe maison. Le prix toutefois fera renoncer au projet.
Elle adore se retrouver en belle compagnie dans sa maison de Montfort-en-Chalosse. À l’été 1935, Man Ray, Breton, Eluard, Nusch, Jacqueline Breton s’y retrouvent. Autour du tournage d’un film de Man Ray, commandité par Lise. Ils s’y sont beaucoup amusés. La pellicule s’étant malheureusement rayée (ah ! Les hasards surréalistes !), il ne reste aujourd’hui que quelques photogrammes et des photos.
Antonin Artaud les avait rejoint, qui fut immortalisé avec Breton et Paul Eluard dans une saisissante photographie*. Il ne semble pas avoir participé au film et se rendait chez l’institutrice du village, Marie Dubuc, qui possédait certains dons de voyance et avec laquelle il entretiendra par la suite toute une correspondance.
Mais l’enchantement de la fête et les beautés de la création ne recouvrent pas, à eux seuls, la vie de Louise Deharme. Il y a, en cette femme, une blessure secrète qui en fait un personnage étrange,fantasque et tourmenté. D’une enfance solitaire où elle apparaît comme mal aimée par sa mère et quelque peu délaissée par son père - un chirurgien renommé qui n’a guère le temps d’y prêter attention - elle gardera un sens de l’étrange. Un de ses passe-temps favoris dans sa très petite enfance fut de se rouler dans la boue d’une mare qu’elle retrouvait avec délice au fin fond du bois de Boulogne. Au grand dam des passants et de sa propre nounou.
Elle est vive, n’en fait qu’à sa tête et se montre coléreuse. Son premier mariage avec Pierre Meyer lui permet de fuir sa famille. Elle finit par se séparer de ce dernier, gardant avec elle sa fille Hyacinthe, avec laquelle les rapports seront toujours désastreux. Lise n’a pas la fibre maternelle. Sa fille, à sa mort, s’en souviendra qui brûlera une grande part de sa correspondance, ses cahiers et manuscrits.
En 1924, elle rencontre Paul Deharme, qui sera le grand amour de sa vie, mais décédera de manière prématurée en 1934. Ce alors sont les années les plus flamboyantes de Lise. Elle rayonne. Et règne en maîtresse (à l’instar d’Anna de Noailles) sur le Paris des Lettres et des Arts.
La guerre mettra un terme à l’éclat de cette vie mondaine. D’origine juive par sa mère, elle demeure à Paris un temps. Sa mère est arrêtée et restera en prison durant un an. Lise fuit ensuite Paris avec ses enfants (Hyacinthe et Tristan). Remariée avec Jacques Parsons (un ami de Paul), elle se lance, après-guerre, à corps perdu dans l’écriture de livres et de romans. Oubliés aujourd’hui, ceux-ci défrayent souvent la chronique par leur parfum de scandale, un érotisme assez noir et la mise en scène de rapports sociaux non conventionnels.
Sa fortune s’émiette progressivement. Jacques Parsons meurt en 1978. Ses enfants l’ont quittée. Elle est de plus en plus seule, vend la propriété de Montfort-en-Chalosse et meurt en 1980, dans une clinique du Trocadéro. Son fils, Tristan (qu'elle a eu avec Paul), viendra reconnaître son corps. Le cygne noir a rabattu ses ailes.
Le livre de Nicolas Perge, tout à la fois enchanteur, léger, et caustique, déroule avec talent la vie hors du commun de cette égérie de l’entre-deux guerres. Muse et créatrice dans l’âme, elle fit vivre la meute surréaliste et participa à ses jeux - jeux des sens, des arts et des idées. Plus près du roman que de l’essai, cet ouvrage retrace avec aisance la trajectoire de cette femme sensible et désaccordée, mondaine et cruelle… jusqu’avec ses enfants. Tout un monde surgit et se rappelle à notre souvenir. Il ne reste qu’à ouvrir les pages et soulever les masques… « Lise Deharme, écrivait Jean Cocteau en 1961, évoque toujours pour moi le soleil noir de la mélancolie de Dürer »
Nota Bene - Tous mes remerciements à Nicolas Perge et aux Archives des Landes.
*Je reviendrai sur cette photographie dans le prochain « papier » de ce blog.
illustré par Miro, Jeanne Bûcher, 1928.
8 commentaires:
Très beau livre, en effet. J’ai une question : dans le livre, il est mentionné que la photo date de 1935 (ce qui paraît logique), mais n’est-ce pas après son retour au Mexique que la réconciliation entre Artaud et Breton a eu lieu ?
Artaud et Breton ont passé leur temps à se quereller, se fâcher et se rabibocher. Une forme de petit théâtre et de jeu entre eux. Les querelles étaient parfois profondes, parfois superficielles.
Je ferai prochainement un "papier" sur l'épisode de 1935 chez Louise Deharme à Montfort-en-chalosse.
Je suis d’accord avec vous. Cette hypothèse est aussi soutenue par la revue Écho Antonin Artaud sur sa page internet consacrée à ce sujet : « Artaud et Breton s’étaient réconciliés. La photo date de 1935, et elle a été prise à Montfort-en-Chalosse chez Lise Deharme. Fin août, Artaud était en effet dans les Landes, à Montfort-en-Chalosse, près de Dax. Selon un témoignage de Marie Dubuc, recueilli en 1975 par Pierre Chaleix, on sait qu’ils ont passé tout le mois d’août avec Eluard et Breton. Donc, contrairement à ce qui est écrit dans certaines biographies d’Artaud (basé sur des propos de Roger Blin), la réconciliation avec Breton a dû avoir lieu avant la fin de 1936. Sauf s’il y a eu une autre embrouille entre temps ce qui n’est pas impossible. La photo est tiré du livre sur Lise Deharme de Nicolas Perge. » Jean M.
Oui : ce voyage dans les Landes et séjour chez Lise Deharme figure dans ma biographie, C'était Antonin Artaud, Fayard 2006. Avec tous ses détails et références : en particulier à Marie Dubuc. Le "nouveau" tient dans la découverte par Nicolas Perge de la photo avec Eluard et Breton. Je vais très vite publier un "blog" sur cette photo. - J'attendais d'avoir l'autorisation de reproduction des Archives. A suivre donc.
Avons nous une preuve de cette réconciliation avant 1935? Merci d’avance.
Apparemment, il y a encore beaucoup de nouvelles choses à découvrir sur Antonin Artaud.
Entre 1929 (date de la fin des grandes bagarres entre Artaud et Breton) et 1935, il semble que les chemins ont divergé. Tous les deux évoluent dans des milieux différents, sont très accaparés par leurs activités et semblent moins en contact.
Des découvertes : oui, il y en a encore beaucoup à faire. Et bien des recherches à mener.
Enregistrer un commentaire