Biographie :
Stéphane Marti est un plasticien français issu du cinéma expérimental.
Dès 1975, il suit les cours de
Dominique Noguez et de
Michel Journiac puis partage son expérience avec de nouvelles générations de cinéastes de 1985 à 2007, via
Les Brigades s'Marti, ateliers qu’il anime à l’UFR d’Arts Plastiques de Paris 1. Il rejoint le Collectif Jeune Cinéma, première coopérative fondée en 1971 par
Marcel Mazé avec lequel il réalise de nombreux films parmi lesquels
Le Rituel de Fontainebleau, 2001,
Le Veau d’or, 2002,
Mira Corpora, 2004 ou
Les Amants rouges, 2009.
Son cinéma, essentiellement lié aux spécificités du médium Super 8, s’articule autour des questions du corps, de l’identité sexuelle et du sacré. Ce sont des cérémonies invocatrices portées par les vertiges d’Eros et de Thanatos et qui éclairent les parts de mystère et de sauvagerie qui demeurent au plus profond de nous. Il réalise une trentaine de courts et moyens métrages entre 1975 et 2012.
Depuis
La Cité des neuf portes, Grand prix au Festival d’Hyères en 1977, son œuvre filmée a été montrée dans un nombre important de festivals et de manifestations nationales ou internationales. Elle a suscité de nombreux articles ou entretiens et figure dans des ouvrages historiques de référence.
Florence de Mèredieu. — Ma première question sera - non pas intimiste ou personnelle - mais existentielle. Contextuelle. Qu'est-ce qui a déclenché en toi un intérêt pour le cinématographe ? Et à quel moment ?
Le contexte particulier des études que tu mènes alors au Centre Saint-Charles dans l'Université Paris I a-t-il joué un rôle ? J'ai enseigné moi-même (à partir de 1971) dans cette UFR des Arts plastiques et sais bien qu'elle a longtemps porté la marque des ses origines : le mouvement de mai 1968.
Peux-tu raconter comment se sont déroulées tes premières expériences cinématographiques ?
Qu'est-ce qui t'a mené vers ce médium ?
Et quelles sont tes premières influences ?
Stéphane Marti. … Mon abordage au vaisseau St Charles dès 1975 est vraiment déterminant. Plongé depuis mon adolescence dans ce qu’on n’appelait pas encore les Arts Plastiques, je venais des Beaux-Arts de Montpellier où je suivais un enseignement de facture classique (dessin/peinture) et développais un fort attrait pour les démesures du surréalisme. A St Charles, je suis happé par le climat de joyeux bordel qui y règne alors et par des enseignements pilotés par trois maestros avec qui j’ai eu, par la suite, la chance d’entretenir des liens de complicité créatrice et d’amitié.
D’abord les cours de Dominique Noguez, premier théoricien à investir et à célébrer un univers inédit à l’université française : le cinéma expérimental comme pratique artistique autonome et libérée des lois économiques et des codes du cinéma narratif ou documentaire. J’y découvre des splendeurs dont j’ignorais l’existence. Parmi les pépites qui marquent profondément ma sensibilité et qui sont aujourd’hui devenus des films-fétiches, je retiens : Un chien Andalou, de Dali/Bunuel, 1929 ; Le sang d’un poète, de Jean Cocteau,1930 ; Meshes of the Afternoon de Maya Deren, 1943 ; Un chant d’amour de Jean Genet, 1950; Inauguration of the pleasure dome de Kenneh Anger, 1954 ; Dog star man de Stan Brakhage, 1961-1964, ou encore Walden de Jonas Mekas,1968. Les deux autres enseignements phares sont celui de Michel Journiac, la Fleur Noire de L’Art Corporel, et celui d’André Almuro, le Matamore de la musique électroacoustique. Me voilà totalement ébranlé par ces trois pôles. On ne me demande pas de théoriser mais de faire. Alors, le super 8 étant très facile d’accès à l’époque, je me lance.
FDM — L'ensemble de ton œuvre demeure très marquée par les autres arts. Tout particulièrement par le théâtre, l'opéra, les spectacles musicaux. Et aussi par ce que l'on dénomme « le monde de la nuit ». Maquillage, travestissement, peinture corporelle participent de ce jeu.
Comment tout cela s'est-il développé ? Et de quelle manière as-tu filmé ? Quelle fut la part de la vie "réelle" ? Quelle fut la part de la mise en scène ? Et d'une préparation directement orientée vers un spectacle ?
Le super 8 paraît une technique tout à fait indiquée dans la manière dont tu te joues de la caméra et de son rapport à l'objet (ou au personnage filmé) ?
Peux-tu développer ces différents points ?
SM. … Détaché d’un milieu familial et provincial pas mal sclérosant, je m’épanouis en effet à Paris dans une nouvelle galaxie bien plus débridée, façon « années Palace », dont on décèle aisément quelques effluves dans la première période de mon travail cinématographique (1976 -1983). Quelque chose qui tient à la fois de la libération, de l’émancipation et des fièvres de l’Eros. Porté par les fulgurances des films expérimentaux que je découvre et les possibilités inouïes du médium super 8, mon registre est instinctif, sauvage. Il n’y pas de mise en scène, encore moins de scénario, très peu de préparation en amont, c’est l’instant, l’improvisation, l’échange qui surgit entre le corps filmé et le corps filmant.
J’explore toutes les palettes du médium super 8 que je pratique en autodidacte - St Charles n’était pas la FEMIS - et que j’affine film après film. D’abord la maniabilité des petites caméras qui autorise une proximité, une intimité avec le sujet filmé et offre la possibilité de multiplier les points de vue sans avoir à déplacer matériel ou techniciens. L’approche du corps par la gestuelle, via la caméra, devient une véritable écriture, sorte d’"Action-filming". Avec cette faculté, en jouant avec la distance focale, l’accéléré, le ralenti, l’intervalle (ou "jump-cut"), le flou, le bougé, le tremblé, la macro, etc. de laisser parler l’inconscient, en tout cas la pulsion immédiate, pour créer des formes et donner une transcription brute de l’expérience.
La seconde particularité du super 8 est son format, proche du carré. Une surface/plan où il apparaît naturel de s’approcher de son sujet afin de le centrer via le plan serré ou le gros plan. Le corps, et sa fragmentation, reste la figure idéale pour cette exploration alors que les autre formats pro rejoignent le système perceptif de la Renaissance, devenue la règle du cinéma narratif dominant,son nombre d’or. Ensuite l’émulsion particulière du super 8, cette granulation repérable entre toutes et dont la meilleure définition s’obtient en filmant en très gros plan ou en macro.
Une fois de plus, c’est bien le corps qui convient à cette approche très serrée car on y décèle une équivalence plastique inégalée entre les pigmentations de la peau et celles de la pellicule. Enfin, j’ai tourné la grande majorité de mes films, y compris ceux de la seconde période (1996-2012), avec une émulsion absolument sublime, le Kodakhrome 40, jusqu’à l’arrêt de sa fabrication et de son développement en 2006. Une pellicule inversible très fine qui offrait une grande profondeur des noirs et un excellent équilibre des couleurs permettant de moduler les teintes ou d’avoir des bleus, des indigos, des bruns, des carmins, des rouges ou des dorés - mes préférés - d’une intensité sans pareille.
FDM. — On a beaucoup parlé, dans ces années 1980, à propos du cinéma expérimental d'une "ÉCOLE DU CORPS". Celle-ci correspondait en tous points aux idéaux mis en œuvre dans le prolongement de l'esprit de mai 68 : libération des mœurs et des corps. Et leur esthétisation.
Peux-tu évoquer ce contexte ? Tout particulièrement dans le cadre de l'enseignement prodigué à "Saint-Charles" ?
SM. … Oui : c’est Dominique Noguez qui, dès 1977, nomme de façon interrogative « Une école du corps ?» les correspondances troublantes qu’il discerne entre les films des cinéastes qui se servent, au même moment et en France, du médium super 8 et de ses spécificités comme vecteur de leurs identités homo. Théo Hernandez, Michel Nedjar, Jakobois, Gaël Badaud, Berndt Deprez, Maria Klonaris, Katerina Thomadaki ou moi-même. Il y a aussi bien sur, pour celles et ceux qui sont à St Charles, l’influence majeure du corps, de sa présence et de sa transgression, soulevée par l’enseignement de Michel Journiac. Un plongeon inaugural dans la question Queer, pas encore formulée.
Pendant toute cette décennie 70/80, nous projetions nos films dans les séances organisées par le Collectif Jeune Cinéma, crée par Marcel Mazé en 1971 ainsi qu’au Festival d’Hyères, section « cinéma différent » dont il avait la charge. C’était à chaque fois une intense stimulation que de découvrir des (nos) films à l’esthétique souvent proche alors que nous n’étions pas constitué en groupe. L’approche du corps par la caméra désirante, les glissements entre le profane et le sacré, le foisonnement baroque, la dramaturgie théâtralisée, l’émergence du spontané qui approche souvent la transe, le tout bricolé avec nos propres moyens, voilà quelques uns des aspects de cette démarche vraiment singulière, en tous cas sans équivalant dans le paysage expérimental de l’époque.
FDM. — Le "Style" ?
As-tu conscience d'avoir un style ?
Comment le définirais-tu ?
Quels sont ses ingrédients ?
Qu'est-ce qui en fait l'originalité ?
SM. … Il n’est pas facile parler de soi. La définition d’un style n’est pas chose aisée, ça demande du recul, un regard sur l’évolution de son parcours et de ses choix, l’éclairage de ses « pairs », le retour d’un public ou de la critique, d’ailleurs fort peu loquace sur ces domaines. Durant cette période, il n’y pas chez moi l’intention de formaliser quoi que ce soit mais plutôt de plonger dans l’expérience de ces relations désirantes entre le filmé et le filmant. Un répertoire vibratile où se mêlent attirance, répulsion, peur, extase, douceur et où la théâtralité et le lyrisme ré-injectent toujours de l’énergie. Car c’est bien d’énergie dont il s’agit et non pas de contrôle d’une démarche ou de maîtrise d’un style. Les rushes partent au développement puis reviennent plusieurs jours après, comme déconnectés, libérés de leurs urgences premières et, à partir de ce corpus foisonnant d’images (j’effectue beaucoup de prises), je ré-agence au montage en expérimentant des combinaisons auxquelles je n’avais pas songé, me laissant guider par les jeux infinis des analogies, des métaphores ou des symboles, déchiffrant à l’instinct « ces nuits beaucoup plus intelligentes que nos jours » comme le suggérait Cocteau.
FDM. — Spécialiste incontesté du cinéma expérimental de cette époque, Dominique Noguez a écrit de très belles pages sur quelques-unes de tes œuvres ?
Lorsque tu les as lu (et je suppose que ce fut le cas) qu'est-ce qui t'a paru dévoiler quelque chose d'essentiel dans ton cas ?
Qu'est-ce qui a fait mouche ?
Rappellerais-tu quelques citations extraites de « ÉLOGE DU CINÉMA EXPÉRIMENTAL" (Dominique Noguez Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, 1979) ?
SM. … Bien sûr, il a été le premier théoricien à écrire des quantités d’articles qui ont fait rayonner des œuvres et offert la reconnaissance à de très nombreux ciné-artistes, pour la plupart inconnus. Dans l’ouvrage que tu évoques, ce sont des éclairages subtils, érudits et profonds, à lire, à relire ou à découvrir sur un cinéma comme désir et plaisir de faire. Avec un style brillant il fait parler les images, « Regardez le rectangle que je suis, regardez la manière dont les formes sont agencées sur ma surface, la manière dont elles se déplacent, voyez mon éclat ou ma discrétion, voyez mon grain ou mon opacité » et précise « Nous sommes alors du côté de la fonction poétique triomphante et donc du cinéma expérimental ».
En ce qui me concerne, dans son délicieux « Petit traité de stéphanologie » (p 246), résonne encore le nom de « Stephanos, le couronné » comme le plus beau compliment qu’on ne m’ait jamais adressé. M’ont touché également quelques éclairantes formulations :
« Marti se démultiplie et devient une armée de voyeurs légers autour de ses proies. Le super 8 seul permet ces prouesses d’abeille » ou encore « Il mériterait encore ce nom par cette sorte de progression circulaire qui est sa trouvaille la plus séduisante dans l’art du montage. Marti procède semblablement à l’échelle du plan : il donne d’un être, d’une scène, d’un événement, une série de plans assez brefs, souvent interrompus avant leur achèvement naturel, avec, de l’un à l’autre, une légère progression. Et ainsi, de plan en plan, chacun raccordé au suivant dans le mouvement ou par de subtiles analogies, fait-on bientôt le tour de ce qu’il y a à voir. Couronne d’images ». `
Puis j’ai eu la chance qu’il intervienne, comme écrivain et dialoguiste cette fois, dans deux films de ma seconde période, Oratorio, 2008, et Les Amants rouges, 2009.
FDM. — J'ai le sentiment que ta démarche stylistique fut très intuitive et spontanée, presque "caméléon", épousant les apparences et les contours de ton environnement.
Pourrais-tu citer - inversement - certaines séquences et certains plans méticuleusement calculés. Une manière de conduire et précéder le mouvement des images et des formes ?
SM. … Les seuls éléments que j’ai vraiment préparés de façon méticuleuse sont les conditions de tournage. Je les agence comme si j’étais en studio alors que je tourne principalement dans les pièces des différents endroits où j’ai habité. Je les installe minutieusement, en les surchargeant souvent avec des oeuvres originales d’amis proches (dont quelques unes de Michel Journiac), du mobilier, des éléments de décor, des accessoires et des objets qui me tiennent à coeur et qui, à la fois ex voto, totems ou images sacralisées, font partie de mon histoire. J’installe ensuite la lumière (il en faut beaucoup pour l’argentique) de telle sorte que toutle monde, « actants » (pour employer un vocabulaire issu de l’Art Corporel), amis « techniciens » et moi même, puissions évoluer sans trop de contrainte ni d’entrave, créant ainsi le meilleur réceptacle possible au processus de fabrication et à l’expression spontanée des gestuelles qui dicte ses propres lois.
FDM. Ton utilisation des arts plastiques - Cadres Couleurs et Ombres en mouvement -, ce cinéma-là est très plastique. Le contexte de "Saint-Charles" et des Arts plastiques de l'époque me paraît là encore avoir opéré.
Bernard Teyssèdre, fondateur, en 1971, de ce département universitaire, qui existât dans la réalité avant même d'avoir une existence institutionnelle, avait conçu une structure mi-théorique /mi-pratique prenant en compte la totalité des arts (arts plastiques proprement dits - sculpture, dessin, peinture -, mais aussi musique, cinéma, vidéo, photographie, performances, histoire de l'art et esthétique).
Comment te remémores-tu cette époque ?
SM. … Dans les années 70/80 l’enseignement que j’ai suivi à St Charles a été vraiment inouï, je ne m’attendais pas à une telle déflagration. Des domaines artistiques inconnus, un foisonnement des pratiques, des participations à des performances insensées (expression corporelle en parlé/chanté pour André Almuro ou Théâtre des orgies et des mystères pour Hermann Nitsch), une liberté absolue, des profs pas mal dingues et pour moi surtout, le cinéma comme pratique plastique détachée des codes de la narration et de la représentation. Ce sont des années effervescentes et joyeuses où s’enclenchaient des histoires, des aventures et des collaborations entre étudiants. La plupart de mes actants suivent ce type de formation foutraque et généreuse. Rien à voir avec les tutelles académiques des Beaux-Arts ni les diktats des écoles de cinéma. Assurément, Bernard Teyssèdre, le brillantissime fondateur de cette UFR a su lui donner une impulsion inégalée avant qu’elle ne s’évertue, année après année, à retourner dans les rangs …
FDM. — Comme enseignant dans cette même Université où tu avais fais tes études, tu as ensuite créé ce que tu as appelé les "Brigades' s Marti".
Peux-tu décrire cette aventure … dont on pourra découvrir quelques traces dans le programmation des 50 ans du Collectif Jeune Cinéma.
SM. … Mon propre enseignement (1985-2007) s’aligne sur cette dynamique. Grâce à des copies 16 mm déposées au CJC, à pas mal de films disponibles en VHS puis plus tard aux films de la collection Re : Voir créée par Pip Chodorov, je fais découvrir à mes étudiant.e.s quelques joyaux du cinéma expérimental puis les aide à en déchiffrer les enjeux historiques et esthétiques. Je leur montre également ceux dont je dispose en super 8 dont certains des miens. Je perçois le même choc que j’ai eu en découvrant les cours de Noguez. Parallèlement on plonge très vite dans la pratique. Je fais acheter du matériel par la fac (projecteurs, visionneuses, colleuses, stocks de pellicule) et les voilà parti.e.s, d’abord dans des exercices d’atelier collectif puis dans des productions bien plus personnelles ou chacune va se coltiner à la pratique du médium et développer sa propre sensibilité.
Les projections de fin d’année sont particulièrement réussies. Je décide d’en projeter des sélections à l’extérieur, d’abord à la Galerie Donguy, rue de la Roquette, où Journiac présentait déjà les travaux de ses propres étudiant.e.s puis, à partir de 1998, ces sélections accompagnent la renaissance du CJC (après une longue période d’hibernation), ses programmations régulières et son tout nouveau Festival.
C’était un furieux bazar au cinéma La Clef. Magnifique rendu des originaux et bande son sur CD, piloté en direct et donc pas mal « désyncro ». Frénétique, stimulant, magique et salle comble. Il a fallu à plusieurs reprises doubler les séances tellement il y avait du monde. Et fiestas finales en compagnie d’un seigneur ravi, Marcel Mazé ! Aujourd’hui, à l’occasion du Jubilé du CJC, j’ai décidé de les remettre au jour. Certains de ces films figurent au catalogue de notre coopérative mais beaucoup n’ont presque plus jamais été projetés. Heureusement, j’en ai fait des télécinémas soignés, conservés en Beta ou miniDV et transférés maintenant en fichiers numériques. Univers instinctifs, sauvages, bricolés ou plus élaborés, toujours intimes et personnalisés. Plus de 20 ans après, je les trouve toujours aussi forts. Une belle occasion de revenir à un des ADN du CJC, la vitalité toujours renouvelée de la jeune création et le désir du super 8.
FDM. — Aujourd'hui, quel regard portes-tu sur ton parcours… de cinéaste
Comment appréhendes-tu cette époque maintenant lointaine où tu fis tes premiers images, où tu enregistras tes premières chorégraphies cinématographiques ?
SM. … En tant que ciné-artiste, je garde de cette période le souvenir nostalgique et circonspect d’une aventure un peu ratée. En 1977, mon film La Cité des neuf portes obtient plusieurs prix et tourne beaucoup. J’en ressens, tu l’imagines, une profonde satisfaction et suis persuadé de tenir là, et pour un plus large public, un nouveau langage cinématographique. Carrément ! Mon enthousiasme et ma naïveté ne vont pas résister longtemps : la Nouvelle Vague et sa « politique des Auteurs » a déjà raflé toutes les mises et les critiques pros ne s’intéressent pas vraiment à notre « territoire ». Notre grand manitou Noguez lâche l’affaire pour se consacrer pleinement à la littérature. Le Festival d’Hyères se désengage du Cinéma Different, sonnant le premier glas du CJC.
Le manque de reconnaissance induit forcément un manque de solidarité et de navrantes querelles s’installent entre nous. Dépité, je me lance alors dans l’écriture et la ré-écriture de nombreux scénarios, essayant d’obtenir l’aide du CNC ou de convaincre les producteurs parmi les moins conventionnels … oualou ! Noguez avait déjà diagnostiqué « l’increvable force du système ».
FDM. — Et aujourd'hui quel est ton terrain de jeu ?
Au sein de quelles images souhaites-tu t'aventurer ?
SM. … Assurément, un retour aux sources, celui des images fixes. S’y esquissent, comme dans un montage film, de nouvelles combinaisons, toujours dans le registre de la profusion, de la surcharge ou de la saturation car je n’adhère pas à cette idéologie moderniste de l’art qui s’obstine à nous faire croire que tout processus créatif devrait conduire à l’épure, à la synthèse, au concept. Je préfère la force expressive du chaos,là où se percutent le tourbillon des formes, la luxuriance des effets colorés, l’éclatement des cadres, l’exaltation des thèmes. Ainsi, dans un métissage des techniques (peinture, photos, dessins, objets, matières, etc.) s’agencent en superposition de déchirures, de traces, d’empreintes ou d’effacements, des éclats de la mémoire de certains de mes films (photogrammes et photos), des fragments de paysage dans lesquels je baigne actuellement ou encore des ouvertures de portes (sans doute la dixième et les suivantes) derrière lesquelles glissent des cortèges dionysiaques et se dévoilent un peu des splendeurs manifestes ou cachées des univers chamaniques, ces désordres qui explorent les arrières-mondes invisibles et irriguent les profondeurs de l’être.
Et puis l’idée de revenir à quelques uns de mes scénarios oubliés, d’en extraire quelques extraits et de s’y remettre, peut-être, autrement. Un certain Corpstrass, co-écrit avec Michel Journiac en 1980, par exemple …
Stéphane Marti sur Vimeo
Fiche auteur du CJC
La Cinémathèque Temporaire du CJC
Aloual dans « La Cité des neuf portes », 1977. DR.