« Chaque vague se soulevait en s'approchant du rivage, prenait forme, se brisait et traînait sur le sable un mince voile d'écume blanche. La houle s'arrêtait, puis s'éloignait de nouveau, avec le soupir d'un dormeur dont le souffle va et vient sans qu'il en ait conscience. » (Virginia Woolf, Les Vagues, 1931)
« Aujourd'hui la mer est mauvaise sans plus. Hier il y avait de la tempête. Loin, elle est parsemée de brisures blanches. Près, elle est pleinement blanche, blanche à foison, sans fin elle dispense de grandes brassées de blancheur, des embrassements de plus en plus vastes comme si elle ramassait, emportait vers son règne une mystérieuse pâture de sable et de lumière. » (Marguerite Duras, L'Été 80, 1980)
Pluie sur la côte normande. - Pluie insistante, répétitive. La pluie comme une atmosphère. Le hasard fait que, cet été, deux de mes livres du moment - ceux qui traînent un peu partout - sur les tables, les fauteuils et le dessus des piles de documents - soient précisément Les Vagues de Virginia Woolf et L'Été 80 de Marguerite Duras, deux livres denses que je m'octroie le plaisir de lire, relire, reprendre et mâchonner comme une vache son carré de trèfles.
À cinquante ans de distance, deux grands livres sur la mer, les vagues et le rythme puissant de deux vies intérieures.
Rédigé à chaque prise d'écriture, comme d'un seul jet, mais avec des retours, des reprises, des greffes et des sutures abruptes, sauvages, L'ÉTÉ 80, ce texte si parfait qu'on en viendrait (si cela était possible) à souhaiter l'avoir écrit, abouche les uns aux autres la réalité d'un été normand, passé par Marguerite Duras dans son appartement des Roches noires à Trouville, l'actualité (l'histoire du monde de cet été là : Gdansk, l'Ouganda...) et l'ensemble de ces souvenirs, ces fantasmes qui remontent par bribes au fil de l'écrit (le Siam, le Gange, les contes de l'enfance...).
Chaque vague d'écriture s'effectue d'un seul tenant, sans retour à la ligne, sans délimitation de niveaux. Les sutures sont brutales, mais évidentes. L'étendue marine lisse et enveloppe les événements sans heurt autre que le raptus permanent des vagues et de cette tempête qui - périodiquement - enveloppe tout de blancheur.
Pluie. Mouvement des vagues. L'eau s'infiltre partout dans cet écrit et finit pas s'insinuer en vous. Le rythme des marées vous envahit. La mer se fait tantôt étale ou rugissante. Vous respirez ou bien haletez au même tempo.
Écrit cinquante ans plus tôt, et dans un tout autre contexte, Les Vagues de Virginia Woolf participe lui aussi d'une science précise des rythmes marins. Les divers mouvements de l'eau y épousent constamment les complexités et les changements d'une vie intérieure riche, contrastée.
L'ouvrage est savamment construit. Fait de longs monologues qui s'entrecroisent, il déploie les rêveries parallèles de six personnages. Le mouvement des marées scande et reprend incessamment ces autres mouvements des humeurs, des impressions, des pensées. La description des paysages marins y est souvent marquée du sceau du symbolisme. La peinture n'est jamais loin. La mer fait tableau, avec ses rayons, ses couleurs. Avec sa lumière aussi, dispensée dans une débauche presque baroque.
L'atmosphère des Vagues est très différente de celle de L'Été 80. La plage durassienne laisse ici la place à une côte marine ouverte sur un jardin, des salons, des vies qui se déroulent aussi dans des zones urbaines et policées. Cultivées. Au sens « lettré » que ce terme peut revêtir. Les rêveries durassiennes sont plus « prolétariennes », même si (bien sûr) elles le sont « à leur façon ».
À l'arrière-plan, toutefois, il s'agit du même remugle de souvenirs, d'impressions, de sensations, et du rythme implacable de ce soleil qui, tous les matins, revient pour disparaître avec la nuit. Les vagues sont plus que le symbole de l'existence ; elles constituent le rythme même de cette vie intérieure subconsciente dont la mise au jour fut une des grandes découvertes et de Virginia Woolf et de Marguerite Duras.
« Aujourd'hui la mer est mauvaise sans plus. Hier il y avait de la tempête. Loin, elle est parsemée de brisures blanches. Près, elle est pleinement blanche, blanche à foison, sans fin elle dispense de grandes brassées de blancheur, des embrassements de plus en plus vastes comme si elle ramassait, emportait vers son règne une mystérieuse pâture de sable et de lumière. » (Marguerite Duras, L'Été 80, 1980)
Pluie sur la côte normande. - Pluie insistante, répétitive. La pluie comme une atmosphère. Le hasard fait que, cet été, deux de mes livres du moment - ceux qui traînent un peu partout - sur les tables, les fauteuils et le dessus des piles de documents - soient précisément Les Vagues de Virginia Woolf et L'Été 80 de Marguerite Duras, deux livres denses que je m'octroie le plaisir de lire, relire, reprendre et mâchonner comme une vache son carré de trèfles.
À cinquante ans de distance, deux grands livres sur la mer, les vagues et le rythme puissant de deux vies intérieures.
Rédigé à chaque prise d'écriture, comme d'un seul jet, mais avec des retours, des reprises, des greffes et des sutures abruptes, sauvages, L'ÉTÉ 80, ce texte si parfait qu'on en viendrait (si cela était possible) à souhaiter l'avoir écrit, abouche les uns aux autres la réalité d'un été normand, passé par Marguerite Duras dans son appartement des Roches noires à Trouville, l'actualité (l'histoire du monde de cet été là : Gdansk, l'Ouganda...) et l'ensemble de ces souvenirs, ces fantasmes qui remontent par bribes au fil de l'écrit (le Siam, le Gange, les contes de l'enfance...).
Chaque vague d'écriture s'effectue d'un seul tenant, sans retour à la ligne, sans délimitation de niveaux. Les sutures sont brutales, mais évidentes. L'étendue marine lisse et enveloppe les événements sans heurt autre que le raptus permanent des vagues et de cette tempête qui - périodiquement - enveloppe tout de blancheur.
Pluie. Mouvement des vagues. L'eau s'infiltre partout dans cet écrit et finit pas s'insinuer en vous. Le rythme des marées vous envahit. La mer se fait tantôt étale ou rugissante. Vous respirez ou bien haletez au même tempo.
Écrit cinquante ans plus tôt, et dans un tout autre contexte, Les Vagues de Virginia Woolf participe lui aussi d'une science précise des rythmes marins. Les divers mouvements de l'eau y épousent constamment les complexités et les changements d'une vie intérieure riche, contrastée.
L'ouvrage est savamment construit. Fait de longs monologues qui s'entrecroisent, il déploie les rêveries parallèles de six personnages. Le mouvement des marées scande et reprend incessamment ces autres mouvements des humeurs, des impressions, des pensées. La description des paysages marins y est souvent marquée du sceau du symbolisme. La peinture n'est jamais loin. La mer fait tableau, avec ses rayons, ses couleurs. Avec sa lumière aussi, dispensée dans une débauche presque baroque.
L'atmosphère des Vagues est très différente de celle de L'Été 80. La plage durassienne laisse ici la place à une côte marine ouverte sur un jardin, des salons, des vies qui se déroulent aussi dans des zones urbaines et policées. Cultivées. Au sens « lettré » que ce terme peut revêtir. Les rêveries durassiennes sont plus « prolétariennes », même si (bien sûr) elles le sont « à leur façon ».
À l'arrière-plan, toutefois, il s'agit du même remugle de souvenirs, d'impressions, de sensations, et du rythme implacable de ce soleil qui, tous les matins, revient pour disparaître avec la nuit. Les vagues sont plus que le symbole de l'existence ; elles constituent le rythme même de cette vie intérieure subconsciente dont la mise au jour fut une des grandes découvertes et de Virginia Woolf et de Marguerite Duras.
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