L’objet et la machine furent une des sections importantes de l’Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (et contemporain) que je publiais en 1994 (Bordas, puis Larousse). Avec bien des ajouts dans les nouvelles éditions de l’ouvrage (la dernière remonte à 2017).
Les objets pullulent dans l’art moderne et contemporain. Les machines et les « choses » aussi (ce versant plus affectif - et plus flou, plus large, du monde des objets qui nous entourent).
Revenons sur trois livres - qui font part belle à l’objet ou à la chose. Chacun contient sa pelletée de succulences :
Roue de bicyclette, pelle à neige et porte-bouteille pour Duchamp. Sans oublier ces jeux de société et de physique amusante dont il fut si friand. L’œuvre de Duchamp n’est elle-même qu’un gigantesque ready-made dont il est si amusant de s’emparer.
Les objets présents dans les toiles de Van Gogh sont des objets souvent intimes et affectifs. Utilitaires aussi, comme ces godillots, ces chaussures, cette « tatane » dont van Gogh s’empare comme d’une nature morte… prête à décamper et s’ébranler dans les champs et sur le motif. C’est là « l’être de l’étant de la tatane de Van Gogh » : et l’histoire (plutôt rigolote) de ses avatars critiques (Heidegger, Derrida et Meyer-Schapiro).
Et enfin : les objets (poétiques et multiples) du pop art américain. Ce qui permet de les réunir tous à l’enseigne de l’Hôtel des Amériques. Des Boîtes de Joseph Cornell (encombrées de menus objets et signaux poétiques) aux objets démantibulés de Louise Nevelson (chaise, violon, volutes et planches de bois divers) jusqu’aux « natures mortes » peintes et sculptées sous forme de bas-reliefs par Georges Segal en passant par les humains ready-made du même Segal ou les objets de grande consommation d’Edmund Alleyn (et son projet de Musée de la Consommation).
A vos marques : partez chasser l’objet, la chose, l’élément bizarre, tendre ou navrant dont la contemplation, la caresse et le maniement vous réjouiront.
Quelle différences - me direz-vous entre « l’objet » et « la chose » ; entre « l’objet » et la « nature morte » ? — N’omettez pas de vous référer à votre dictionnaire. Celui-ci vous apprendra que les mots se réfèrent à des concepts qui évoluent et se transforment tout au long des siècles. Produit industriel et de série, l’objet duchampien se distingue donc de la nature morte des siècles antérieurs.
Quant au terme de « chose », son emploi est si divers, si large que l’on se demande quel aspect de notre environnement il pourrait ne pas recouvrir : « les Choses de la vie » (de Claude Sautet), le « Petit chose » (Alphonse Daudet), les Mots et les choses (de Michel Foucault), Ou Les Choses encore (de Georges Perec)…
Cela désigne toute cette « instrumentalité » ou ce simple « maniement affectif » qui - d’une manière ou d’une autre - accompagne et ponctue notre vie quotidienne : Une canne, une blague à tabac, un sac, un fruit, une roue de bicyclette ou une pelle à neige… Une boule de billard, un escargot ou un éventail. La liste est infinie et ne peut que se décliner « à la Borges » ou « à la Joseph Cornell » en optant pour un système (parfaitement aléatoire) de séries.
Nota-Bene : Je n’ai pas encore vu l’exposition du Louvre « LES CHOSES » mais, bien sûr, je vais aller à la rencontre de toutes ces « natures vives et mortes ».
Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne et contemporain (Larousse, 2017).
1 commentaire:
J'ajoute ici le lien à cette page antérieure où je détaillais les divers avatars de la relation particulière que j'entretins avec le ready-made de Duchamp et, tout particulièrement, son fameux "porte-bouteille" :
http://florencedemeredieu.blogspot.com/2009/09/marcel-duchamp-le-ready-made-anonyme.html
On pourrait poursuivre en se demandant : Y-a-t-il des "choses" chez Duchamp ? Le ready-made peut-il être assimilé à ce ce que l'on dénomme une nature morte ?
Dans les deux cas, la réponse semble être négative ou tout au moins se dérober et glisser dans de délicates questions de sémantique.
L'objet duchampien se rapproche bien plus de ce que l'on dénomme un concept que d'une "chose" singulière, "affective". Pluriel, inséré dans une série, découvert au rayon du BHV, au milieu de tous ses confrères, le porte bouteille n'a rien de singulier. Il ne le deviendrait qu'à l'occasion de sa signature par l'artiste? Mais là encore il y aura quelques duplicata ou répliques, Ce que Duchamp signe ici c'est une certaine universalité de l'objet. Qui se présente sous la forme d'un signe ou d'un concept, bien plus que d'une "chose", singulière, spécifique et donnée comme telle.
Cela semble certes aller à l'encontre du caractère unique de l'œuvre d'art - signée comme telle - mais c'est là où Duchamp précisément cherche à porter le fer, signant non une chose mais un concept…
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