jeudi 25 août 2011

TÉLÉVISION, LA LUNE. LE LIVRE (1985).

« Une idée simple est à l'origine du court et brillant récit que vient de publier Florence de Mèredieu (Télévision, la lune, Editions des Femmes, 1985) : le fait que l'image télévisuelle prend, sur l'écran, l'aspect d'un paysage de sable. De sable mouvant, bien entendu. Ainsi, l'image "laisse couler ses grains et filigranes », et les silhouettes d'un homme et d'une femme, dans cet espace continûment fuyant, deviennent « l'homme et la femme de sable » (...). Tout ruisselle sur leurs faces, la lumière en perles serrées, le sable en écheveaux sempiternellement défaits ».

À partir de cette constatation (qu'ont bien mise en évidence certains artiste-vidéo), Florence de Mèredieu a tissé une fiction d'une grande densité poétique où s'entrelacent deux fils qui glissent l'un sur l'autre de ce même mouvement ondoyant et répété qui coule du téléviseur. Pourquoi deux fils ? Parce que Florence de Mèredieu enchevêtre la description d'une image, toujours la même, image d'un homme et d'une femme évoluant sur l'écran, et la brève histoire d'un couple qui, couché devant le récepteur, se laisse séduire, envahir, « manger » par leur double de sable, se confondant finalement avec les signes dont la lumière les enveloppe, vivant avec eux au ralenti dans cette éternité de l'image qui nie la mort en l'habitant.

Ce livre qui démontre la force de certains simulacres, sait lui-même imprégner le lecteur d'images fortes. Par ses qualités visuelles autant que textuelles, il apparaît comme une véritable œuvre plastique qui ne démérite pas du maître que s'est donné l'auteur en plaçant en tête de son livre une phrase de Nam June Paik : « On peut fabriquer la lune avec une télévision. Une lune plus lune que la lune. Une lune idéale. »
CATHERINE FRANCBLIN

ENTRETIEN : Réponses à des questions de Catherine Francblin

Ton livre porte en exergue une citation de Nam June Paik. J'ai l'impression que c'est la première fois qu'un écrivain rend cet hommage à un artiste-vidéo. En tout cas, ton récit est totalement contemporain des nouvelles techniques de fabrication des images. Tu as d'ailleurs fait toi-même des films sur la vidéo. Est-ce à l'origine de ce livre ?

J'ai toujours été très sensible à la matière même de l'image télévisuelle : son grain, sa luminosité, son aspect spectral, lunaire... En 1981, j'ai fait effectivement deux films super-8, Vidéo Blues et Vidéo 2 Pulsations, qui jouaient sur la dégradation, le parasitage et les transformations de l'image vidéo. Je suis par ailleurs, comme la plupart de mes contemporains, nourrie d'images. Tout cela a dû influer sur l'écriture de ce livre, mais de façon souterraine... inaperçue. J'ai consciemment été beaucoup plus influencée par l'utilisation quotidienne et banale de la télévision qui - indépendamment de son contenu - m'est apparue comme un objet magique, intime : une boîte à lumières et à sons. D'où la référence à Paik et à cette dimension fantastique de la télévision qu'il a révélée. Tout et n'importe quoi peut désormais s'engouffrer dans ce que Virilio a justement nommé « la troisième fenêtre ». Et si l'on peut recevoir, on peut aussi projeter, fantasmer... transformer...

L'effet visuel de ce que tu décris est très fort : on voit. Est-ce ton intérêt pour les arts plastiques qui t'a conduite à faire une œuvre quasiment plastique ?

Il me semble que les écrivains ont, à l'heure actuelle, beaucoup plus à apprendre des arts plastiques, de la science, de la technologie que de la littérature ambiante. Je pense que c'est en se décentrant que la littérature peut s'enrichir, en se frottant à d'autres langages, à d'autres dispositifs et d'autres genres. L'idée d'une littérature imagée et plastique est une idée qui me plaît beaucoup. Fondamentalement, et sous sa forme la plus pure, l'écriture a toujours été une affaire d'images, de chocs, de heurts et de rencontres. D'où la dimension poétique de mon texte, mais d'une poésie strictement non lyrique, non pathétique. Purement plastique et visuelle. Abstraite presque... mais à la façon de la peinture abstraite... avec des formes... des couleurs... des rythmes.

L'homme et la femme de ton livre qui regardent leur double sur l'écran de TV se confondent avec l'image télévisuelle, et vice versa. On pense à certaines observations de Baudrillard. Le réel a disparu, ou plutôt, il a la consistance du sable...

Il s'agit d'un texte sur la disparition et sur la mort qui s'inscrit effectivement, bien que cela n'ait été ni délibéré ni conscient, dans le contexte d'une dérive généralisée des signes du réel. Il n'y a plus ici que des images... images elles-mêmes émiettées et dissoutes... L'intrigue même (car il y en a une !) se situe sur le plan de l'image... On n'est pas loin, en effet, du simulacre dont parle Baudrillard. Pas loin non plus de l'esthétique de la disparition dont parle Virilio, esthétique de la disparition appliquée à l'ordre de l'audiovisuel, une sorte de camouflage audiovisuel.
Enseignant et écrivant régulièrement sur l'image, je suis non seulement nourrie de sa matérialité mais nourrie aussi de tous les discours sur l'image... Ceux-ci finissent pat transpirer de quelque façon dans mon écriture... mais je ne le sais qu'après. Cela demeure - et c'est très important - totalement « naturel ». Primitivement, j'étais d'ailleurs partie de l'idée du sable et c'est ensuite seulement que s'est imposé à moi ce système d'analogie entre la consistance du sable et celle de l'image qui scintille sur le téléviseur. Tous deux coulent... indifférents, nuls et neutres... La littérature a beaucoup à apprendre de cette superbe indifférence des actuels médias, de ce langage qui n'est plus ni strictement narratif, ni figuratif, ni historique... qui se contente de couler... et de tout envahir. Comme le sable.

(Texte et interview parus dans Art Press en janvier 1985).

Editions des Femmes

Vidéo BluesVidéo 2 Pulsations

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