Photo ©Claudia Andujar, 2019.
261, Boulevard Raspail, 75014 - Paris
« Je marchais toujours dans la forêt amazonienne avec les Indiens ; la marche était devenue automatique. Et j’ai senti que la vie prenait soin de moi. C’était une marche qui me purifiait. Elle lavait tout ce qui était en moi. La chaleur, la sueur, la fatigue, le bruit sourd des pas. » (Claudia Andujar, septembre 1975)
Les photographies, films et installations largement déployés dans les espaces de la Fondation Cartier nous ouvrent l’accès à un autre monde. Pénétrant à la suite de Claudia Andujar à l’intérieur du territoire Yanomami, vaste étendue amazonienne située de part et d’autre de la frontière que les peuples blancs instaurèrent entre le Brésil et le Vénézuela, nous découvrons des humains qui ont longtemps vécu en osmose avec leur territoire. Jusqu’à l’arrivée d’une agriculture intensive qui nécessitait l’installation de routes et la destruction de l’habitat naturel des Indiens. Ce défrichage sera bientôt suivi de l’arrivée des orpailleurs, à la recherche de métaux… et qui vont creuser, détruire et polluer les sols.
La présente exposition est d’une grande richesse et complexité. Comme le fit, au début des années 1970, Claudia Andujar, nous découvrons un peuple magnifique, riche d’un savoir complexe et d’une expérience qui leur a permis d’élaborer une culture, un ensemble de rites et de savoir-faire opérants. - Les liens établis par la photographe avec ces gens qu’elle admire et qui la fascinent débouchent sur des clichés poétiques, inspirés, mystiques souvent.
Elle tâtonne, fait des expériences, change ses objectifs, apprend à travailler dans l’obscurité, enduit son objectif de vaseline afin de créer des effets de flous et de filés. Elle a également recours à des surimpressions et des enregistrements multiples. Cela lui permet de s’approcher de l’aura poétique et mystique qui imprègne les fêtes et les rituels (de mort ou bien d’initiation). On atteint ici une sorte d’âge d’or de son travail, qu’elle cherchera à prolonger longtemps.
En 1977, considérée comme « fauteuse de troubles », elle est expulsée du territoire des Yanomami par le gouvernement militaire brésilien et interdite d’accès. Elle rencontre alors l’anthropologue Bruce Albert. Tous deux s’inquiètent du sort des populations, alors décimées par une épidémie de rougeole. Avec un certain nombre d’amis et de personnalités soucieuses de la survie des Indiens, ils vont créer une Commission de défense des Indiens Yanomami. Claudia Andujar devient une militante.
Elle finit par revenir sur leur territoire et continue son travail de photographe. Mais celui-ci se transforme. Son appareil enregistre désormais les changements brutaux auxquels sont soumis les populations autochtones, dont une grande part va constituer une main d’œuvre bon marché pour les terrassiers et défricheurs de la forêt.
Au début des années 1980, elle participe à une campagne de vaccination et réalise des photographies (numérotées) permettant d’identifier les individus de ce peuple dont les noms et les identités sont pour une large part « nomades » ou secrets. Lui reviendra alors en mémoire le fichage et la numérotation des individus opérés par le système nazi ; la plupart des membres de sa famille disparut dans les camps du IIIe Reich. Mais, cette fois-ci (dira-t-elle) il s’agissait de « marquer les gens », de les repérer, pour qu’ils puissent vivre…
L’exposition s’étend sur toute la vie de Claudia Andujar et retrace un pan important de l’histoire du peuple Yanomami. Deux rencontres seront fondamentales dans son parcours : celle de Bruce Albert, déjà évoqué, qui l’initiera à la science des peuples de l’Amazonie et qui sera son compagnon de lutte ; celle aussi du natif Davi Kopenawa, qui se rapprochera un temps des « blancs » afin de comprendre leur fonctionnement et sera plus tard initié à la fonction de chaman par son beau-père. Personnage « politique » et chef spirituel, il est aujourd’hui un des principaux représentants de la défense des peuples de l’Amazonie.
La Fondation Cartier nous offre une exposition d’une brûlante actualité, où se mêlent culture et militantisme, chamanisme, poésie, rêverie et actes de résistance. On ne saurait trop recommander de s’y précipiter et d’en arpenter tous les méandres.
L'exposition Claudia ANDUJAR à la Fondation Cartier
Livre : La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami
surimpression, 1974. Photo ©Claudia Andujar, 2019.
1 commentaire:
« Les blancs détruisent l’Amazonie parce qu’ils ne savent pas rêver. » (Davi Kopenawa)
Le grand plongeon...
Une fois la crise passée, on reprendra les bons réflexes : zéro solidarité, comme après 2008.
On fera la "morale" au peuple, lui demandant des sacrifices pour renflouer les banques, éventuellement avec son épargne, et enrichir exponentiellement les "premiers de cordée" milliardaires, in fine par l'exploitation des travailleurs en son sein, condamnés à devenir de plus en plus pauvres. Tout cela au nom d'un système néolibéral qui depuis 40 ans fait tant de mal à l'humanité et à l'environnement, mais dont les jalons ont été posés il y a 300 ans par Mandeville et Adam Smith.
La "morale" dont il s'agit et qui exige désormais le sacrifice du peuple pour l'enrichissement économique d'une infime minorité, c'est celle des plus pervers, des pires d'entre nous, c'est-à-dire des plus prédateurs. Les premiers libéraux en soutenant idéologiquement cette classe de prédateurs pour diriger l'économie, pensaient enrichir la société en transformant le mal en bien : "vice privée, vertu publique". Ce n’était pas un immoralisme d’inspiration sadienne postulant que le mal est préférable au bien, mais un pharmakon décrétant que le mal a des vertus thérapeutiques sur l’ensemble d’une société, surtout au niveau économique, et qu’il peut faire du bien à la collectivité.
Tout ceci partait d'un bon sentiment : en finir avec la névrose et les guerres que suscitaient les religions avec leur morale dogmatique, source de bien des maladies de l'âme que Mandeville se proposait de soigner tel un psy, 200 ans avant l'invention de la psychanalyse par Freud.
Il faut croire que le remède était peut-être pire que le mal.
Effectivement nous vivons avec l’héritage laissé par la génération des baby-boomers qui a pleinement intégré puis diffusé les valeurs libérales à l’ensemble du monde : la mondialisation, tant économique que touristique ; après être passée par une très courte acmé idéaliste et collectiviste. Avec leur égoïsme, leur individualisme, leur rejet des valeurs traditionnelles, leur liberté sexuelle et pour beaucoup leur pédophilie, les baby-boomers avec leur appétit insatiable de jouissance et leur cynisme, ont détruit l'héritage spirituel et même matériel d’une civilisation, ainsi que la jeunesse de France, d'Europe, et même globalement du monde occidental dans ce qu'elle avait de pur et d'idéaliste, et exploité sans vergogne le reste du monde et sa nature, dont l’Amazonie en voie de disparition alors qu’elle est le poumon du monde, tant au niveau des ressources que touristiquement. Seul le monde asiatique s’est adapté et pourrait bien en ressortir vainqueur.
Le virus c'est nous avec notre libéral-libertarisme qui est un individualisme égoïste d’inspiration largement freudienne et libertaire, stérile sans aucun héritage possible, tant au niveau matériel que des valeurs. Mais alors que la génération des baby-boomers semble avoir eu le choix et a choisi le vice en vieillissant, nous n'avons plus d'autre choix que de faire se pérenniser un système mortifère, avec en toile de fond un effondrement généralisé du système que tous redoutent intuitivement et que personnellement je souhaite, bien évidemment !
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