[Soutenez la Croix-Rouge], 15 mars 1945.
photographies, dessins et photomontages.
Du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014.
Pourrait-on relier - d’un trait - les premiers photomontages et collages de la période Dada d’Erwin Blumenfeld (1897-1969), les photographies de mode et publicités des trois dernières décades de sa vie et les montages photographiques effectués durant la montée du nazisme (Hitler, Gueule de l’horreur, 1933 ; Le Minotaure ou Le Dictateur, 1937) ?
Son parcours repose sur un système d’écarts. Et de grands écarts permanents. — La surimpression d’un portrait du Führer et du négatif d’un crâne, marqué d’une croix gammée, ne peut (sur le plan de l’histoire) se lire en regard – et dans la continuité – d’autres sujets délibéréments frivoles, comme le vêtement, la mode…
Juif allemand, né en 1897, Blumenfeld subit de plein fouet les aléas et les vicissitudes de la Grande Histoire. Exilé, interné, immigré enfin aux Etats-Unis, Erwin Blumenfeld n’eut d’abord comme lien ou fil d’Ariane de sa destinée qu’un goût (immodéré) pour les images, les expériences plastiques, la photographie et la couleur, dont il découvrira les mille et une facettes photographiques en Amérique.
Le lien, s’il faut en trouver un, serait FORMEL et SENSIBLE. Blumenfeld se passionne pour l’expérimention des formes, des couleurs. Il joue sur les transparences, les surimpressions, les ajouts… de couleurs - « sur » ou « à travers » d’autres couleurs. Celles-ci alors s’additionnent pour constituer un nouveau coloris relié, de manière ténue (mais visible), aux teintes de départ.
Ailleurs, c’est une vitre, plus ou moins opaque ou gondolée, qui perturbe les formes et la distribution des couleurs, ou bien engendre des effets de "flou" (de faux flou : car tout, dans ce monde, est d'une impeccable netteté !). Le monde se fragmente et se difracte. La perception se brouille à la façon d’un kaléidoscope.
Opaque, le visage d’Hitler est, lui aussi, travaillé par la transparence. Mais il s’agit, cette fois-ci, d’une transparence (ou d’une opacité) « idéologique ». Et d’un tout autre ordre.
La mise en scène plastique, imaginée par Blumenfeld, vers la fin de la guerre en mars 1945 (en soutien à l’action de la Croix-Rouge), unit de façon magistrale les deux transparences et les deux opacités : celle plastique, de la couleur ; et cette autre transparence « idéologique » qui montre qu’en temps de guerre, le monde frivole de la mode peut être traversé par un souci (et une action) d’un tout autre ordre.
Au Jeu de Paume
Crumb Magazine
6 commentaires:
Bonjour.
Le photomontage "Le Minotaure ou Le Dictateur", datant de 1937, soulève à son tour la question des simples contiguités, ou des continuités, avec les surréalistes... On estime que cette oeuvre ne visait pas spécialement Hitler mais les dictateurs, en général ; et cette grille de lecture est confortée par la chronologie (cf. pronunciamiento de Franco en juillet 1936, puis signature de l'Axe avec Mussolini). Le drap noué autour de l'épaule, venu rappeler la toge romaine, peut lui aussi ne viser que la rhétorique grotesque des dictateurs, en général ; mais si cette allusion à "Rome" devait avoir visé Mussolini cela devient difficile, dès lors que cette toge est appendue à une tête de bovidé, de ne pas évoquer le commentaire bouleversé des surréalistes au lendemain de l'attentat manqué de Gino Lucetti (qui le 11 septembre 1926 n'avait manqué Benito que d'un poil) : "Dieu-le-porc protège Mussolini-la-vache", sic.
Cordialement
Oui, bien sûr. - Ce qui est visé par "Le Minotaure…" de Blumenfeld, c'est au premier chef le fascisme, incarné à l'époque par le trio Hitler/Mussolini/Franco. Mais l'œuvre a aussi une portée plus générale et s'ancre dans une histoire ("la toge romaine"). - Merci de vos précisions historiques concernant l'attentat de Gino Lucetti.
bien entendu Lucetti fut oublié, comme le furent les autres, car les combats de la seconde guerre mondiale puis l'horreur découverte ensuite eurent un effet de "remise des compteurs à zéro", en matière de mémoire collective... J'ai même eu un vieux copain antifasciste et qui était parti combattre en Espagne, Adler Ciroldi, qui avait totalement oublié cet épisode... Mais quand je le lui ai raconté, dans ce qu'il a de... surréaliste (le grenade que lança Lucetti rebondit sur la porte arrière du véhicule pour n'exploser que quelques secondes plus tard) j'ai bien aimé sa remarque, teintée de fatalisme :
-anche il diavolo non ne voleva, di quello là (même le diable n'en voulait pas, de celui-là).
Cordialement
PS. effectivement la "toge romaine" paraît avoir eu une certaine importance métaphorique pour les hommes de cette génération, qui en aucune façon n'étaient anti-allemands ou anti-italiens (ils étaient même pétris de ces cultures) et partant de là étaient encore plus horrifiés au vu de ce que la fanatisation, basée sur la rhétorique, permet de faire d'un peuple pour le "génie" duquel ils avaient plutôt de l'admiration.
Merci encore pour ces commentaires qui enrichissent la perspective historique du propos.
j'aurais aimé pouvoir enrichir... encore plus la perspective historique (en tant que chercheur sur ce terrain) mais hélas les Archives de la Préfecture de Police, qui ont aimablement effectué la recherche pour moi en dépit de leur provisoire fermeture actuelle, ne possèdent pas de dossier au nom de Blumenfeld. En revanche il y a un dossier nominatif dans le fonds de la Sûreté générale -rapatrié de Moscou- aux Archives nationales à Pierrefitte mais il ne s'agit "que" de correspondances qui concernent des autorisations de séjour (en 1936-37, puis en 1940) et sont surtout de nature administrative -même si bien sûr la "nature administrative" n'est jamais dépourvue d'intérêt, dans les temps troublés...
Cordialement
Les documents administratifs ne sont jamais à négliger. Ils fonctionnent dans le réel et en disent souvent plus longs que bien des documents bavards. Le tout est de les relier à d'autres éléments.
Bien cordialement et bonnes recherches.
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